ལམ་རིམ་ lamrim


[ILL]

1) Les phases ou les paliers franchis au cours d’un voyage.

2) « Étapes du chemin ». Appellation courante d’un genre littéraire apparu au Tibet à la suite du premier texte de ce type, བྱང་ཆུབ་ལམ་གྱི་སྒྲོན་མེ་ « La lampe de la voie de l’illumination », écrit par Atīśha au milieu des années 1000 de notre ère. Une personne qui adopte le mode de pratique décrit dans ces textes est appelée un ལམ་རིམ་པ་ lamrimpa. Le plus célèbre de ces textes est le ལམ་རིམ་ཆེན་མོ་ « Les grandes étapes de la voie » de Tsongkhapa.

Signification et fonction des lamrims

1. Les lamrims et l’approche du cheminement graduel

Les lamrims synthétisent la voie du Bouddha
En présentant les étapes de la voie,
L’approche du cheminement graduel.
– Ils sont la base des études traditionnelles. –

Les lamrims sont des présentations synthétiques de l’ensemble de la voie — des ouvrages fondamentaux qui servent de base aux études dans les différentes écoles tibétaines.

Deux raisons justifient la composition et l’utilisation de ces textes. D’une part, une approche synthétique présentant l’essentiel s’avère nécessaire pour bien étudier et parvenir à se repérer dans l’immense quantité d’informations que constitue le corpus d’enseignements. D’autre part, en termes de pratique, une présentation claire des étapes de la voie permet une progression juste et favorise une bonne compréhension.

2. Origines des transmissions graduelles et immédiates

La transmission depuis son origine
Peut être graduelle ou immédiate.
Dès sa première diffusion au Tibet,
Depuis les grandes universités d’Inde,
Les deux traditions eurent à coexister
Puis l’approche graduelle fut préférée,
Souvent imprégnée de l’approche immédiate.

La composition des lamrims s’inscrit dans la continuité d’une tradition de transmission graduelle des enseignements et de la pratique.

Depuis le Bouddha lui-même, et dès la première introduction du bouddhisme au Tibet, la transmission comprend deux perspectives concomitantes et largement complémentaires : les approches dites « progressive » et « subite ». Suivant une autre formulation, il est question de « la voie graduelle » (tib. རིམ་གྱིས་འཇུག་པ) et de « la voie immédiate » (tib. ཅིག་ཅར་འཇུག་པ), littéralement « l’entrée par étapes » et « l’entrée instantanée »

L’histoire de la transmission à Mahakasyapa est un bon exemple de l’existence simultanée de ces deux approches du vivant même du Bouddha. Alors qu’il enseignait à nombre de ses disciples comment cheminer vers la réalisation de son enseignement, le Bouddha cueillit une fleur et partagea un sourire avec Mahakasyapa, instant en lequel Mahakasyapa comprit directement le sens de son enseignement.

Au VIIIe siècle, à Samyé, dès l’origine de la transmission du Dharma au Tibet, une controverse opposa Hachang Mahâyâna, un moine chinois tenant de l’école « Dhyâna » (le Ch’an )1École chinoise née au VIe siècle sous l’impulsion du moine indien Bodhidharma. Elle met l’accent sur la pratique assise et l’expérience directe de l’éveil. Son origine remonte précisément à Mahakasyapa. et détenteur de « l’approche immédiate », à Kamalashîla, tenant de l’approche indienne qui introduit la voie dans sa progression.

Plusieurs facteurs à dimensions culturelle et politique demeurent sous-jacents à cette controverse. Il s’agissait de définir la forme de transmission du Dharma la mieux adaptée au climat culturel et spirituel du Tibet. Des enseignements venant de Chine cohabitaient avec ceux issus directement de l’Inde et les maîtres comme les monarques craignaient que ces deux tendances amènent des divergences de fond. La nécessité d’uniformiser les enseignements s’imposa pour rendre la transmission plus cohérente.

Kamalashîla, suivant « la voie graduelle », composa trois traités connus sous l’appellation « bhâvanâ-krama », Les étapes de la pratique méditative . Après un débat qui dura plusieurs années, la version officiellement retenue pour le Tibet fut l’approche progressive.

On peut voir cependant dans « L’Ornement de la Libération » de Gampopa, que l’approche immédiate resta sous-jacente, particulièrement dans les traditions Kagyu et Nyingma.

3. Le contexte historique de l’apparition des premiers lamrims

Ce fut invité par le roi Yéshé Eu
Qu’au onzième siècle Djowojé Atisha,
Grand maître des universités de l’Inde
Vint au Tibet pour raviver le Dharma.
Il est à l’origine de la lignée
« D’instructions de la parole du Bouddha »
Qui est nommée en tibétain Kadampa,
Et marqua le début de la seconde diffusion.
Dont il composa le premier lamrim
Qu’il nomma « La lampe de la Voie de l’Illumination ».

La première introduction du bouddhisme au Tibet remonte au VIIe-VIIIe siècle. Ce fut Shântaraksita, puis Padmasambhava, qui se rendirent au Tibet, répondant à l’invitation du souverain Trisong Détsèn (742-797)2Une autre source donne 718-785 (Cf. The Jewel Ornement of Liberation, Namo Buddha & Chokyi Ghatsal Publication, 2003).. Ils introduisirent le Dharma dans ses différents aspects : les enseignements du mahâyâna, du vajrayâna et la tradition monastique, avec les sept premiers tibétains ordonnés, qui donnent naissance à la lignée tibétaine du Vinaya.

Au IXe siècle, la persécution menée à l’encontre des institutions bouddhiques par le roi pro-bön Langdharma ( ?-842) entraîne un déclin de l’activité monastique et une dégradation de la transmission. Les principales formes du Dharma qui se perpétuent alors sont de nature tantrique, car la répression a entravé voire détruit le fonctionnement des institutions et de la transmission monastiques. D’une manière générale, la transmission de l’enseignement s’est dégradée, et même les enseignements tantriques furent souvent altérés, que ce soit à cause des difficultés de transmission ou par un manque de compréhension des enseignants, qu’il s’agisse des moines et traducteurs continuant à voyager entre l’Inde et le Tibet, ou des séculiers.

Khenchen Thrangu Rimpoché parle de cette période en ces termes3The Jewel Ornement of Liberation, Namo Buddha & Chokyi Ghatsal Publication, 2003, p. 1-2. : 

Le roi Trisong Détsèn introduisit d’abord la tradition du Bouddha au Tibet, puis vint le roi Langdharma qui persécuta les pratiquants et supprima le Dharma au Tibet, créant de grands obstacles à l’enseignement.
Pendant cette période, de nombreux enseignements furent perdus et la pratique dégénéra. Bien que la pratique du vajrayâna perdura, elle fut légèrement corrompue. Les personnes commencèrent à comprendre le Dharma juste au niveau des mots. Par exemple, ils pouvaient en arriver à dire : « tout est vacuité », ou « tout est la Grande Perfection, ou Mahâmudrâ », mais sans vraiment le comprendre. Ils s’attachaient juste à l’idée que tout est vacuité ou mahâmudrâ, mais sans percevoir au niveau relatif le karma, bodhicitta et les nombreuses qualités qu’il est nécessaire de développer.
Pour palier à ces mauvaises compréhensions du Dharma, deux grands rois du Tibet, Yéshé Eu et Djangtchoub Eu, invitèrent le mahapandita Atisha à venir au Tibet pour y enseigner, lui adressant la requête de transmettre particulièrement le refuge, l’esprit d’éveil et les paramitas. Ces transmissions seront connues comme les « instructions Kadampa ».
Ce que fit Gampopa dans « L’Ornement de la Libération » fut de coupler ces instructions Kadampa avec celles de Mahâmudrâ qu’il reçut de Milarépa.

En résumé, cette période est marquée par un déclin voire une disparition presque complète du Dharma au Tibet. Au XIe siècle, a lieu la deuxième diffusion, avec l’arrivée d’Atisha et à sa suite la réalisation des premiers grands lamrims tibétains. Il faut noter tout particulièrement le rôle que jouèrent alors le roi Yéshé Eu (XIe siècle) et son neveu et successeur, Djangtchoub Eu (XIe siècle). Considérant les problèmes que pouvaient entraîner une mauvaise interprétation de la voie immédiate, ils invitèrent Atisha (980-1054) qui gagna le Tibet en 1042.

Atisha est né en 980, dans l’est de l’Inde. Il s’est consacré à l’étude pendant de nombreuses années. Il a étudié les tantras avec Rahulagupta et, au sein des grandes universités de l’époque, dont Vikramashila et Odantapurî, il a mené à bien l’examen de l’ensemble des sûtras et des tantras. Il a passé douze années en Indonésie auprès de Sèrlingpa Dharmarakshita (XIe siècle), connu pour être un lama important de la lignée de Lodjong (écrit blo sbyong), l’Entraînement de l’Esprit4Cette lignée de Lodjong est diffuse dans la plupart des écoles bouddhiques. Elle est particulièrement renommée aujourd’hui grâce à l’un de ces textes les plus célèbres : L’Entraînement de l’esprit en sept points, de Gueshe Chekawa — ouvrage fréquemment utilisé dans le Sangha Rimay pour introduire le mahâyâna..

Lorsqu’il fut invité au Tibet, Atisha, âgé alors de cinquante deux ans, essaya de réintroduire un enseignement suivant une présentation claire qui puisse remédier aux déviations.À Samyé, il composa l’ouvrage qui demeure le prototype des lamrims : Le Bodhipathapradîpa ou byang chub lam sgron en tibétain, « Le Lampe de la Voie de l’illumination » (byang chub signifiant « éveil » ou « illumination » , lam « voie » et sgron, « lampe »). Dans cet ouvrage, il reprend l’ensemble des thèmes des sûtras et des tantras, et les ordonne dans une structure cohérente et progressive. Atisha aura de nombreux disciples issus de différentes régions du Tibet, parmi lesquels Rintchèn Sangpo (958- 1055), un grand traducteur, et surtout Dromteunpa (1005- 1054) qui lui succèdera dans la tradition.