Point 4 (suite 13)

Chapitre 17 – La vertu libératrice de la compréhension supérieure

Plan Résumé
(stance 22)
1) Considération des bienfaits et méfaits,
2) Son essence, 3) sa classification,
4) Les caractéristiques de chaque classe
5) Ce qui doit être compris 6) et pratiqué.
Avec en fin 7) ses fruits ; ces sept points résument
La vertu transcendante de compréhension supérieure.

I – Considérations des bienfaits et méfaits

TOUS LES BODHISATTVAS qui habitent dans les vertus libératrices, depuis celle du don jusqu’à celle de la méditation, mais manquent de compréhension supérieure, n’obtiendront pas l’état d’omniscience car ils sont semblables à une foule d’aveugles qui, sans guide, ne peut voyager vers la cité de leurs souhaits.

Comme le dit Le Résumé des Nobles :

Comment sans guide des millions d’aveugles pourraient-ils entrer
Dans une cité dont ils ne connaissent pas même le chemin ?
Sans la compréhension supérieure,
Les cinq premières vertus n’ont pas d’yeux ;
Sans ce guide, elles ne peuvent conduire à l’éveil.

Par contre, si ces bodhisattvas sont pourvus de la compréhension supérieure, elle sera leur guide et dirigera la foule d’aveugles qu’ils étaient vers la cité de l’éveil. Elle transformera toutes les vertus, celle du don et les autres, en une voie vers l’état de bouddha et elles arriveront à la citadelle de l’omniscience.

Dans L’introduction à la Voie du Milieu, il est dit :

Comme quelqu’un qui voit peut facilement diriger
Toute une foule d’aveugles vers le lieu qu’ils désirent atteindre ;
De même, la compréhension supérieure
Achemine les qualités aveugles vers l’état des victorieux.

Et dans Le Résumé des Nobles :

La compréhension supérieure  fait complètement connaître
La nature des phénomènes
Et transcender parfaitement les trois états d’existence.

– Dans ce cas, la compréhension supérieure seule ne suffirait-elle pas ? A quoi bon les moyens d’action que sont le don et les autres vertus libératrices ?

– Sachez que, seule, la compréhension supérieure ne suffit pas, comme l’exprime Le Flambeau de la Voie de l’Eveil :

Il fut enseigné que l’on restera emprisonné,
Que ce soit dans la compréhension supérieure sans moyens d’action
Ou dans les moyens d’action sans compréhension supérieure.
Aussi ne faut-il délaisser ni l’une ni les autres.

– Comment une pratique où moyens d’action et compréhension supérieure sont dissociés est-elle un emprisonnement ?

– Les bodhisattvas dont la pratique repose sur la compréhension supérieure dépourvue des moyens d’actions s’emprisonnent en tombant dans le « nirvâna partiel », paix que les Auditeurs désirent, et ils n’atteindront pas le « nirvâna sans demeure ». La tradition qui affirme l’existence de trois véhicules distincts considère que cet emprisonnement est perpétuel ; alors que celle qui envisage un seul véhicule (divisé en trois niveaux) considère qu’il dure trois millions de kalpas.

D’autre part, ceux qui utilisent les moyens d’action coupés de la compréhension supérieure ne dépassent pas le niveau des êtres ordinaires et restent prisonniers du samsâra.

Ceci est exprimé dans Le Sûtra des Questions de Lodreu Missépa :

La compréhension supérieure dépourvue des moyens d’actions
Emprisonne dans le nirvâna.
Les moyens d’actions dépourvus de compréhension supérieure
Emprisonnent dans le samsâra.
Pour obtenir la libération, il faut qu’ils soient conjoints.

Il est dit aussi dans Le Sûtra Exposé par le Noble Drimamépar Dragpa :

Qu’est-ce qui emprisonne les bodhisattvas
Et qu’est-ce qui les libère ?
Sans moyens d’action, la compréhension supérieure les emprisonne,
Jointe à ceux-ci, elle les libère ;
Sans compréhension, les moyens d’action les emprisonnent,
Joints à celle-ci, ils les libèrent.

C’est pourquoi une pratique dissociant moyens d’actions et compréhension supérieure est une conduite « diabolique », comme l’exprime Le Sûtra des Questions de Lugyalpo Gyamtso :

Les conduites diaboliques  sont deux :
Celle des moyens dissociés de la compréhension supérieure
Et celle de la compréhension supérieure dissociée des moyens.
Connais-les comme l’activité de Mara et abandonne-les.

Pour prendre un exemple : ceux qui veulent aller dans une cité désirée doivent, pour y arriver, avoir des yeux qui discerneront la route et des jambes qui parcourront le chemin. Pareillement, pour arriver à la cité du nirvâna sans demeure, il faut avoir l’œil de la compréhension supérieure et les jambes des moyens.
Le Sûtra de Gayagori dit :

Globalement, le chemin du mahâyâna se résume en deux points :
Les moyens d’action et la compréhension supérieure.

La compréhension supérieure n’apparaît pas seule. Considérons une analogie : si l’on enflamme un tout petit peu de bois, le feu ne durera pas longtemps ; par contre, si l’on amasse beaucoup de bois très sec et l’embrase, le feu durera longtemps sans s’éteindre. De même, peu de bienfaits développés ne donneront pas naissance à la grande compréhension supérieure, alors que de grands bienfaits développés par le don, la discipline et les autres vertus libératrices feront apparaître la grande compréhension supérieure qui consumera tous les voiles. Ainsi faut-il prendre appui sur le don et les autres vertus afin d’arriver à la compréhension supérieure, comme cela est dit dans L’Introduction à la Vie de Bodhisattva:

Tous ces éléments [les cinq premières vertus libératrices]
Ont été enseignés par le bouddha
Afin d’arriver à la compréhension supérieure.

II – Essence

L’essence de la compréhension supérieure est le discernement parfait de tout connaissable, définition que l’on retrouve dans Le Compendium de la Réalité :

Qu’est-ce que la compréhension supérieure ?
C’est le discernement parfait des dharmas.

III – Classification

Dans Le Commentaire de l’Ornement des Sûtras, trois types de compréhension sont mentionnés : la compréhension mondaine, la compréhension supra-mondaine inférieure et la compréhension supra-mondaine supérieure.

IV – Caractéristiques de chaque classe

La compréhension mondaine regroupe toutes les compréhensions développées dans le cadre des quatre sciences traditionnelles : la médecine, la logique, les lettres et les beaux-arts.
Les deux compréhensions supra-mondaines sont nommées « science de l’intériorité » : ce sont les connaissances dont le développement est fondé sur le saint dharma :
La compréhension supra-mondaine inférieure est issue de l’étude, de la réflexion et de la méditation des Auditeurs et Bouddha par soi : c’est la compréhension que les agrégats qui nous constituent sont impurs, douloureux, impermanents et dépourvus d’entité-ego.
La compréhension supra-mondaine supérieure est développée par l’étude, la réflexion et la méditation dans le mahâyâna : c’est la compréhension que tous les connaissables sont par nature vacuité, incréés, sans fondement ni racine, comme l’exprime La Perfection de Compréhension Supérieure en Sept Cents Stances :

Cette compréhension comprend tout connaissable comme incréé ;
Elle est perfection de compréhension supérieure.

C’est ce qu’exprime aussi Le Résumé des Nobles :

Connaître parfaitement tout connaissable
Comme étant dépourvu de nature propre,
Est l’expérience de la sublime vertu libératrice
De compréhension supérieure.

Et aussi Le Flambeau de la Voie de l’Eveil :

Réaliser qu’agrégats, éléments et domaines ne sont pas engendrés,
Connaître leur nature vide est l’explication parfaite
Du terme « compréhension supérieure »

V – Ce qui doit être compris

Parmi les trois types de compréhension, celle qu’il nous faut comprendre est la compréhension supra-mondaine supérieure qui est présentée en six points :

– La réfutation de l’existence réelle des choses saisies,
– La réfutation de l’inexistence des choses saisies,
– Le défaut de la saisie des choses comme non existantes,
– Les défauts des deux types de saisies,
– La voie de la libération,
– La nature de la libération, le nirvâna.

1. La réfutation de l’existence réelle des choses saisies

Dans Le Flambeau de la Voie de l’Eveil, Atisha dit :

Il est illogique que ce qui est soit créé ;
Ce qui n’est pas est comme les fleurs du ciel.

Ceci participe de l’explication détaillée suivant les grands principes de la logique.
Suivant l’approche graduelle des enseignements, il est d’abord exposé que ce qui est réel ou tenu pour tel se ramène à deux types de soi et que ces deux types de soi sont vacuité de par leur nature propre.

– Que sont ces deux types d’entités, ce que l’on connait comme l’esprit ?
– Ce sont le soi de la personne et le soi des phénomènes.

– Qu’appelle-t-on par soi de la personne ou esprit individuel ?
– Il y en a de nombreuses définitions mais fondamentalement, la personne est la continuité des agrégats dotée de la capacité de connaître ; elle est la connaissance fluctuante et versatile qui est actrice de tout et en tout.

Le Sûtra des Fragments dit :

Par « personne » on entend « continuité »,
Continuité d’émanations fluctuantes.

L’appréhension de cette personne comme une et permanente crée l’attachement du « je », l’ego ; c’est ce qui est nommé « le soi de la personne », ou l’esprit individuel. Elle développe des émotions conflictuelles qui engendrent des activités, lesquelles produisent des souffrances. C’est ainsi que ce soi, cet esprit individuel, est la racine de toutes les souffrances et de tous les maux.

Il est dit dans Le Commentaire Détaillé :

Quand il y a un moi-ego,
Il connaît quelque chose autre que lui-même ;
De la dualité moi-autre viennent appréhensions et rejets ;
De ces relations viennent tous les maux.

– Qu’appelle-t-on « soi des phénomènes » ?
– « Phénomènes » désignent d’une part, extérieurement, les objets appréhendés et d’autre part, intérieurement, l’esprit qui les appréhende.

– Pourquoi les nomme-t-on « phénomènes » ?
– Parce qu’ils sont l’appréhension des caractéristiques qui leur sont propres.

Il est dit dans Le Sûtra Roi des Fragments :

L’appréhension de caractéristiques
Est ce que l’on entend par phénomènes.

Appréhender comme réels les deux termes sujet-objet de la saisie et s’y attacher est ce que l’on entend par « soi des phénomènes ».

Pour expliquer que ces deux types d’entités sont vacuité par nature, nous réfuterons d’abord le soi de la personne.

1.1 La réfutation du soi de la personne

Dans La Précieuse guirlande, le maître Nâgârjuna dit :

« Je suis », « j’ai » ;
Ceci est contraire à l’ultime vérité.

En effet, au niveau ultime, ce soi n’existe pas. Si l’entité-ego, l’esprit individuel existait de façon consistante au niveau ultime, il devrait exister lorsque cette ultime vérité est vue par l’œil de la compréhension. Mais lorsque l’esprit qui voit la vérité a la vision de l’essence fondamentale, ce soi n’est pas ; c’est pourquoi cette entité n’a pas de consistance.

C’est ce qu’exprime La Précieuse Guirlande :

Lorsque l’ainsité ultime est parfaitement connue
La dualité n’apparaît pas.

Dans cette citation, « connaître l’ultime tel qu’il est » correspond à « voir la vérité réalité » ; et la « non-apparition de l’esprit ou de la dualité » correspond à la « non-apparition de la fixation du moi et du mien ».

-> Le soi de la personne n’a pas d’existence réelle car il ne se crée ni n’est créé par quoi que ce soit

Si l’entité-ego existait réellement, elle devrait :

– soit se créer d’elle-même,
– soit être créée par quelque chose d’autre,
– soit être créée par une combinaison de ces deux possibilités,
– soit encore être créée dans les trois temps.

Nous allons examiner ces quatre hypothèses.

■ Le soi de la personne, l’esprit individuel, ne se crée pas de lui-même :

En effet, ou bien cette entité existe, ou bien elle n’existe pas ; si elle n’existe pas, elle ne peut pas être cause, et si elle existe déjà, elle ne peut pas être effet. Ainsi, se produire ou se créer soi même est contradictoire.

■ Elle n’est pas non plus créée par quelque chose qui ne soit pas elle :

Car ce devrait être quelque chose ayant une existence réelle.
– Et pourquoi ne serait-ce pas une cause ?
– Parce que, quelle que soit la cause considérée, celle-ci n’existe qu’en relation avec un effet, et aussi longtemps que l’effet n’est pas apparu, l’entité-ego n’est pas sa cause ; et réciproquement, en toute circonstance où il n’est pas de cause, il n’est pas de résultat créé ou produit.

■ Elle n’est pas non plus créée par la combinaison de ces deux possibilités :

En effet, chacune des deux possibilités s’est déjà révélée irrecevable.

■ Elle n’est pas non plus créée dans le cadre des trois temps :

En effet, elle n’est pas créée dans le passé car celui-ci est comme une graine pourrie dont les capacités sont périmées. Elle n’est pas non plus créée dans le futur, ce qui serait comme l’engendrement du fils d’une femme stérile. Elle n’est pas non plus créée dans le présent car il ne serait pas juste que le produit et le producteur y soient simultanés.
Ainsi est-il dit dans La Précieuse Guirlande :

N’étant pas trouvée dans les deux modes de création
Ni dans les trois temps,
L’appréhension du « je » n’est rien.

Dans cette citation, « ne pas être trouvée » a le sens de « ne pas être créée ».

-> Le soi de la personne est introuvable

On peut aussi comprendre la réfutation du soi de la personne de la façon suivante, en s’interrogeant sur le lieu d’existence de cette entité : est-ce le corps, l’esprit ou le nom ?
Nous allons examiner ces trois possibilités.

■ Observons si le soi de la personne est dans le corps :

Le corps a la nature des quatre éléments : la solidité du corps est l’élément terre ; ses fluides sont l’eau ; sa chaleur est le feu ; et sa respiration et ses mouvements sont le vent. Dans ces quatre éléments, il n’y a pas de soi ni d’esprit individuel, pas plus que dans ces mêmes éléments extérieurs .

■ Observons si le soi de la personne est dans l’esprit :

Cet esprit ne consiste en rien de réel : il n’est visible ni par lui-même ni par d’autres. Puisque l’esprit lui-même est inconsistant, il n’a pas la consistance du soi de la personne.

■ Observons si le soi ou l’esprit individuel est dans le nom :
Le nom, notre nom propre est une désignation accidentelle qui n’a pas de consistance substantielle et est sans rapport avec le soi de la personne.

Ces trois raisons mettent aussi en évidence l’inconsistance du soi de la personne ou esprit individuel.

1.2 La réfutation du soi des phénomènes

La réfutation du soi des phénomènes comprend deux parties : l’exposition de l’inconsistance des objets appréhendés extérieurement et l’exposition de l’inconsistance de l’esprit qui, intérieurement, appréhende.

A. LA VACUITE DES OBJETS EXTERIEURS

Certains prétendent que les objets extérieurement appréhendés consistent en des choses réelles.
Ainsi, pour les « particularistes »  :

Des atomes existent ; ils sont fondamentalement sphériques, insécables, et existants substantiellement ; les objets sont leurs assemblages, il y a des intervalles autour de ces atomes ; et l’apparence unifiée qu’ont les objets est analogue par exemple à celle de la queue d’un yack ou à celle d’une prairie dont l’unité vient de l’assemblage des éléments, crins ou brins d’herbes, qui les constituent. L’apparence de la cohérence des objets constitués par ces atomes résulte du karma des êtres.

Les « tenants des sutras »  disent eux :

Il n’y a pas d’intervalle autour des atomes et ils sont en relation, sans pourtant être en contact.

Néanmoins, malgré ces affirmations, les atomes sont inconsistants. En effet, un atome devrait être soit un, soit multiple.

-> Supposons qu’il soit un.

Est-il ou non divisible en directions ?

Si oui, il aurait un est, un ouest, un sud, un nord, un dessus et un dessous : il aurait six parties, ce qui détruirait son unicité, intégrité en soi, comme entité. S’il n’est pas divisible en directions, il faudrait alors que tous réels soient essentiellement un seul atome, ce qui, bien évidemment, n’est pas le cas.

Dans La Discrimination des Vingt, il est dit :

Si l’on applique la division en six à son unicité,
L’atome devient sextuple ;
Si l’on comprend ses six parties individuellement,
Sa masse est réduite en particules

->Supposons maintenant qu’il soit multiple.

S’il pouvait avoir une consistance en tant qu’un, le regroupement de ces « uns » pourrait avoir une consistance comme multiple. Mais comme il n’a pas de consistance comme « un », le multiple, leur regroupement, n’en aura pas non plus. Ceci met en évidence que les particules atomiques n’ont pas de consistance substantielle et que, du fait que les objets extérieurs ont la même nature qu’eux, ils sont aussi inconsistants.

– Mais, alors, vous demanderez-vous, qu’est-ce qui est là maintenant et qui nous apparaît manifestement ?

– C’est notre propre esprit qui s’illusionne. Ces objets qui nous apparaissent comme extérieurs s’élèvent comme tels en notre esprit et sont ainsi « apparences ».

– Comment comprendra-t-on qu’il en est ainsi ?
– On le comprendra par les écrits, le raisonnement et des exemples .

-> L’autorité des écrits

Dans Le Sûtra Général, il est dit :

Ô fils des victorieux,
Les trois états d’existence ne sont qu’esprit !

Et dans Le Sûtra du Voyage à Lanka :

L’esprit mû par ses propensions
Fait apparaître l’apparence de choses ;
Ce ne sont pas des choses existantes,
Elles sont l’esprit même ;
Les voir comme choses extérieures est erroné.

->Le raisonnement logique

Dans sa déduction, les apparences extérieures sont le sujet considéré, la thèse soutenue est que ce sont des apparences illusoires de l’esprit, les raisons invoquées étant :

Que l’on peut faire l’expérience de l’apparence de quelque chose qui n’existe pas comme les cornes d’un homme ou un arbre que l’on a imaginé ;

Que ce qui existe peut ne pas être apparent ;

Que les apparences changent et s’en vont, évoluant par la force des circonstances ou par les pouvoirs de la méditation ;

Qu’une même chose peut apparaître différemment – par exemple selon les six mondes.

Ces raisons mettent en évidence que ce qui nous apparaît est uniquement illusoire.

->Les exemples.

Les apparences sont semblables à un rêve, à une illusion et à d’autres exemples.
Ces explications mettent en évidence l’inconsistance des objets extérieurs appréhendés.

B. LA VACUITE DE L’ESPRIT INTERIEUR

Certains  affirment que l’esprit intérieur qui appréhende ces objets consiste réellement en une lucidité auto-connaissante.

Malgré cette affirmation, trois raisons vont nous montrer que l’esprit est inconsistant : il est inconsistant dans l’analyse instantanée ; il n’a pas de consistance réelle car personne ne l’a jamais vu ; enfin, il est inconsistant car il n’a pas d’objet.

->L’inconsistance de l’esprit qui intérieurement appréhende est révélé par une analyse dans l’instant.

Expliquons ce premier point : cet esprit de lucidité auto-connaissante dont l’existence est affirmée, existe-t-il en un instant unique ou en une multiplicité d’instants ?

■ Première hypothèse : il a une existence en un instant unique.

– Celui-ci a-t-il alors des parties en termes des trois temps ou n’en a-t-il pas ?
– Dans le premier cas, son unicité serait inconsistante et se réduirait à la multiplicité.

Ce que nous dit La Précieuse Guirlande :

Un instant a une fin ;
De même faut-il l’analyser en termes de début et de milieu ;
En l’examinant ainsi il est triple, et pour cette raison,
Le monde ne saurait demeurer en un instant unique.

– Dans le second cas, s’il n’avait pas de parties en termes des trois temps, cet instant se réduirait à quelque chose d’inexistant.

Pour ces raisons, l’instant unique étant inconsistant, l’esprit [de luminosité auto-connaissante supposé y exister] est aussi inconsistant.

■ Deuxième hypothèse :

Supposons que cet esprit de luminosité auto-connaissante ait une existence dans une multiplicité d’instants : si un instant unique avait une consistance, il pourrait y avoir par accumulation de ceux-ci une multiplicité d’instants consistants. Mais puisque l’instant unique est inconsistant, la multiplicité – leur accumulation – l’est aussi. La multiplicité d’instants étant ainsi inconsistante, l’esprit [de lucidité auto-connaissante supposé y exister] l’est aussi.

->L’inconsistance de l’esprit qui intérieurement appréhende est justifiée par le fait que personne l’ai jamais vu.

Expliquons ce deuxième point : on recherche où pourrait-être ce que l’on appelle l’esprit : est-il dans le corps, hors de celui-ci, entre les deux ? Est-il dans sa partie supérieure ? Inférieure ?

On examinera bien comment il se présente en termes de forme, de couleur ou autres, et on poursuivra ces recherches jusqu’à ce qu’une certitude naisse en nous. On les conduira en changeant progressivement de sujets d’investigations, qui seront connus à partir des instructions orales du Lama. Mais quel que soit « ce comme quoi » on le recherche, on ne peut ni voir ni trouver cet esprit : il n’est pas visible, n’a aucune caractéristique en termes de couleur ou de quoi que ce soit de réel. Et ce n’est pas que l’on ne voit ni ne trouve « ce » qu’il serait, c’est que le chercheur lui-même est ce qui est recherché, ou encore que cet esprit est au-delà du domaine de l’intellect propre à un chercheur : il dépasse les objets du discours, de la pensée, de la connaissance, et de l’expression. C’est pourquoi il ne peut être vu où qu’il soit recherché.

Cela est exprimé dans Le Sûtra des Questions de Eusoung :

Eusoung, l’esprit n’est ni intérieur ni extérieur,
Et n’est pas non plus repérable entre les deux.
Eusoung, l’esprit ne peut être analysé, ne peut être montré,
Ne peut être pris comme un appui, n’est pas apparent,
N’est pas connaissable en mode dualiste, n’est pas localisable.
Eusoung, l’esprit n’a été vu, n’est vu, ni ne sera vu, par aucun bouddha.

Et, dans Le Sûtra Parfait Détenteur du Saint Dharma :

L’esprit est fiction et apparence superficielle :
Ayant bien compris qu’elles ne sont pas des choses vraiment existantes,
On ne les appréhendera pas comme ayant une réalité essentielle ;
Elles sont vides d’essence.
Ces phénomènes vides d’essence n’ont pas de consistance.
Tous les phénomènes sont désignations conceptuelles.
Ayant bien exposé cette nature et récusé les conceptions dualistes,
Les sages feront l’expérience de la voie du milieu.
Evacuer « l’essentialité » des phénomènes est la voie de l’éveil ;
Elle est ce que j’enseigne.

Et, dans Le Sûtra de la Nature Immuable, il est dit :

Tous les phénomènes naturellement sont sans production,
Essentiellement ils sont sans localisation.
Ils sont au-delà de toute détermination d’action et d’acte,
Transcendant le domaine de la pensée et de la non-pensée.

Ainsi, puisque personne ne voit cet esprit, affirmer qu’il est lucidité auto-connaissante n’a pas de sens.
C’est ce qu’exprime L’Introduction à la Vie de Bodhisattva :

Lorsqu’une chose n’a jamais été vue par qui que ce soit,
Sa lucidité ou sa non-lucidité
Sont comme la prestance du fils d’une femme stérile :
Même si l’on en parle, cela n’a pas de sens.

Et aussi Tilopa :

Ô merveille !
Cette auto-connaissance immédiate transcende les voies de la parole,
Elle n’est pas du domaine de l’expérience mentale.

->L’inconsistance de l’esprit qui intérieurement appréhende justifiée par son absence d’objet

Expliquons ce troisième point : il a été montré précédemment que les formes et autres objets appréhendés extérieurement sont inconsistants ; corollairement, l’esprit intérieur qui les appréhende l’est aussi.

Dans Le Chapitre de l’Exposition de l’Indissociabilité de la Nature de la Sphère Absolue, il est dit :

Cet esprit n’est ni bleu ni jaune ni rouge ni blanc
Ni bordeaux ni translucide comme le cristal.
Pas plus qu’il n’est ultime ou non ultime,
On ne peut dire qu’il soit permanent ou impermanent,
Qu’il ait une forme ou n’en ait pas.
Comprends-le distinctement.

L’esprit n’est pas quelque chose qui ait une forme, il n’est pas montrable, ni permanent ni saisissable ; il n’est pas connaissable en mode dualiste ; il ne demeure pas à l’intérieur ni à l’extérieur, et ne demeure pas non plus entre les deux. Comme il est parfaitement pur et parfaitement inconsistant, il n’y a rien dont il faille le libérer : il a la nature de la sphère absolue.

Et aussi, dans L’Introduction à la Vie de Bodhisattva :

Quand il n’est pas de connu,
Quel connaisseur,
Et avec quelle connaissance,
Pourrait exprimer quoi que ce soit ?

Et encore :

Si l’on ne pose pas un connu,
Pour sûr, il n’est de connaisseur.

2. La réfutation de l’inexistence des choses saisies

– Puisque ces deux entités ne consistent en rien de réel, ne sont-elles pas irréelles ?
– Elles n’ont pas non plus de consistance irréelle.

– Pourquoi cela ?
– Si ces deux entités ou cet esprit dualiste avaient d’abord existé comme choses réelles qui soient ultérieurement devenues inexistantes, il serait alors juste de les dire irréelles. Mais ces deux entités ou ce que l’on appelle l’esprit dualiste sont des phénomènes qui n’ont jamais eu de consistance propre. Ils sont de ce fait au-delà des déterminations extrêmes de l’existence ou de l’inexistence comme choses réelles.

Saraha dit :

Appréhender une réalité est être comme un animal,
Mais appréhender l’irréalité est encore bien plus bête.

Dans Le Sûtra du Voyage à Lanka :

La réalité extérieure n’est ni existante ni inexistante ;
L’esprit, lui, est complètement insaisissable ;
Abandonner à leur égard toutes perspectives
Est la caractéristique de l’incréé.

Et dans La Précieuse Guirlande :

Quand la réalité est à jamais introuvable,
Où serait l’irréalité ?

3. Le défaut de la saisie des choses comme non existantes

Nous venons de voir que l’appréhension des choses comme réelles est la racine de l’existence cyclique ; il est légitime à ce point de se demander si les considérer comme irréelles ne nous en délivrerait pas. En fait, cette deuxième perspective est encore pire que la première, comme l’exprime Saraha :

Appréhender une réalité est être comme un animal,
Mais appréhender l’irréalité est encore bien plus bête.

Aussi est-il dit dans La Superposition des Rares et Sublimes :

Eusoung, les conceptions personnalistes sont une montagne :
Il est facile de les localiser ;
Mais les conceptions de la vacuité
Qui prétendent à une expérience authentique
Ne le sont pas.

Il est dit aussi :

Un regard erroné sur la vacuité
Nuit aux connaissances qui lui sont inférieures.

Et aussi dans La Racine de la Compréhension Supérieure :

Quiconque conçoit la vacuité est incurable.

– Pourquoi est-il incurable ?

– Prenons un exemple : si l’on administre à un malade un remède dépuratif, il sera guéri s’il élimine et le mal et le dépuratif ; mais si le dépuratif n’est pas assimilé, même si la maladie est éliminée, le malade ne s’en remet pas et périt. De même, les conceptions réalistes peuvent être consumées par la méditation sur la vacuité. Mais si quelqu’un s’attache à la vacuité en la concevant, ce témoin du vide plonge dans le vide, et prend la direction des existences infortunées.

Il est dit dans La Précieuse Guirlande :

Les tenants de l’existence vont vers les états supérieurs,
Les tenants de l’inexistence vont vers les états infortunés,
Et cette dernière perspective est bien pire que la première.

4. Les défauts des deux types de saisies

En fait, l’appréhension de l’existence comme celle de l’inexistence des phénomènes sont toutes deux défectueuses car elles nous font tomber dans les extrêmes de l’éternalisme et du nihilisme.

Dans La Racine de la Compréhension Supérieure, il est dit :

L’existence [d’une réalité] est la perspective éternaliste;
L’inexistence [ou irréalité] est la perspective nihiliste.

C’est ce que dit La Précieuse Guirlande :

Appréhender ce monde semblable au mirage
Comme existant ou inexistant est l’ignorance ;
Or, celui qui est dans l’ignorance ne sera libéré.

5. La voie de la libération

– Mais alors, qu’est-ce qui nous libèrera ?
– Sans demeurer dans les extrêmes de l’existence et de l’inexistence, c’est la voie du milieu qui nous libèrera.
Il est dit dans La Précieuse Guirlande :

Connaître parfaitement l’ainsité ultime
Sans prendre appui sur le dualisme nous libérera
« L’ainsité ultime » signifie que tous les dharmas sont à jamais incréés.
« Le dualisme » est la double perspective : éternaliste et nihiliste.
« La libération » est la libération du samsâra.

Et aussi :

Sans appui dualiste, on est libéré.
« Les appuis dualistes » sont les déterminations
éternaliste et nihiliste.

Et encore, dans La Racine de la Compréhension Supérieure :

C’est pourquoi le sage ne se place
Ni dans l’existence ni dans l’inexistence.

– Demanderiez-vous alors : quelle est cette voie du milieu qui abandonne les extrêmes ?

– Il est dit dans La Superposition des Nobles Rares et Sublimes :

– Qu’entend-on par la juste application des bodhisattvas au dharma ?
– C’est leur parfaite compréhension de chaque phénomène dans la voie du milieu.
– Qu’entend-on par leur parfaite compréhension de chaque phénomène dans la voie du milieu ?
– La permanence est un extrême ; l’impermanence est le second. Le « milieu » de ces deux extrêmes n’est ni analysable ni montrable ni apparent ni connaissable en mode dualiste et c’est que l’on entend par la parfaite compréhension de chaque phénomène dans la voie du milieu.
L’entité-ego est un extrême ; le non-ego, l’absence d’entité, est le second. Le « milieu » de ces deux extrêmes n’est ni analysable ni montrable ni apparent ni connaissable en mode dualiste et c’est ce que l’on entend par la parfaite compréhension de chaque phénomène en la voie du milieu.
Le samsâra est un extrême ; le nirvâna est le second. Le « milieu » de ces deux extrêmes n’est ni analysable ni montrable ni apparent ni connaissable en mode dualiste et c’est ce que l’on entend par la parfaite compréhension de chaque phénomène dans la voie du milieu.

Shântideva dit aussi :

L’esprit n’est ni intérieur ni extérieur ni ailleurs.
Il est introuvable ; il n’est ni dans une combinaison de ces possibilités,
Ni nulle part en dehors.
Il n’est aucunement signifiable comme « tel » ;
C’est pourquoi la nature des « êtres doués d’esprit » est nirvâna.

Ainsi, ne pas concevoir de paires d’extrêmes est pratiquer la voie du milieu ; mais ce « milieu » est lui-même inconcevable, fondamentalement dépourvu de connaissance qui l’appréhenderait comme « cela » : il se situe dans la transcendance de l’esprit conceptuel.

Atisha dit :

L’esprit passé a cessé et est révolu,
L’esprit à venir n’est ni né ni venu,
Quant à l’esprit présent, il est fort difficilement concevable :
Sans couleur, dépourvu de forme, inconsistant comme l’espace.

Il est dit aussi dans L’Ornement de la Véritable Libération :

On la nomme « vertu libératrice de compréhension supérieure »
Car elle n’est pas dans les déterminations de « l’ici » ou de « l’au-delà »,
Ni ne se situe entre les deux :
Elle se connaît dans le temps de l’équanimité.

6. La nature de la libération, le nirvâna

– Si tous les phénomènes de l’existence n’ont aucune consistance réelle ou irréelle, ce que l’on appelle nirvâna est-il une réalité ou une irréalité ?

– Ceux qui ont des références pensent que le nirvâna est une réalité. Mais ce n’est pas le cas.

La Précieuse Guirlande dit :

Si le nirvâna n’est pas une irréalité,
Comment pourrait-il être une réalité ?
De plus, s’il était une chose réelle, le nirvâna serait un composé,
Et s’il était composé, finalement il serait détruit.

Ainsi il est dit dans La Racine de la Compréhension supérieure :

Si le nirvâna était réel, le nirvâna serait un composé.
Cela est enseigné en ces termes et bien d’autres.
Mais il n’est pas non plus irréel.

Dans ce même texte, il est dit :

Il n’est pas non plus quelque chose qui serait irréel.

– Mais alors, qu’entendez-vous par là ?
– La fin de tout esprit conceptuel qui appréhende une réalité ou une irréalité, cet au-delà de l’esprit conceptuel, inexprimable, est ce que l’on entend par nirvâna.

Et aussi dans La Précieuse Guirlande :

La fin de l’appréhension d’une réalité
Ou d’une irréalité est appelée nirvâna.

Et dans L’Introduction à la Vie de Bodhisattva :

Quand le doublet réalité-irréalité
Ne prend pas place dans l’esprit conceptuel,
Celui-ci n’a alors d’autre dichotomie,
Et s’apaise parfaitement en l’absence de références.

Dans Le Sûtra des Questions du Noble Brahma, il est dit :

Le parfait nirvâna est la complète disparition
De tout concept, l’absence de tout mouvement.

Et dans Le Blanc lotus de l’Enseignement Sacré :

Eusoung, intégrer en soi l’égalité de tous phénomènes est le nirvâna.

Ainsi, le nirvâna est simplement la disparition de la mise en place de l’esprit conceptuel, et il ne consiste en aucune chose qui soit créée, finie, obtenue, abandonnée ou autres.

Ce qui apparaît dans La Racine de la Compréhension Supérieure :

Ni abandon ni obtention,
Ni nihilisme ni éternalisme,
Ni cessation ni création,
C’est le nirvâna.

Ainsi, n’ayant ni création ni cessation ni abandon ni obtention… n’étant pas quelque chose, il n’y a rien que ce nirvâna fasse, change, ou modifie.

Ce qui est dit dans Le Sûtra des Joyaux Célestes :

Il n’y a rien à dissiper, rien à ajouter.
Regarde parfaitement l’ultime perfection :
Voir parfaitement libère complètement.

Ainsi ces mots : « compréhension supérieure » ou « connaissance de notre propre esprit » existent du point de vue des discriminations de la pensée, alors que la compréhension supérieure, le sens de l’esprit, transcende ce qui peut en être connu et ce qui peut en être dit.

Dans Le Sûtra des Questions de Rabkitsèlgui Namparnènpa, il est dit :

La perfection de compréhension supérieure
Ne peut être exprimée par aucune chose,
Elle est au-delà de tous les mots.

Et aussi dans La Louange de Dratchendzinn à la Mère :

La perfection de la compréhension supérieure est indicible,
Impensable et inexprimable.
Elle a « l’essentialité » de l’espace, incréé et sans fin.
Elle est du domaine de la connaissance primordiale
Qui se connaît elle-même.
Hommage à la mère des victorieux des trois temps.

Ainsi s’achève l’explication de ce qu’il faut connaître de la compréhension supérieure.

VI – Ce qui doit être pratiqué

Si tous les phénomènes sont vacuité, nous pouvons nous interroger sur l’utilité de pratiquer pour réaliser ce que nous avons compris ?

C’est nécessaire. Prenons un exemple : le minerai argentifère a la nature de l’argent, néanmoins l’argent n’apparaitra pas, aussi longtemps que le minerai n’aura pas été raffiné. Si l’on veut de l’argent pur, il faut en raffiner le minerai ! De même, tous les phénomènes ont depuis toujours la nature de la vacuité au-delà de toute conception, mais ils apparaissent aux êtres comme de multiples choses réelles qui leur font éprouver différentes souffrances. C’est pourquoi il est nécessaire qu’ils comprennent et pratiquent la compréhension supérieure.

Cela se fait en quatre étapes :

– les préliminaires,
– la pratique principale,
– l’intégration,
– les signes de succès dans la pratique.

1. Les préliminaires

Les préliminaires consistent à laisser l’esprit venir en son état naturel.

– Comment y vient-il ?
– Il est dit dans La Perfection de la Compréhension Profonde en Sept Cent Stances :

Fils ou filles de la lignée, dans un endroit isolé,
Asseyez-vous sur un coussin et, en l’absence d’occupations distrayantes,
Soyez heureux, ne fabriquez mentalement aucun concept,
Prenez la posture, restez en place…

On pratiquera ainsi et selon les pratiques préliminaires à mahâmudrâ.

2. La pratique principale

Les méthodes de la méditation assise, conformément aux directives de la tradition de mahâmudrâ, sont de demeurer libre d’effort et de contrainte, sans concevoir quoi que ce soit : ni existence ni non existence ni chose à pratiquer ni chose à abandonner.

Ainsi Tilopa dit :

Sans concevoir, sans penser, sans prendre connaissance,
Sans méditer, sans analyser, reste tel quel.

Et dans Le Repos de l’Esprit :

Ecoute, Fils ! Quelque pensée que tu aies,
N’y lie pas le moi et ne l’en libère pas.
Pour ce faire, sans distraction, sans artifice, « laisse être ».
O merveille ! Laisse se reposer ce qui t’épuise.

Et aussi Nâgârjuna :

Quand l’éléphant a été apprivoisé, son esprit est stable.
Pareillement, quand on arrête les allées et les venues [de l’esprit],
La tranquillité vient d’elle-même.
Combien faut-il de dharma pour comprendre cela ?

Il dit aussi :

Ne pense rien ; ne conçois rien ; ne suscite aucun artifice ;
Demeure dans la détente naturelle.
Sans artifice, s’accomplit la nature de l’inné.
Telle est la voie qu’ont suivie tous les victorieux des trois temps.

Ritreu Ouangtchou dit aussi :

Sans rien regarder comme défectueux, pratique ce qui n’est rien.
Ne désire pas de signes, qu’ils soient de chaleur ou autres.
Bien qu’il soit enseigné qu’il n’y a rien à méditer,
Ne te laisse pas aller à la paresse ou à l’indifférence,
Et médite constamment avec attention.

Et dans La Réalisation du Sens de la Méditation :

Lorsqu’on médite, on ne médite rien ;
Néanmoins, au niveau conceptuel, cela s’appelle méditer.

Et aussi Saraha :

Abandonne tout ce à quoi tu es attaché ;
Lorsque c’est réalisé, c’est tout.
Et au-delà de cela,
Il n’est personne qui connaisse quoique ce soit d’autre.

Et Atisha :

Profonde et au-delà des concepts est l’ainsité.
C’est la claire lumière, non composée, incrée, infinie.
Pure depuis toujours, l’ultime sphère du nirvâna naturel,
Sans centre ni périphérie.
L’œil de l’esprit non conceptuel ayant disparu :
Sans vouloir et sans pensée,
En l’absence de torpeur, d’agitation et de trouble,
Contemple-la.

Et aussi :

En la sphère absolue libre de tout concept,
Repose, connaissant, libre de tout concept.

Rester ainsi est la méthode juste pour pratiquer la vertu libératrice de compréhension supérieure, ce qui est exprimé aussi dans La Perfection de la Compréhension Supérieure en Sept Cents Stances :

Ni saisir ni appréhender ni rejeter aucune chose
Est méditer la perfection de compréhension supérieure.
Ne se poser sur quoi que ce soit, ne pas prendre de référence conceptuelle
Est méditer la perfection de compréhension supérieure.

Et aussi dans Les Huit Mille Stances des Nobles :

Cette méditation de la perfection de la compréhension supérieure
Est de ne méditer aucune chose.

Et dans ce même sûtra :

Méditer la perfection de la compréhension supérieure
Est méditer l’espace.

– Et dans ce cas, comment méditer l’espace ?
– Il est dit dans ce même sûtra :

L’absence de pensée en l’espace
Se compare à l’absence de pensée
En la perfection de la compréhension supérieure.

Et aussi dans Le Résumé des Nobles :

Ne concevoir ni création ni non-création
Est la suprême activité de la perfection de la compréhension supérieure.

Le Maître Ngagui Ouangtchou dit aussi :

Ne pense pas à penser ni ne pense à ne pas penser ;
Sans penser pensée ou non-pensée, la vacuité sera vue !

– Comment la vacuité sera-t-elle vue ?

– Il est dit dans Le Sûtra qui Résume Parfaitement l’Enseignement :

Voir la vacuité n’est pas voir.

Aussi :

Le Bouddha ne voit aucun phénomène ; c’est l’ultime vision.

Et aussi :

Ne rien voir est voir l’ainsité.

Et encore dans Le Petit Traité de la Voie du Milieu :

Ne pas voir est voir.

C’est ce qu’enseignent les sûtras très profonds ainsi que Le Résumé des Nobles :

« Voir l’espace » est, dans le vocabulaire des êtres,
Une excellente expression.
Qu’est-ce que « voir l’espace » ? Examine ce que cela signifie !
Voir ainsi les choses est ce qu’enseigne le Tathâgata.

3. L’intégration

Dans la méditation après les sessions, regarde tout comme une illusion, et, par le don et les autres perfections, cultive le plus possible le domaine des vertus.

Ce que dit Le Résumé des Nobles :

Celui qui connaît les cinq agrégats
Comme étant semblables à une illusion,
Qui ne fait pas comme si illusion et agrégats étaient différents
Et qui, sans conceptualisation, agit en paix,
Celui-là est dans l’action suprême
De la perfection de la compréhension supérieure.

Et dans Le Sûtra Royal du Samâdhi :

L’acteur d’illusions projette des formes :
Chevaux, bœufs, chars, et une multitude d’autres choses,
Mais ces apparences ne sont rien de ce comme quoi elles apparaissent.
Comprends que tous les phénomènes sont semblables à ces apparences.

Et aussi dans L’Ainsité de l’Action :

Même si la non-conceptualisation est présente dans ton intellect,
N’interromps pas la pratique des vertus.

Ainsi, par cette pratique, les méditations assises et dans l’action deviendront indissociables, et l’on sera libre d’attitude suffisante.
Il est dit :

On n’aura pas la vanité de se dire : « je suis en absorption »,
Ou encore : « j’en suis sorti ».
– Pourquoi cela ?
– Parce que l’on saura que les états méditatifs de l’absorption assise ou de la pratique dans l’action sont dans la nature des choses.

Rester, ne serait-ce qu’un seul instant, en cet état de la perfection de la compréhension supérieure, l’ultime vérité de la vacuité, est un bienfait incommensurablement supérieur à ceux que l’on pourrait obtenir, fût-ce pendant un cycle cosmique, en écoutant l’enseignement, en pratiquant les récitations, ou par le don et les autres sources de vertus.

Ce que dit Le Sûtra de l’Exposition de l’Ainsité :

Shâripu, celui qui médite,
Serait-ce le temps d’un claquement de doigts,
L’absorption en l’ainsité,
Développe plus de bienfaits que celui qui étudie,
Fût-ce pendant un kalpa.
C’est pourquoi, Shâripu,
Il faut avec insistance enseigner à autrui cette absorption en l’ainsité.
Shâriputra, tous les bodhisattvas prédits comme futurs bouddhas
Ne demeurent qu’en cet état.

Et aussi dans Le Sûtra du Développement de la Grande Réalisation :

Rester absorbé un seul instant en la méditation juste
A plus de sens que de donner vie aux êtres des trois états d’existence.

Et aussi dans Le Sûtra du Grand Tsouktor :

Une journée de méditation du sens fondamental du dharma
A plus de bienfaits
Que de nombreux cycles cosmiques d’étude et de réflexion.

– Pourquoi cela ?
– Parce que c’est par celle-ci qu’on laisse au loin la route des naissances et des morts.
Ce qui est suggéré aussi, dans Le Sûtra de l’Introduction à la Confiance :

Le yogi qui médite durant une session sur la vacuité
Développe plus de bienfaits
Que tous les êtres des trois états d’existence ne le font,
Durant toute leur vie, avec des choses matérielles.

Si le sens fondamental de la vacuité n’est pas en notre esprit, il fut enseigné que ce ne sont pas les autres vertus qui nous délivreront de l’ego.

Il est dit dans Le Sûtra qui Expose la Non-apparition des Phénomènes :

Garderait-on longtemps la discipline
Et pratiquerait-on la méditation pendant un million de cycles cosmiques,
Si l’on ne réalise pas cette ultime conclusion,
Ces pratiques de l’enseignement ne nous libèreront pas.
Qui connaît le dharma de la non-existence
Jamais ne s’attache à aucun dharma.

Et dans Le Dixième Cycle de Saïnyingpo :

Coupe court aux doutes en pratiquant la méditation ;
Il n’y a rien d’autre qui puisse le faire,
C’est la raison pour laquelle elle est suprême,
C’est pourquoi les sages y persévèrent.

Et aussi dans le même texte :

Il y a plus de bienfaits à méditer pendant une journée
Qu’il n’y en a à écrire, écouter, expliquer
Et réciter les enseignements pendant un cycle cosmique.
Si l’on a la réalisation du sens fondamental de la vacuité,
Il n’y a aucun enseignement qui n’y soit inclus.

-> C’est entrer en refuge

Il est dit dans Le Sûtra des Questions de Madreupa :

Les bodhisattvas connaissent tout phénomène comme étant dépourvu d’entité, d’être, de principe vital, et de personne. Ils sont ainsi en parfaite concordance avec la non-vision des tathâgatas pour qui il n’est ni forme, ni caractéristique, ni chose. C’est ainsi qu’ils prennent refuge en le bouddha avec un esprit sans matérialisme.
La nature essentielle du Tathâgata est la sphère absolue. La sphère absolue est dite concorder avec la totalité des phénomènes. Les bodhisattvas voient que tous les phénomènes concordent avec la sphère absolue. C’est dans une telle vision qu’ils prennent refuge en le dharma avec un esprit sans matérialisme.
Pour ceux qui méditent la sphère absolue comme non composée ou qui, dans la voie des Auditeurs, s’appuient sur la non composition, ne pas faire de dualisme entre composé et non composé est entrer en refuge en le sangha avec un esprit libre du matérialisme.

->C’est le coeur esprit éveillé

Il est dit dans Le Sûtra du Grand Etat d’Esprit Eveillé:

Eusoung, tous les phénomènes, dépourvus de caractéristiques,
Semblables à l’espace,
Sont depuis toujours claire lumière parfaitement pure.
Voir ainsi est ce qui est nommé le cœur esprit éveillé.

->La pratique d’une déité, sa phase de génération, la récitation de son mantra ou la réalisation de vacuité, y est aussi incluse

Le Tantra d’Hevajra dit :

Sans méditation, il n’est pas non plus de méditant,
Ni de déité ni de mantra.
Mais en la nature de l’esprit non conceptuel,
Déité ou mantra résident parfaitement :
Que ce soit Vairocana, Akshobya, Amogasiddhi,
Ratnasambhava ou Amithâba.

Et dans L’union au Bouddha :

L’état d’union ne vient pas des images,
Statues, et autres représentations ;
C’est par l’effort parfait en l’état de l’esprit d’éveil
Que l’état d’union deviendra déité.

Et aussi, dans Le Sommet Adamantin :

La caractéristique essentielle de tous les mantras
Est celle de l’esprit de tout bouddha :
Ils accomplissent l’essence du dharma.
Conférer parfaitement la sphère absolue
Est dit être la caractéristique de tous les mantras.

-> La pratique du don au feu y est aussi incluse

Il est dit dans Le Tantra Roi du Nectar Secret :

Quelle est la raison du don au feu ?
Le don au feu confère le suprême accomplissement
Et soumet la pensée conceptuelle.
Brûler du bois et d’autres choses n’est pas le don au feu.

->La voie des six vertus libératrices y est aussi incluse

Ainsi, dans Le Sûtra de l’Absorption Adamantine :

Ne pas quitter la vacuité
Inclut les six perfections.

Et aussi, dans Le Sûtra des Questions de Tasangpa Kyéparsèm :

Ne pas penser est le don ;
Ne pas rester dans la discrimination est la discipline ;
Ne pas particulariser est la patience ;
Ne pas prendre et rejeter est l’effort ;
Le non-attachement est la méditation ;
La non-conception est la compréhension supérieure.

Et dans Le Sûtra de Saïnyingpo :

Les sages méditent le dharma de la vacuité :
Ils ne s’appuient ni ne se posent sur rien du samsâra,
Ne se reposent sur aucune existence
Et gardent ainsi la discipline de la parfaite vertu.

Et dans ce même texte :

Lorsque tous les phénomènes ont la même unique saveur
Vide et sans caractéristique,
L’esprit ne se fixe ni ne s’attache à rien,
Et une telle patience a d’immenses bienfaits.
Les efforts persévérants des sages
Consistent à laisser au loin tout attachement
Et à prévenir toute fixation de l’esprit !
C’est ce que l’on appelle l’ultime domaine de la vertu.
Pour le bien et le bonheur de tous les êtres,
Pratiquer la méditation et abandonner ce qui est oppressant,
En dissipant toutes les passions,
Est la caractéristique du parfait sage.

-> Les pratiques d’hommages sont aussi la compréhension supérieure

Il est dit dans Le Sûtra des Joyaux Célestes :

Comme l’eau qui reste dans l’eau,
Ou l’huile dans l’huile ;
La vision parfaite de cette expérience primordiale
Qui se connaît elle-même est hommage.

-> La compréhension supérieure est aussi offrande

Ainsi Le Sûtra de la Rencontre du Père et du Fils dit :

Supportée par le dharma de la vacuité,
Toute aspiration tournée vers le domaine de l’éveil
Est offrande au bouddha : cette offrande est insurpassable.

Et dans Le Tantra Roi du Nectar Secret :

L’offrande qui satisfait fondamentalement
N’est pas faite en adressant encens ou autres !
Purifier justement notre propre esprit
Est la grande offrande satisfaisante.

-> La compréhension supérieure est aussi confession des actions négatives

Ainsi est-il dit dans Le Sûtra de la Parfaite Purification des Actes :

Celui qui désire se confesser se tiendra droit et regardera l’ultime :
Voir parfaitement l’ultime est suprêmes contrition et purification.

-> Le sens de la compréhension supérieure est aussi la préservation des voeux et liens initiatiques.

Ainsi Le Sûtra des Questions de Lhaï-pou dit :

Ne pas avoir la présomption d’être ou ne pas être lié à des vœux
Est la discipline du nirvâna :
C’est la discipline parfaitement pure.

Et aussi, dans Le Sûtra du Dixième Cycle :

Habiterait-il chez lui sans se raser la tête ni la barbe,
Sans porter la robe du dharma et sans se tenir à la discipline,
Celui qui a réalisé la vacuité des Nobles, celui-là,
Je le dis moine en l’ultime vérité. 

-> Le sens de la compréhension supérieure est aussi celui de l’écoute, de la réflexion et de la méditation

Le Tantra de la Parfaite Non-demeure dit :

Celui qui a goûté à la nourriture de l’esprit naturel sans artifice,
Est rassasié de toutes perspectives philosophiques quelles qu’elles soient.
Le vulgaire s’appuie sur des mots et des concepts qu’il ne réalise pas
Et qui sont tous des désignations de son propre esprit.

Saraha dit aussi :

Elle est lecture, elle est compréhension et elle est méditation,
Mais ne consiste pas à retenir des textes :
Il n’est en elle de perspective exprimable.

-> Le sens de la vertu libératrice de la compréhension supérieure est aussi celui des activités rituelles telles que l’offrande de torma.

Le Tantra Roi du Nectar Secret dit :

Sois certain que tous les faits et gestes rituels :
Offrandes, torma et autres, font découvrir l’ainsité de l’esprit
Et y sont tous résumés.

– Puisque toutes ces pratiques se ramènent à la seule méditation de l’essence ou de l’esprit-même, pourquoi les nombreuses progressions méthodiques sont-elles enseignées ?
– Elles le sont pour diriger les vulgaires, ignorants du mode d’être essentiel de l’esprit.

C’est ce que dit Le Sûtra de l’Ornement de la Lumière d’Expérience Primordiale :

Les différentes méthodes de l’enseignement ont été exposées aux ignorants
Pour leur expliquer la vérité des causes et des facteurs,
Et leur exposer une progression graduelle.
Dans l’ultime vérité qui subsiste par elle-même,
Que pourrait-il y avoir qui soit à pratiquer progressivement ?

Dans L’apparition du Lien de Dèmtcho, il est dit :

Une telle nature qui est semblable à l’espace
Est une nature qui est éternellement libre.

Et dans Le Sûtra des Joyaux Célestes :

Aussi longtemps que l’on n’est pas allé
Dans l’océan de la sphère absolue,
Les degrés et chemins spirituels sont distincts ;
Alors qu’une fois que l’on y est,
Il n’y a plus de parcours : ni degrés ni voies.

Et aussi Atisha :

Lorsque ton esprit s’adonne complètement à la méditation,
Ne fais pas des vertus physiques et mentales l’essentiel !

4. Les signes de succès dans la pratique

On devient attentif à la vertu ; les passions décroissent ; de la compassion naît pour les êtres ; on est persévérant dans sa pratique, on abandonne toutes les distractions et, sans se lier à cette vie, on devient libre d’attachement.

C’est ce que dit La Précieuse Guirlande :

S’étant habitué à la pratique de la vacuité,
On devient attentif aux vertus, etc.

VII – Fruits

Les fruits de la compréhension supérieure sont ultimes et temporaires.

(1) le fruit ultime est l’obtention de l’insurpassable éveil.

Ce que dit La Compréhension Supérieure en Sept Cents Stances :

Mañjushrî, en pratiquant la perfection de compréhension supérieure,
Les grands bodhisattvas rapidement s’éveilleront totalement
A l’insurpassable, parfait et complet éveil.

(2) Les fruits temporaires sont l’apparition de tous les bonheurs excellents.

Il est dit dans Le Résumé des Nobles :

Toutes les qualités de bonheurs et de bien-être qui existent :
Que ce soient celles des bouddhas, des bodhisattvas,
Des Bouddha par soi des Auditeurs,
Des dieux, ou de tous les êtres,
Toutes proviennent de la suprême
Vertu libératrice de la compréhension supérieure.

Ainsi s’achève la section consacrée à la vertu libératrice de la compréhension supérieure
dix-septième Chapitre du Joyau Magique,
L’Ornement de la Précieuse Libération.

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