De la colère à la compassion

De la colère à la compassion

Vénérable Bokar Trulkou Rinpoché

  1. De la colère à la compassion
    1. La méditation sur l’amour et la compassion
    2. Les méthodes
    3. Les bienfaits de l’amour et de la compassion

Parmi les nombreuses méthodes enseignées par le Bouddha, si nous voulons n’en retenir qu’une, pratiquons samatha, la pacification mentale ; c’est un chemin pour que les pensées diminuent, perdent de la force dans notre esprit. Toutefois, nous n’avons sans doute pas beaucoup de temps et notre esprit ne demeurera pas très longtemps au repos au cours de cette période. Naturellement, toutes sortes de pensées plus ou moins perturbées l’agitent. Pour remédier à cela, le Bouddha a enseigné autant de méthodes qu’il y a de types de pensées. L’une d’entre elles, qui permet de remédier à tous les types de pensées, est très facile à mettre en œuvre.

La méditation sur l’amour et la compassion

D’une manière générale, nos pensées s’appliquent à trois types d’objets. Il y a, d’une part, les objets et les personnes perçus comme agréables et qui font naître l’attachement ; il y a ceux qui sont perçus comme ni agréables ni désagréables, et envers lesquels nous sommes dans l’aveuglement et ceux qui sont perçus comme désagréables et qui font naître de l’aversion. Développer de l’amour et de la compassion pour les amis et les personnes neutres, c’est possible, mais ce n’est pas très important. Ce qui est important, surtout, c’est de développer de la compassion vis-à-vis des ennemis. Le vrai objet de la compassion, ce doit être notre ennemi.

Lorsque l’on explique ces choses, certaines personnes pensent : « Mais avoir de l’amour et de la compassion pour un ennemi c’est complètement impossible ». D’autres personnes pensent : « Oui, de la compassion, pour un ennemi, c’est possible, mais ça va surtout être bénéfique pour l’ennemi ». Ce n’est pas tout à fait cela. L’amour et la compassion, c’est bénéfique pour l’ennemi bien sûr, mais surtout c’est bénéfique en ce sens que cela va dissiper nos propres souffrances.

Si nous n’avons pas cet amour ou cette compassion pour celui qui est notre ennemi, c’est nuisible pour cet ennemi, mais surtout, il naîtra dans notre propre esprit un fort sentiment d’aversion ou de colère. Si ce sentiment très fort s’installe, même si nous sommes dans une maison confortable et agréable dans laquelle on nous présente un bon repas, où nous sommes entourés d’amis, il n’y aura pas vraiment de bonheur dans notre esprit. Non seulement ce ne sera pas, intérieurement, le bonheur, mais nous allons nous énerver contre les amis qui sont là en disant : « Pour moi, ça ne va pas, je ne vois pas pourquoi ça irait pour vous ». Votre colère est telle que même si, par exemple, vous étiez allongé sur un lit doux et moelleux avec de beaux draps et des couvertures, vous ne pourriez pas dormir.

Ce sentiment de colère sera très nuisible pour l’ennemi car vous allez lui dire des choses désagréables, et peut-être subitement allez-vous aussi agir, mais c’est surtout pour vous-même que cela va créer une grande souffrance.

Si, au contraire, vous avez cet amour et cette compassion pour l’ennemi, d’une part, certainement, vous pourrez lui apporter une certaine aide, mais surtout, ce qui est plus important, cela sera extrêmement bénéfique pour vous. Si vous avez cet amour et cette compassion, vous aurez beau être entouré d’un grand nombre d’ennemis, dans votre esprit il n’y aura pas de souffrance.

Nous avons coutume de diviser le monde entre amis et ennemis. Le Bouddha dit que les choses ne dépendent que de notre propre esprit. Si l’on a amour et compassion, le monde entier devient ami. Si, dépourvu de compassion, notre esprit est haineux, le monde entier devient ennemi.

Supposez que vous soyez dans une pièce dont les murs sont recouverts de miroirs, et que vous entriez dans cette pièce après avoir posé sur votre visage un masque horrible. Partout où vous regarderez, vous verrez quelqu’un d’horrible. Maintenant, vous entrez dans la même pièce, avec un masque présentant un visage doux, agréable et beau ; partout vous verrez un visage doux, agréable et beau. Tout dépend de l’intérieur et non pas de l’extérieur.

Les méthodes

Il y a de nombreuses méthodes pour développer la compassion vis-à-vis d’un ennemi :

– Comprendre que nous avons pris naissance une multitude de fois, qu’au cours de ces naissances tous les êtres ont été, l’un ou l’autre, notre ami, notre père, notre mère, etc. Mais maintenant nous ne voyons pas ceci, et peut-être nous est-il difficile de procéder ainsi.

– Ce que nous pouvons faire alors, par exemple, c’est lorsque nous sommes en face d’une personne ennemie, nous pouvons au moins réfléchir au fait que cette qualité d’ennemi que nous lui attribuons n’est pas quelque chose de permanent, cela peut changer, ce n’est pas forcément toujours un ennemi. Celui qui est actuellement notre ennemi le plus acharné, d’ici quelques mois ou quelques années, sera peut-être notre meilleur ami. Ce n’est pas impossible. Peut-être celui qui est actuellement notre meilleur ami deviendra-t-il un jour notre ennemi. Les choses changent d’instant en instant… les pensées changent d’instant en instant.

– On peut aussi penser d’une autre manière : celui qui fait toutes sortes de choses pour me nuire ne le fait pas librement : il le fait sous l’emprise d’émotions conflictuelles, et il n’a pas la liberté d’agir autrement. Mon ennemi est sous l’emprise du karma et des émotions conflictuelles, moi-même, je suis sous l’emprise du karma et des émotions conflictuelles. La rencontre entre les deux n’est pas librement choisie.

– Voici une autre manière encore de raisonner dans cette situation : habituellement, quand on pense avoir un ennemi, on pense toujours : « J’ai raison et il a tort », ou : « Moi, je suis quelqu’un de bien et lui n’est pas quelqu’un de bien ». C’est vrai, on a peut-être raison, mais on n’a pas forcément raison. Toutes sortes de raisons peuvent n’être que des prétextes avancés par les émotions conflictuelles.

Les bienfaits de l’amour et de la compassion

Cette méthode, qui développe amour et compassion dans notre esprit, ne vainc pas seulement la colère et l’aversion ; elle permet aussi d’apaiser toutes les émotions conflictuelles dans notre esprit. Tout le monde aimera celui qui a vraiment amour et compassion dans son esprit, les membres de sa famille, ses amis, ses voisins. Au contraire, celui qui est toujours coléreux, agressif et désagréable, même s’il donne beaucoup d’or, cela n’apportera aucune joie aux autres, cependant que celui qui a amour et compassion, même s’il ne donne rien, satisfait tout le monde. Il apporte quelque chose d’utile, pour la paix et le bonheur du monde entier. Du simple point de vue de la vie ordinaire, les qualités de l’amour et de la compassion sont très grandes. Du point de vue du dharma, l’obtention de l’état de Bouddha dépend aussi d’elles.

Extrait de la transcription d’un enseignement donné à l’Institut Karma-Ling le 8 juillet 1990.

 

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