Plaisir, déception et accomplissement

Lama Thubten Yeshe

    1. Tantra et jouissance
    2. Images de totalité
    3. Les quatre classes de tantras
    4. Désir et déformation
    5. La source de l’insatisfaction
    6. La solution tantrique
    7. Mise en garde

Lama Thubten Yeshe est né en 1935, près de Lhasa. A l’âge de cinq ans, il entra au monastère de Sera Je, où il reçut une éducation spirituelle et académique, qu’il dut achever en exil, au Nord-est de l’Inde, lieu qu’il gagna après 1959. Il fonda ensuite au Népal un grand centre de méditation, qui attira progressivement un grand nombre d’Occidentaux. Ceux-ci furent ensuite à même de développer une trentaine de centres en Occident, dans lesquels Lama Thubten Yeshe enseigna durant les dix dernières années de sa vie, jusqu’en 1984, lorsqu’il quitta ce monde

Tantra et jouissance

La fonction du tantra est de transformer tous les plaisirs en l’expérience transcendante d’une conscience profonde et pénétrante. Au lieu de préconiser le rejet des plaisirs mondains, ce que font de nombreuses autres voies traditionnelles, le tantra met en relief qu’il est beaucoup plus efficace pour les êtres d’éprouver du plaisir et de canaliser l’énergie de leurs jouissances en une voie rapide et puissante vers l’accomplissement et l’éveil. C’est l’utilisation la plus habile de notre précieux potentiel humain.

Le tantra démontre, grâce à ses méthodes de transformation profonde, qu’en tant qu’êtres humains nous sommes aptes à la jouissance sans limite, à la félicité, tout en restant libres des illusions qui, habituellement, polluent notre quête du plaisir. Contrairement à ce que d’aucuns croient, il n’y a aucun mal à prendre du plaisir. Ce qui est nuisible est notre façon d’appréhender ce plaisir qui, source potentielle de bonheur, n’est plus que source de souffrance et d’insatisfaction. Ce ne sont pas les plaisirs en eux-mêmes qui posent un problème, mais notre revendication et notre attachement. Par conséquent, si nous pouvions nous libérer de cette avidité, nous pourrions trouver le plaisir sans nous heurter aux obstacles qui, le plus souvent, perturbent notre quête.

Une pleine compréhension de la transformation préconisée, quoi que nous fassions de nos journées, peut nous rapprocher de notre objectif de plénitude et d’auto-accomplissement. Toutes nos actions – marcher, manger, et aussi uriner!– peuvent être intégrées à notre démarche. Notre sommeil même, qui, en général, est fait de l’obscurité de l’inconscience ou du chaos des rêves, peut être changé en une lumineuse expérience de la subtile et profonde sagesse.

Tout ceci semble peut-être impossible. Certes, d’autres approches, plus graduelles, dont celles des sûtras dans le bouddhisme lui-même, postulent que le désir, la jalousie et les autres illusions de notre vie quotidienne sont toujours impurs et doivent être traités comme des poisons. On nous rappelle constamment leurs effets dangereux et on nous apprend à éviter autant que possible leur influence. Mais, comme nous l’avons précisé, la voie du tantra est différente. Quoiqu’il affirme lui aussi que les illusions nées de l’attachement soient les sources de notre insatisfaction et de notre souffrance, et doivent, par conséquent, être dépassées, il nous propose des moyens habiles qui utilisent l’énergie de ces illusions pour approfondir notre conscience et accélérer notre progrès spirituel. De même qu’il est possible de transformer des plantes toxiques en médicaments, le pratiquant tantrique habile et bien entraîné peut assurément utiliser l’énergie du désir et même celle de la colère.

Images de totalité

Le tantra non seulement nous apprend à tirer parti de nos expériences agréables courantes, mais nous montre aussi comment vivre une expérience de félicité plus profonde, plus intense et finalement plus satisfaisante que celle que nous permettent nos organes des sens.

Dans notre situation actuelle, notre recherche du plaisir s’applique à des objets extérieurs. Quand nous ne pouvons pas les trouver ou les obtenir, nous sommes frustrés et malheureux.

Par exemple, bon nombre d’entre nous recherchent l’homme ou la femme de leurs rêves, celui ou celle qui soit pour eux la source d’un bonheur infini. Mais quel que soit le nombre de leurs conquêtes, leur désir reste inassouvi. Ce que nous ne réalisons pas est qu’en chacun de nous il y a une source intarissable des deux énergies, masculine et féminine. Nombre de nos problèmes résultent de notre ignorance ou de notre répression de la totalité de ce qui est en nous.

Les hommes essaient de masquer leur pôle féminin, et les femmes craignent d’exprimer leur énergie masculine. Il en résulte que nous nous sentons toujours privés de ce dont nous avons besoin. Ne nous sentant pas complets, nous demandons alors à d’autres êtres de nous donner ce qui nous manque. Il s’ensuit que la plupart de nos comportements sont marqués par l’insécurité et la possessivité.

En fait, tous les problèmes dans le monde, depuis l’anxiété individuelle jusqu’aux guerres internationales, ont leur source dans ce sentiment de n’être pas complet. De grands yogis, ou de grandes yoginis peuvent, s’il le faut, passer des années dans l’isolement sans se sentir seuls. Quant à nous, nous pouvons nous sentir insupportablement seuls quand nous sommes séparés de notre ami ou amie de cœur ne serait-ce que pour une journée ! Pourquoi y a-t-il une telle différence entre les yogis et nous ? Cette différence est liée à nos énergies masculine et féminine. Aussi longtemps qu’elles sont fragmentées et déséquilibrées, nous demeurons insatisfaits, et nous languissons de la compagnie des autres. Si notre mandala masculin-féminin interne était complet, nous n’éprouverions jamais les peines de l’isolement.

Le tantra nous propose de nous ouvrir à notre plénitude. L’art tantrique fourmille de puissants symboles d’unité et de totalité caractéristiques de notre capacité à nous réaliser pleinement. L’image des divinités masculine et féminine en étreinte sexuelle – prise par certains des premiers interprètes occidentaux du bouddhisme tibétain pour une marque de sa dégénérescence – est une représentation symbolique de l’unification intérieure de nos énergies masculine et féminine. A un niveau plus profond, cette étreinte symbolise l’objectif des plus hautes pratiques tantriques : la naissance d’un très subtil et béatifique état d’esprit qui, par sa nature même, est suprêmement apte à pénétrer la réalité ultime et à nous libérer de l’illusion et de la souffrance.

A ce niveau, la représentation masculine est celle de l’expérience de grande félicité, tandis que la représentation féminine est celle de la connaissance non dualiste. Aussi, leur union n’a-t-elle aucun rapport avec la satisfaction des appétits sexuels ; elle indique bien plutôt un état totalement intégré de connaissance béatifique, qui transcende les désirs sensuels ordinaires. Le simple fait de voir une telle image peut aider ceux qui y sont préparés à restaurer le lien entre les aspects masculin et féminin de leur être. Cependant, pour que cette connexion soit rétablie, il faut maîtriser l’influence d’un esprit hyper-intellectualisé. C’est ce type de conceptualisation qui est pour une grande part responsable de notre impression d’être séparé de notre réalité intérieure.

C’est pourquoi les symboles comme ceux qui sont utilisés en art tantrique et en visualisation peuvent être beaucoup plus efficaces que de simples mots pour nous introduire à notre nature essentielle.

Les quatre classes de tantras

Il y a quatre classes, ou niveaux, dans le tantra bouddhique, connus respectivement comme ceux des actes, des comportements, de l’union, et de l’union insurpassable. Chaque classe est destinée à un type spécifique de pratiquant. Ce qui les différencie les unes des autres est l’intensité de l’énergie que le pratiquant a l’habileté de canaliser dans la voie spirituelle. Traditionnellement, ces degrés d’énergie béatifique sont illustrés par les phases successives d’une intimité sexuelle croissante. Ainsi est-il dit que le pratiquant du tantra inférieur est celui qui est capable d’utiliser et de transformer l’énergie de félicité que provoque un simple regard porté sur un partenaire attirant. Au deuxième niveau, c’est l’énergie de l’échange de sourires ou de rires qui est transformée. Au troisième niveau, l’énergie utilisée est celle d’une pression de mains tandis que le pratiquant qualifié du tantra de l’union insurpassable a l’habileté de diriger dans le sentier spirituel l’énergie du désir de l’union sexuelle elle-même. Ces puissantes images nous donnent une idée de la gamme des énergies qui peuvent être canalisées et transformées par la pratique tantrique.

Pratiquement, il nous faut déterminer comment chacun de nous peut mettre en œuvre les techniques de transformation tantrique. Il est aisé de parler de la théorie et de la pratique du tantra, de considérer le désir comme une voie vers l’éveil, mais un tel discours a peu de valeur. Ce qui est vraiment important est de déterminer, par un examen attentif de nos propres attitudes et expériences, la façon dont nous traitons l’énergie de désir à un moment donné. Nous devons nous demander quelle intensité de plaisir sensoriel nous pouvons goûter sans perdre la tête. S’il est vrai que la pratique tantrique peut éventuellement induire un état de conscience subtil et pénétrant qui, par sa nature même, est extraordinairement béatifique, il n’en résulte pas que nous devions satisfaire tous nos désirs sans discrimination sous prétexte qu’ils nous apportent quelque félicité. Si nous voulons que notre pratique du tantra nous conduise à quelque chose qui en vaille la peine, il nous faut être honnête quant à nos limitations actuelles et réalistes quant à nos aptitudes actuelles.

L’un des principaux obstacles au développement spirituel authentique est l’arrogance, particulièrement dans le cas de la pratique tantrique. Nous pouvons croire que puisque le tantra nous invite à utiliser le désir, tout ce que nous avons à faire pour suivre la voie d’un vrai pratiquant est d’assouvir nos appétits incontrôlés, ou d’augmenter la quantité de nos désirs. Certains ont une telle attitude, mais elle est totalement erronée. Nous ne devrions jamais oublier que si se vautrer dans le désir revenait à pratiquer le tantra, nous serions tous d’ores et déjà des yogis et des yoginis hautement évolués ! Bien que notre vie ait été pleine de désirs insatiables nous n’avons fait qu’aboutir à une insatisfaction de plus en plus grande.

Pourquoi est-ce ainsi ? Qu’en est-il de nos désirs ordinaires qui conduisent immanquablement à la frustration et à la déception ? Si nous voulons ignorer ces interrogations, tout ce que nous pouvons dire à propos de l’utilisation du désir comme voie vers l’éveil n’est que plaisanterie.

Désir et déformation

Il est important de comprendre que le type de désir que nous éprouvons en général pour un objet attrayant déforme notre perception de celui-ci. Un exemple évident est celui du désir sexuel. Pour ne citer qu’une seule de ces distorsions, considérons le cas d’un homme qui s’éprend d’une femme. Le désir de l’homme lui fait surévaluer la beauté de la femme à un point ridicule. Plus son désir est obsessionnel, plus l’image qu’il se forme d’elle devient irréaliste. Éventuellement, cette image finit par ne plus avoir aucun rapport avec la réalité, et l’homme finit par être épris non d’une femme mais d’une image qu’il a lui-même créée.

Cette tendance à exagérer et à extrapoler n’est pas l’apanage d’une culture ; c’est un phénomène universel. Lorsque deux personnes se regardent avec l’œil d’un désir excessif, chacune fabrique une histoire incroyable au sujet de l’autre : « Oh, quelle beauté !», ou bien : « Il n’y a en lui rien d’imparfait ni de critiquable !» Ils construisent une perfection mythique. A cause de l’engouement et du désir, chacun est aveugle aux imperfections de l’autre et amplifie ses qualités, au-delà de toute mesure. Cette surestimation n’est qu’une interprétation d’un esprit en proie au désir.

A un degré plus ou moins grand, cette propension à exagérer caractérise tous nos désirs ordinaires. Nous surestimons la beauté ou la valeur de tout ce qui nous attire, perdant de vue sa véritable nature. Nous oublions, par exemple, que cet objet de notre désir, que ce soit une personne ou une chose, se modifie à chaque instant, exactement comme nous-mêmes. Nous agissons comme si, dans l’avenir, l’objet de notre désir devait être toujours beau et désirable et nous donner une joie perpétuelle.

Un tel concept de permanence est, bien sûr, tout à fait irréaliste, et avec un tel état d’esprit, nous ne pouvons qu’être déçus.

Il est important de comprendre que cette notion, habituelle mais erronée, de la permanence de ce que nous estimons désirable n’est pas consciente. Si l’on nous demande : « Penses-tu que ton petit ami, ou ta petite amie, ou ta nouvelle voiture, ou quoi que ce soit, durera toujours et sera toujours désirable ?», nous disons aussitôt : « Bien sûr que non !» Nous sommes trop familiers avec les forces du changement, du déclin, de la vieillesse et de la mort pour répondre autrement. C’est une idée que nous acceptons, avec notre cerveau, mais ce n’est pas encore une réalisation ressentie du fond du cœur. Si nous observons notre attitude profonde, celle du fond du cœur, envers ce que nous désirons, nous découvrons une fixation habituelle sur la permanence, qui demeure fondamentalement inaltérée par quelque compréhension intellectuelle que ce soit du processus de changement. A quel rythme notre cœur ne bat-il pas à l’avance quand nous sommes pris d’un désir ardent pour quelqu’un ou quelque chose ! Serions-nous si agités si nos espérances n’étaient pas irréalistes ?

N’interprétez pas cela mal. Je n’essaie pas d’être acerbe en déclarant que toutes nos idées sont superficielles, et que toutes nos réactions émotionnelles sont perverses. J’essaye seulement d’analyser une situation que chacun d’entre nous a connue, et j’en viens à cette conclusion : bien que nos désirs visent à nous apporter le bonheur, nous demeurons néanmoins insatisfaits.

Si nous ne comprenons pas la raison de cet échec, tous les espoirs que nous pouvons avoir d’utiliser le désir pour acquérir le parfait bonheur de l’accomplissement spirituel sont illusoires.

La source de l’insatisfaction

Qui est-ce qui, ou qu’est-ce qui est donc responsable de notre échec continuel dans l’expérience du bonheur et de la paix désespérément recherchés ? Pour répondre à cette question, examinons attentivement, une fois de plus, la manière dont le désir œuvre d’ordinaire. Ayant, d’une façon ou d’une autre, un sentiment d’incomplétude, d’insécurité et de non-accomplissement, nous cherchons hors de nous-mêmes quelque chose ou quelqu’un qui nous permette de ressentir la complétude. Notre sentiment, conscient ou non, est : « Si seulement j’avais ceci ou cela, je serais heureux !» Avec cette pensée pour impulsion, nous tentons de posséder tout objet attrayant, susceptible de combler nos désirs. Dans ce processus, nous transformons l’objet en idole, magnifiant ses qualités attrayantes au point qu’il n’a presque plus aucune ressemblance avec sa véritable nature. Dans notre tentative de nous approprier cet objet convoité et surestimé, nous pouvons réussir ou échouer.

Si nos efforts échouent, si l’objet reste hors de portée, nous sommes d’autant plus déçus que nous le désirions plus avidement. Si, au contraire, nous sommes vainqueurs, si nous avons gain de cause, ce que nous obtenons se révèle être fort différent de ce que nous espérions obtenir. Ce n’est pas la solution permanente, complète et définitivement satisfaisante de nos problèmes les plus profonds, mais quelque chose qui est aussi imparfait, incomplet et impermanent que nous-mêmes. Cette personne ou cette chose peut, en effet, nous donner quelque plaisir éphémère, mais ne peut pas même commencer à combler les espoirs dont nous l’avions chargée. Alors, tôt ou tard, nous nous sentons escroqués et sommes amèrement déçus.

Revenons-en à la question initiale : qui ou que rendons-nous responsable de notre situation douloureuse ? Quelquefois, nous blâmons sans raison l’objet : « Si seulement elle était plus jolie » ou : « Si seulement elle me considérait mieux », ou : « Si seulement cette voiture était plus rapide ou plus neuve !»… Ce sont ces considérations dualistes qui emplissent notre tête lorsque, déçus par ce que nous avons, nous nous demandons ce qui pourrait le remplacer et nous assurerait le bonheur réclamé. Nous cherchons une autre femme, un autre mari, ou une autre voiture, investissant dans ce nouvel objet des espoirs aussi irréalistes que ceux que nous avions placés dans ce que nous abandonnons maintenant. De cette façon, nous continuons à tourner en rond, changeant ceci et cela dans notre vie, sans toutefois nous rapprocher du bonheur et de la paix de l’esprit désirés.

La solution tantrique

La solution tantrique à ce problème est assez radicale ; elle implique une transformation complète de notre vision ordinaire. Tel est le point central de cette approche. L’énergie de désir qui nous propulse habituellement d’une situation insatisfaisante à l’autre est transmutée, dans l’alchimie du tantra, en une expérience transcendante de félicité et de connaissance. Le pratiquant focalise le faisceau de cette connaissance béatifique de sorte que celui-ci transperce, comme un rayon laser, toutes les fausses conceptions de ceci et cela, et atteint le cœur de la réalité.

Les différents niveaux de confusion et de trouble qui obscurcissent actuellement notre esprit et nous empêchent d’expérimenter la totalité de notre potentiel humain sont systématiquement éradiqués par la force de cette félicité lucide. Ainsi l’énergie du désir est-elle jugulée, de sorte qu’au lieu d’accroître notre insatisfaction, elle en détruit la cause même : notre ignorance fondamentale de la nature de la réalité.

Dans la tradition tantrique tibétaine, cette transformation de l’énergie de désir est illustrée par l’analogie suivante. Il y a des insectes dont on dit qu’ils sont nés du bois, c’est-à-dire que le cycle de leur vie commence avec leur éclosion en profondeur dans le tronc d’un arbre. Ensuite, comme ils grandissent, ils se nourrissent de l’arbre, mangeant le bois même dont ils sont nés. Pareillement, au travers des pratiques de transformation tantrique, le désir donne naissance à la connaissance intérieure, qui, à son tour, consume toutes les négativités obscurcissant notre esprit, y compris le désir dont elle est née.

Ainsi pouvons-nous voir que les fonctions ordinaire et éveillée du désir sont diamétralement opposées. Dans le tantra, l’expérience de bonheur qui surgit du désir élargit notre esprit, de telle sorte que nous dépassons nos limites, alors que d’ordinaire le plaisir qui vient du contact avec des objets désirables rétrécit le champ de notre attention et déclenche une quête obsessionnelle d’autres et d’autres plaisirs. Intoxiqués par les sensations agréables, nous perdons notre vigilance et sombrons dans un état de lourde stupidité. Notre esprit se concentre sur cette quête et plus nous nous y agrippons, plus nous nous séparons de la réalité. Nous pourrions presque dire que, sous le charme d’un désir intense, nous sombrons dans une sorte d’inconscience. S’il nous arrive de nous arracher à cet état quasi-onirique, nous constatons que tout le plaisir que nous avons pu goûter s’est évanoui et que seule subsiste notre insatisfaction.

Autrement dit, normalement, notre expérience du plaisir est sombre, obscurcie par l’ignorance. Bien qu’il puisse y avoir quelque émoi momentané, il n’y a pas de vigilance claire, pas de lucidité. Dans la pratique tantrique, l’idée est d’unifier notre expérience du plaisir et la lucidité. Cette unification est représentée pour nos regards par l’image de déités masculine et féminine s’étreignant. Ceci signifie la réunion des énergies masculine, de la félicité, et féminine, de la connaissance supérieure non dualiste. Finalement, ces deux doivent se rejoindre pour que nous expérimentions l’accomplissement authentique de notre nature la plus intérieure. Comme une telle union de la félicité et de la connaissance n’est pas notre présente habitude, nous devons faire un grand effort pour cultiver cette expérience de la totalité.

Mise en garde

Comme l’habitude de tomber dans un état de lourdeur et de confusion lorsque nous prenons du plaisir est profondément ancrée en nous, il n’est pas raisonnable d’imaginer que nous puissions dès maintenant transformer une intense énergie de désir en une clarté mentale pure et rayonnante. Le tantra est la voie la plus rapide vers la complétude de l’expérience éveillée, mais nous devons progresser par étapes dans cette voie, selon nos capacités, sinon nous allons nous charger d’un fardeau que nous ne sommes pas en mesure de porter, et nous risquons alors de nous trouver dans la situation des pays pauvres qui, dans leurs efforts de modernisation, ont voulu aller trop loin, et trop vite. Souvent, alors, la simplicité et le relatif équilibre de leur vie deviennent confusion. Alors que le but attendu de leur industrialisation rapide était le profit, le résultat manifeste est une recrudescence du manque et de l’insatisfaction.

Pareillement, si notre pratique de la transformation tantrique n’est pas en harmonie avec notre niveau émotionnel et notre capacité mentale – si nous prétendons transformer plus d’énergie de désir que nous sommes aptes à le faire – s’établira en nous un état encore plus confus que celui dans lequel nous sommes en ce moment.

Ce texte est extrait de « Introduction to tantra », by Lama Yeshe, © 1987 Wisdom Publications, que nous remercions pour la présente autorisation de traduction et de reproduction.

 

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