Introduction à la vie de bodhisattva

Introduction à la vie de bodhisattva

(Bodhicaryavattara)

Acharya Santideva (Huitième siècle)

 

Ces ennemis que sont la haine, le désir et les autres,
N’ont ni bras ni jambes, pas plus que sagesse et courage ;
Comment ai-je pu en devenir l’esclave ?
Pendant qu’ils demeurent en mon esprit, ils me nuisent à leur guise ;
Les supporter sans irritation est une pratique déplacée et inférieure de la patience.
Si, d’une façon juste, je m’abandonne respectueusement,
Même ces ennemis deviendront utiles et bienfaisants.
Tandis que si je dépends de ces émotions conflictuelles,
Elles me nuiront ultérieurement.
(IV, 28, 29, 33)

 

Si, sur le point d’agir, je vois mon esprit souillé par une passion,
A cet instant, je resterai de bois.
Quand j’aurai envie de bouger ou de parler, j’observerai d’abord mon esprit
Et ferai, avec détermination, ce qui convient.
Quand mon esprit aura envie de s’attacher ou de se mettre en colère,
Je ne ferai rien, ne dirai rien, et resterai comme un morceau de bois.
Si je suis excité, moqueur, orgueilleux,
Si j’ai l’intention de parler mal d’autrui,
Si j’ai l’esprit à tromper ou à faire une fourberie,
Si j’ai le cœur à me faire décerner des louanges ou à déprécier autrui,
Si j’ai l’esprit à médire ou à créer des disputes,
Je resterai comme un morceau de bois.
Si je désire biens, honneurs ou gloire,
Si je suis en quête de serviteurs ou de courtisans,
Si mon esprit aspire à être servi,
Je resterai comme un morceau de bois.
Si j’ai l’esprit à parler, motivé par l’envie de détruire ce qui serait profitable à autrui,
Ou le désir de poursuivre mon intérêt personnel,
Si je suis intolérant, paresseux, couard,
De même que si je suis arrogant, impertinent,
Ou si j’ai à l’esprit un attachement partial,
(V, 34, 47 à 53)

La générosité, les offrandes aux bouddhas
Et toutes les actions positives accumulées pendant des milliers d’éons
Peuvent être détruits en un moment de colère.
Il n’est d’acte nuisible semblable à la colère ;
Il n’est d’ascèse telle que la patience.
Ainsi, persévère en la méditation sur la patience de toutes les manières.
Si ton esprit est en proie aux affres de la colère
Il ne connaîtra pas la paix, n’aura ni joie, ni bonheur, ni répit, et restera instable.
(VI, 1 à 3)

Pourquoi me mettrais-je en colère contre des personnes
Alors que je ne le ferai, par exemple, contre une humeur biliaire, si douloureuse ?
Les deux ne sont pourtant que des événements induits par des facteurs causals.
Les gens s’irritent, sans raison véritable, et sans penser « Je vais me mettre en colère ».

La colère naît d’elle même et se développe sans que l’on y ait pensé.
Toutes les choses négatives qui existent et tous les différents actes nuisibles
Apparaissent par le pouvoir de multiples facteurs,
Et ne sont pas des entités autonomes.
Ces compositions de facteurs n’ont pas l’intention de produire quelque chose ;
Et ce qui est produit ne s’est pas dit :
« Je vais me développer », et n’en a pas eu l’intention.
Ce qui a été postulé comme substance ou ce que l’on appelle « moi »
N’apparaît pas intentionnellement en se disant : « Je vais apparaître ».
Ils ne sont pas créés ainsi, et n’existent pas sur ce mode.
Et il n’y a là que volonté de création.
D’ailleurs, selon ces théories, un moi-entité subjective, (s’il existait)
Devrait toujours appréhender ses objets sans interruption de cette appréhension.
De plus, si l’on considérait qu’il y a un moi-entité permanent,
Il serait, comme l’espace, dépourvu de possibilité d’action,
Car même s’il entrait en relation avec des facteurs extrinsèques
Que pourrait-il être fait en l’absence de changement ?
Maintenant, si l’on disait qu’il reste comme avant, même lorsqu’il agit,
Que lui ferait cette action ?, Comment pourrait-on dire « Son acte est ceci »?
Et quelle relation (causale) pourrait-il alors y avoir ?
Ainsi, tout dépend du pouvoir de facteurs extrinsèques
Et, de ce fait, rien n’est autonome.
Le sachant, je ne me mettrai en colère
Contre aucune de ces choses semblables à des productions illusoires.
Si l’on se demande alors qui remédie à la colère et avec quoi,
Et si l’on pense qu’il est incorrect de contrecarrer cette colère,
Sache qu’il n’est pas erroné de vouloir interrompre ses souffrances.
Ainsi, quand je verrai un ennemi ou un ami faire un acte incorrect,
Je penserai : « Cet acte vient de facteurs qui le conditionnent »,
Et ainsi, je resterai serein et heureux.
(VI, 22, 24 à 33)

S’il était dans la nature même des hommes de faire du mal à autrui,
Il ne serait pas juste de se mettre en colère.
Ce serait comme reprocher au feu d’être brûlant par nature.
Et si ces fautes viennent d’événements accidentels,
Il n’est pas non plus juste de se fâcher contre cette nature des êtres,
Comme on ne peut reprocher à la fumée de monter dans le ciel.
Quand je reçois un coup de bâton ou de quoi que ce soit,
Si je me fâche contre celui qui le brandit,
Celui-ci agissant lui-même sous le coup de la colère,
C’est plutôt contre cette dernière qu’il serait juste de se fâcher.
(VI, 39 à 41)

A lui l’arme et à moi le corps,
Ensemble, ils sont causes de souffrances.
De l’autre vient l’arme et de moi le corps. Contre lequel se fâcher ?
(VI, 43)

L’esprit n’est pas corporel : nul ne peut en aucune façon le détruire.
Pourtant, comme il est très attaché au corps, les souffrances physiques lui font mal.
(VI, 52)

Afin d’être amant et amante, on fait maintes requêtes,
Et, pour parvenir à ses fins, on n’évite ni actes négatifs ni rumeurs déplaisantes :
On s’engagerait dans des choses périlleuses et dilapiderait même ses richesses.
Pourtant celle qui, dans une union totale, nous procure la joie sublime,
N’est qu’un squelette et rien d’autre.
Qu’elle soit notre partenaire légitime ou non,
Plutôt que de la désirer ardemment et de s’attacher passionnément à elle,
Pourquoi ne pas aller au-delà des souffrances ?
(VIII, 40, 41, 42)

Quand un autre portait les yeux sur elle, tu la protégeais avec acharnement.
Alors, misérable, pourquoi ne la protèges-tu pas,
Maintenant que les oiseaux la dévorent ?
Ayant vu quel est ce tas de viande que les vautours dévorent,
Pourquoi offrir colliers de fleurs, parfums de santal et bijoux
A ce qui n’est pour d’autres que nourriture ?
Si, bien qu’il ne bouge pas, la vision d’un squelette t’effraie,
Comment peux-tu ne pas avoir peur d’un cadavre ambulant que quelque chose anime ?
Si je m’y attache quand il est habillé de sa peau,
Pourquoi ne pas le désirer s’il en est dénudé ?
Et si je n’en ai alors que faire, pourquoi l’enlacer lorsqu’il est habillé ?
Puisque les excréments et la salive sont tous deux produits d’aliments,
Pourquoi avoir plaisir à la salive, et pas aux excréments ?
Un oreiller est doux au toucher, mais je n’en éprouve aucun ravissement.
D’autre part, je ne considère par comme répugnant ce qu’il est.
Celui qui est passionné ne voit pas l’impureté.
Ceux qui sont aveugles et passionnés
Ne considèrent pas comme un partenaire de lit un doux oreiller de coton,
Et, au contraire, s’en détourneraient avec colère.
Tu as toi-même maintes choses impures toujours à ta disposition.
Pourquoi alors, par attachement envers ce qui est sale,
Désires-tu encore le sac d’impuretés d’autrui ?
Si tu n’es pas attaché à ce qui est impur,
Pourquoi t’unir à l’abdomen d’autres personnes ?
Ce n’est qu’une armature d’os reliée par des muscles recouverts d’un emplâtre de chair.
Si tu te dis : « C’est son corps que j’aime », et si tu désires son contact et sa vue,
Pourquoi alors ne désires-tu pas sa chair, brute, sans esprit ?
Si c’est son esprit que tu désires, tu ne peux ni le toucher ni le voir.
Ce qui pourrait être touché et vu n’est pas celui-ci ;
A quoi rime cette étreinte sans raison ?
Ne pas comprendre la nature impure du corps d’autrui n’est pas bien étrange.
Mais il est fort étrange de ne pas réaliser notre propre impureté.
Comment pourrait-on délaisser une jeune fleur de lotus
Qui s’épanouit dans un rayon de soleil sans nuages,
Et, d’un esprit attaché à l’impur, prendre plutôt plaisir dans un réceptacle sale ?
Si tu ne souhaites pas toucher un endroit souillé par les excréments,
Comment peux-tu désirer être en contact avec le corps dont ils proviennent ?
Si tu n’as d’attachement pour l’impur,
Pourquoi t’accouples-tu avec d’autres corps développés
De graines germées dans un champ impur ?
Tu n’as de désir pour un petit insecte sale qui apparaît dans des ordures,
Mais tu en as pour un corps né d’impuretés et qui en a la nature.
Non seulement tu ne blâmes pas tes propres souillures,
Mais, par attachement à ce qui est sale,
Tu désires plus encore le sac d’impuretés d’autrui.
(VIII, 45 à 61)

Si tu doutes encore qu’une telle impureté puisse exister,
Observe les autres saletés des corps jetés dans les charniers.
(VIII, 63)

Traduction française révisée par le comité Lotsawa, en mars 1991

 

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