L’ami spirituel

Sa Sainteté Gampopa

 

    1. L’ami spirituel « être ordinaire »
      1. 1. Les huit qualités caractéristiques de l’ami spirituel « être ordinaire » :
      2. 2. Les quatre qualités caractéristiques de l’ami spirituel « être ordinaire » :
      3. 3. Les deux qualités caractéristiques de l’ami spirituel « être ordinaire » :
    2. Les méthodes pour suivre une direction spirituelle
      1. 1. Comment [s’en remettre à l’ami spirituel] en le vénérant et le servant ?
      2. 2. Comment s’en remettre [à l’ami spirituel] en ayant pour lui admiration et respect ?
      3. 3. Comment [s’en remettre à l’ami spirituel] par la pratique et la persévérance ?
    3. Les bienfaits de la direction d’un ami spirituel
    4. NOTES :

Selon le Joyau, ornement de la libération, traité fondamental dans la tradition mahayana, la cause de l’éveil est la nature de Bouddha, présente en tout être ; le support de l’éveil est la précieuse existence humaine ; la condition sine qua non de celui-ci est l’ami spirituel, les moyens de s’éveiller sont les pratiques que celui-ci enseigne, le fruit de la pratique est les trois aspects du parfait éveil, et l’activité éveillée est finalement un altruisme spontané.

Le début de la troisième section présente la nécessité de s’en remettre à un ami spirituel, celui qui, connaissant la voie jusqu’à son terme, introduit, guide et stimule le pratiquant sur celle-ci.

L’ami spirituel peut être comparé au guide qui nous dirige dans un voyage sur une route inconnue, à une escorte dans la traversée d’une contrée redoutable, ou à un passeur qui nous fait franchir un grand fleuve.

— Sans guide sur une route inconnue, nous risquons de nous tromper de chemin, d’errer et de nous égarer. Avec un guide, il n’y a pas de danger de se tromper, de se fourvoyer ou de se perdre, et l’on arrive à destination, sans détour.

De même, engagé sur la voie de l’éveil, si l’on n’a pas le guide qu’est l’ami spirituel du mahayana, pour parvenir au parfait état de bouddha, on risque de faire fausse route dans une voie extrémiste, de dévier dans la voie des sravaka, ou de s’égarer dans celle des pratyekabuddha. Par contre, accompagné de ce guide qu’est l’ami spirituel, sans erreur, déviation ni égarement, on arrivera à la cité de l’omniscience.

(…)

— Dans une contrée redoutable, il y a des bandits, des bêtes féroces et de nombreux dangers. Si nous nous y aventurons sans un guide pour escorte, notre corps, notre vie et nos possessions risquent de subir un mauvais sort. Par contre,si l’on y est accompagné d’une solide escorte, on arrivera à destination sans encombre.

De même, engagé sur la voie vers l’éveil, pour y développer bienfaits et connaissance primordiale et cheminer vers la cité de l’omniscience, il faut être escorté par un ami spirituel. Sinon, ces bandits que sont, à l’intérieur, nos pensées et nos émotions conflictuelles, et, à l’extérieur, les démons, les facteurs de régression et autres circonstances adverses, risquent de piller les richesses de nos vertus et d’interrompre notre existence fortunée.

(…)

— Traversant en bateau un grand fleuve, sans passeur on risque de ne pas atteindre l’autre rive et de sombrer ou d’être emporté par les flots. Par contre, s’il y a un passeur, par ses efforts il nous conduira de l’autre côté.

De même, pour traverser l’océan du cycle des existences, même embarqué sur le vaisseau du suprême enseignement, sans le passeur qu’est l’ami spirituel, on sombrera dans le cycle des existences et sera emporté par son courant.

(…)

(La troisième section de l’ouvrage continue avec une classification des amis spirituels suivant le degré d’évolution du pratiquant, l’ami spirituel pouvant être un être ordinaire, un être supérieur, ou le bouddha lui-même.)

Au début, dans l’obscurité de notre karma et de nos émotions conflictuelles, nous ne pouvons pas nous en remettre aux amis spirituels supérieurs ni même les voir. Par contre, la rencontre d’un ami spirituel qui est un être ordinaire, et la lumière de ses enseignements, nous éclairent la voie et nous mettent en rapport avec les amis spirituels supérieurs. Aussi, dans les premiers temps, cet ami spirituel « être ordinaire » est-il le plus grand bienfaiteur.

(Suit une présentation des caractéristiques des différents types d’amis spirituels, dont nous ne retiendrons ici que celles de l’ami spirituel « être ordinaire ».)

L’ami spirituel « être ordinaire »

Les qualités de l’ami spirituel « être ordinaire » peuvent être présentées en huit, quatre ou deux caractéristiques.

1. Les huit qualités caractéristiques de l’ami spirituel « être ordinaire » :

Il est dit dans Les degrés de bodhisattva :

Ces huit qualités caractéristiques sont :

— La discipline des bodhisattvas,

— L’étude d’un grand nombre de leurs ouvrages,

— Leur réalisation,

— L’amour pour ses disciples,

— L’intrépidité,

— La patience,

— Un tempérament inlassable

— Et des actes conformes à ses paroles.

Le bodhisattva qui a ces huit qualités doit être reconnu comme un ami spirituel parfaitement qualifié sous tous points de vue.

2. Les quatre qualités caractéristiques de l’ami spirituel « être ordinaire » :

Il est dit dans L’ornement des soutras :

« Un guide, sublime bodhisattva, dispense de vastes enseignements, dissipe les doutes, est digne de confiance et expose les deux modes d’être ».

Son exposition des enseignements est vaste car il a beaucoup étudié. Il dissipe les doutes d’autrui par sa grande connaissance. Ses paroles sont dignes d’être retenues car il se conduit comme un être excellent. Les deux états qu’il expose sont l’état conflictuel et celui de parfaite pureté.

3. Les deux qualités caractéristiques de l’ami spirituel « être ordinaire » :

Il est dit dans L’Introduction à la vie de bodhisattva (V, 102) :

« Un ami spirituel est toujours quelqu’un
Qui connaît bien le sens du mahayana
Et qui, même au péril de sa vie,
N’abandonnerait pas la sublime ascèse des bodhisattvas ».

[Ainsi, ces deux qualités] sont : une bonne connaissance du sens du mahayana et le respect des vœux de bodhisattva.

Les méthodes pour suivre une direction spirituelle

Lorsqu’on a trouvé un tel ami spirituel il y a trois façons de s’en remettre à lui :

— Par la vénération et le service,

— Par l’aspiration et le respect,

— Par la pratique et la persévérance.

1. Comment [s’en remettre à l’ami spirituel] en le vénérant et le servant ?

— En le vénérant :

On le vénère en se prosternant devant lui, en se levant promptement [quand il arrive], en s’inclinant devant lui, en faisant des circumambulations, en lui adressant la parole avec dévotion au moment approprié, en l’observant toujours d’un esprit qui ne se lasse jamais, etc. La façon dont Norsang, le fils du marchand, s’en remit à son ami spirituel en est un exemple (1)

Le Soutra de l’établissement du noble tronc nous dit :

« Ne te lasse pas d’observer l’ami spirituel!
Pourquoi ? Parce qu’il est difficile de voir des amis spirituels,
Difficile qu’ils nous apparaissent et difficile de les rencontrer ».

— En le servant :

On se met respectueusement à son service en lui offrant, sans préoccupation de son propre corps ou sa propre vie, tout ce qui est compatible avec le dharma : nourritures, vêtements, couvertures, sièges, médicaments et autres biens de toutes sortes. La façon dont le noble Taktou-Ngu s’en remit à son ami spirituel en est un exemple (2).

Dans La biographie de Peldjoung il est dit :

« L’éveil du bouddha s’obtient en servant l’ami spirituel ».

2. Comment s’en remettre [à l’ami spirituel] en ayant pour lui admiration et respect ?

On considère l’ami spirituel comme le bouddha, on ne va pas à l’encontre de ses directives et développe envers lui admiration, respect et confiance. La façon dont le Mahapandita Naropa s’en remit à son ami spirituel en est un exemple (3).

Dans La mère des bouddhas, il est dit :

« Avec persévérance, développe respect, amour,
Et confiance complète envers ton ami spirituel ».

D’autre part, on abandonne toute interprétation négative relative aux activités de l’ami spirituel et, les considérant comme de sages moyens adroits, on développe même envers lui encore plus de respect. Le récit de la vie de parfaite libération du roi Mé en est un exemple (4).

3. Comment [s’en remettre à l’ami spirituel] par la pratique et la persévérance ?

Mettre en pratique avec persévérance les enseignements de l’ami spirituel en les étudiant, y réfléchissant, et les méditant, est la suprême façon de le satisfaire.

Dans l’Ornement des soutras, il est dit :

« C’est en mettant en pratique ce qu’il enseigne
Que l’on satisfait pleinement l’esprit de l’ami spirituel ».

En contentant l’ami spirituel, on obtiendra l’état de bouddha .

Ceci est dit dans La biographie de Peldjoung :

« C’est en satisfaisant l’ami spirituel
Que l’on obtient l’éveil de tous les bouddhas ».

Quand on sollicite des enseignements de l’ami spirituel, il convient de le faire en trois étapes : préliminaires, [requête] proprement dite, et attitude finale.

— En préliminaire à la demande, on développe l’esprit de l’éveil.

—Lors de [la requête] proprement dite, on se considère comme le patient, on conçoit le dharma comme le remède, l’ami spirituel comme le médecin, et la pratique assidue du dharma comme ce qui guérira notre maladie.

—L’attitude subséquente consiste à abandonner les défauts qui feraient de nous un mauvais réceptacle de l’enseignement : être comme un récipient retourné, un récipient qui fuit, ou comme un récipient qui contient du poison. (5)

Les bienfaits de la direction d’un ami spirituel

Dans La biographie de Peldjoung, il est dit :

« Noble fils, le bodhisattva qui est sous la parfaite égide d’un ami spirituel ne chutera pas dans les existences infortunées. Le bodhisattva qui est sous la parfaite protection d’un ami spirituel ne tombera pas entre les mains d’amis néfastes. Le bodhisattva qui est éduqué parfaitement par un ami spirituel ne se détournera pas des enseignements du mahayana. Le bodhisattva qui est parfaitement rattaché à un ami spirituel transcendera complètement le niveau des êtres ordinaires ».

Et dans La mère des bouddhas :

« Le bodhisattva- mahasattva,
S’éveillera rapidement à l’insurpassable et parfait état de bouddha.
Ainsi s’achève la section consacrée à la relation à l’ami spirituel,
chapitre troisième du Joyau d’abondance du dharma,
le précieux ornement de la libération ».

Traduction du tibétain, révisée par le Comité Lotsawa, juin 1991

NOTES :

1 Histoire résumée de Norsang, le fils du marchand

Norsang était fils de marchand. La grossesse de sa mère ainsi que sa naissance furent marquées par l’apparition miraculeuse de riches ses diverses : or, argent, pierres précieuses etc. C’est pourquoi il fut appelé Norsang, « Excellente richesse ». Ces merveilles étaient le signe d’un karma positif antérieur que la vie de Norsang ne démentit pas. En effet, l’enfant grandit dans la vertu, nourris sant en son cœur l’aspiration à cheminer sur la voie des Bodhisattvas. Ceci se passait à l’époque où vi vait le grand Bodhisattva Djampel. Norsang le rencontra pour la première fois alors qu’il enseignait à un très grand nombre de personnes dans une vaste forêt. Après avoir donné enseignements et bénédictions, Djampel quitta l’endroit et partit vers le sud.

La foule se dispersa et chacun rentra dans son pays, excepté Norsang qui décida de suivre le bodhisattva pour lui demander des instructions sur la conduite des bodhisattvas. Quand Norsang lui eut présenté sa requête, non sans avoir au préalable fait maintes prosternations et circumambulations, Djampel approuva sa motivation et sa détermination et lui conseilla de s’en remettre à un ami spirituel, de se dévouer à son service et de le vénérer, car « Cela est la base de l’obtention du parfait accomplissement qu’est l’omniscience ». Après lui avoir donné quelques instructions sur la manière de s’en remettre à l’ami spirituel, il lui enjoignit d’aller dans le sud pour trouver un moine répondant au nom de Nuage de Gloire, qui lui donnerait les instructions qu’il recherchait s’il les lui demandait. Après avoir fait maintes et maintes prosternations et circumambulations, le visage empli de larmes de reconnaissance, Norsang prit congé de Djampel et partit en direction du sud.

Ayant trouvé l’ami spirituel indiqué par Djampel, il le vénéra par un grand nombre de prosternations et circumambulations et, les mains jointes, lui présenta sa demande de l’enseignement pour cheminer sur la voie des bodhisattvas. Le moine approuva son aspiration et sa conduite et l’envoya encore plus loin dans la direction du sud pour trouver un autre moine qui lui donnerait l’enseignement s’il le lui demandait.

Norsang se mit en route, trouva celui qu’il cherchait, fit cent mille prosternations et cent mille circumambulations et lui présenta sa requête. Le moine approuva son aspiration et son attitude et l’envoya requérir les enseignements tant souhaités auprès d’un lama qui résidait encore plus loin dans le sud.

Ainsi, poussé par son aspiration à suivre la conduite des bodhisattvas, Norsang alla toujours plus loin vers le sud. Chaque fois qu’il rencontrait un ami spirituel, il le vénérait par maintes prosternations et circumambulations, renouvelant à chaque fois la demande de l’enseignement d’un esprit con fiant et empli de dévotion, et chaque fois le lama le renvoyait à un autre lama. Mais jamais Norsang ne désespéra et jamais ne faiblirent sa confiance et sa dévotion envers le noble Djampel.

C’est après avoir vénéré le cent-dixième ami spi rituel rencontré dans sa quête qui le menait toujours plus loin vers le sud que Norsang rencontra deux enfants qui l’emmenèrent au bord de l’océan. Il y avait là une grande maison à étages devant laquelle se tenait le grand Bodhisattva Maitreya. Norsang lui rendit hommage et requit des instructions sur la conduite éveillée. Maitreya lui donna alors des enseignements dont voici un exemple concernant la relation à l’ami spirituel :

« Noble fils, ne te satisfais pas d’un seul acte vertueux, n’éclaire pas ton jugement à la lumière d’un seul type d’enseignement, ne te lasse pas de satisfaire et d’honorer un ami spirituel qualifié.

Pour cela, noble fils, comme le firent les bodhisattvas du passé, il te faut réunir parfaitement toutes les vertus incommensurables…

Noble fils, ne te lasse pas dans ta recherche de l’ami spirituel, ne te lasse pas de le voir, ne te contente pas de l’avoir questionné, ne détourne pas tes pensées de son amitié spirituelle, n’aies de cesse d’accomplir le service et l’obéissance à l’ami spirituel, ne fais rien en contradiction avec ses instructions et enseignements, ne doute pas de ses qualités, n’hésite pas sur les enseignements de l’ami spirituel.

Ne développe pas d’irritation à propos des intentions ou des attitudes mondaines que l’ami spirituel peut utiliser comme moyens (habiles).

Ayant développé une aspiration parfaite envers l’ami spirituel, tu ne t’en détourneras ni en corps ni en esprit.

Ainsi, noble fils, l’étude de toutes les conduites de bodhisattvas dépend de l’ami spirituel…

Toutes les pratiques bienfaisantes des bodhisattvas nous viennent de l’ami spirituel….

Noble fils, le bodhisattva que l’ami spirituel garde en son esprit ne tombe pas dans les états d’existence infortunés, le bodhisattva qui est parfaitement pris en mains par un ami spirituel ne se détourne pas du Grand véhicule…

Noble fils, l’ami spirituel étant issu de la lignée des bouddhas est comme une mère, l’ami spirituel dont la pratique est très utile est comme un père, l’ami spi rituel qui nous garde de toute négativité est comme une nourrice.

L’ami spirituel, nous amenant en le pays précieux de la connaissance primordiale de l’Omniscient, est comparable à un capitaine de navire….

Noble fils, considère-le, garde-le continuellement en ton esprit, rapproche-toi de l’ami spirituel.

Quand tu portes le fardeau sans te décourager, que ton esprit soit semblable à la terre, le faisant sans conflit, que ton esprit soit semblable au diamant. Quand tu regardes l’ami spirituel, que ton esprit soit semblable à celui d’un enfant avide.

Ne contreviens pas aux injonctions du roi du dharma et rapproche-toi de l’ami spirituel avec un esprit semblable à celui d’un jeune monarque.

Noble fils, il faut te considérer comme un malade, considérer l’ami spirituel comme un médecin, ses instructions comme une médecine et la pratique assidue de ses instructions comme la cure de la maladie.

C’est au moyen de semblables instructions que les bodhisattvas doivent étudier tous les enseignements qu’il faut connaître et même si, n’ayant pas un parfait l’altruisme, ils ne savent pas les choses qui conviennent, la façon de dépendre de l’ami spirituel, la façon de s’en remettre à lui, la façon non erronée de se comporter ainsi que les bienfaits de sa direction leur sont expliquées en détail. »

Ainsi Maitreya donna-t-il à Norsang de profonds enseignements. Puis, il l’introduisit dans la grande maison à étages au centre orné par Nampar Namdzé. L’intérieur était d’or, d’argent, de lapis lazuli et autres substances précieuses, et orné de multiples riches ses. Dans cette demeure, il y avait d’innombrables maisons et chaque maison était remplie d’innombrables champs de bouddha. Instantanément, Norsang fit l’expérience d’un samadhi indicible et reçut encore des enseignements du bodhisattva.

Plus tard, Maitreya renvoya Norsang auprès de Djampel afin de parachever sa compréhension et sa réalisation. Alors Norsang reprit la route et traversa ainsi cent dix cités.

Un jour qu’il se prosternait, l’esprit concentré, n’aspirant qu’à rencontrer son lama, Djampel, bien qu’éloigné de cent soixante-quatre paktsé (unité de mesure tibétaine) lui toucha le front en acquiesçant : « Lekso ! Excellent ! » Et Norsang obtint de nombreux pouvoirs ainsi que la réalisation de la connaissance transcendante sans limite. Il rencontra Kunntou Sangpo dans son mandala et pénétra dans des champs de bouddhas aussi nombreux que les atomes de l’univers où il reçut des enseignements de nombreux bouddhas.

C’est ainsi que Norsang, le fils du marchand, obtint enseignements, expériences et réalisation grâce à son obéissance et aux hommages rendus à de nombreux lamas.

2 L’histoire du Bodhisattva Taktou-Ngu

Cette histoire serait longue à développer entièrement dans le cadre de ce dossier.

En bref, le Bodhisattva Taktou-Ngu n’hésita pas à mutiler son corps (qui fut, dans la suite de l’histoire, reconstitué), afin d’obtenir d’un maître les enseignements de la perfection de connaissance transcendante. La fin de l’histoire laisse découvrir que les épreuves subies étaient une sorte de stratagème de la part du maître, pour tester la détermination du postulant…

3 L’exemple de Naropa

Faute d’espace dans la revue, nous n’expliciterons pas non plus dans ce dossier l’exemple de Naropa. Alors qu’il était abbé de la grande université bouddhique de Nalanda, il partit à la recherche de son maître, Tilopa, qu’il eut beaucoup de peine à trouver. Puis, Tilopa lui fit endurer douze épreuves à travers lesquelles Naropa atteint enfin le plein éveil de bouddha. Le récit de la vie de Naropa insiste sur l’importance de la dévotion au maître spirituel pour dépasser l’attachement aux conventions, à l’ego, à la saisie dualiste (voir la Vie de Naropa, ed. Ewam)

4 Le roi Mé

Il est raconté dans la note 3 comment Norsang, en quête d’instructions sur l’esprit d’éveil s’en remit à ses amis spirituels successifs. Le texte qui suit relate sa rencontre avec l’un d’entre eux : le roi Mé.

(…)

« En direction du sud, en la ville appelée Talguièltsèn, se trouve le roi Mé, va auprès de lui ! »

Tel fut l’ordre que reçut Norsang de son ami spi rituel.

De vallée en vallée, de ville en ville, Norsang chemina jusqu’à Talguièltsèn où il s’enquit du roi.

Les habitants de la cité lui répondirent :

« Le roi Mé demeure en son palais où il châtie ceux qui méritent de l’être et récompense ceux qui en sont dignes. Il coupe la langue aux querelleurs et expulse les mécréants. »

Norsang se rendit dans la demeure royale. Le palais n’était que splendeur et richesse, fait de matériaux rares et précieux ; il était admirablement meublé et décoré d’objets de toutes sortes, tels que sièges, bannières, tentures, soieries, tous plus précieux les uns que les autres. En outre, il y avait là des offrandes en très grand nombre qui avaient été apportées du pays même des dieux.

Le roi siégeait sur un immense trône supporté par des lions de diamant, orné de maints joyaux scintillants de mille feux. Voir ce splendide jouvenceau était en soi un enchantement. Il portait sur lui les signes d’une beauté et d’une noblesse parfaites ; sa chevelure couleur de nuit déroulait ses boucles sur son épaule droite ; il était paré d’un diadème, de boucles d’oreille, de colliers, de bracelets et de chevillières d’une valeur inestimable.

A ses côtés, une myriade de ministres veillait à accomplir avec diligence le moindre de ses souhaits. Devant lui se trouvaient les gardiens des enfers ainsi que les bourreaux et les serviteurs du Seigneur de la mort. Leur apparence hideuse et sinistre, leur aspect féroce, leurs yeux rouges, leur dent unique et leur face creusée de trois rides de courroux rendaient leur vue insoutenable. Ils brandissaient des armes de tout acabit, épées, haches, flèches, lances etc. et de leur bouche s’échappaient des hurlements terribles, cris de dragon « SSSS », « GY-O » qui répandirent la terreur.

Sur l’ordre du roi, ces bourreaux torturaient voleurs, brigands, menteurs et calomniateurs. Ils arrachaient les yeux des uns, coupaient la tête, les jambes ou les bras des autres. Ils brûlaient vifs, ils ébouillantaient et coupaient des oreilles, des nez ou des cœurs en menus morceaux.

Il y avait là des montagnes de corps humains fraîchement et anciennement exécutés, des tas d’organes et des membres amoncelés. Sur de nombreux kilomètres s’étendait un grand lac de sang dans lequel venaient se laver et s’égayer loups, renards, chiens, vautours et corbeaux. Des cadavres humains, qui exhalaient des senteurs putrides, le recouvraient entièrement.

Devant ce spectacle terrifiant, Norsang se crut transporté en la cité de l’effroyable Seigneur de la mort. Et il pensa :

« Dans le but d’étudier la conduite des bodhisattvas, j’ai recherché un ami spirituel parfaitement pur. Ce roi Mé ne semble guère avoir de qualités vertueuses ; assurément, il n’en a pas du tout ! Comment pourrais-je obtenir les instructions sur la conduite des bodhisattvas de cet être cruel et violent qui s’obstine à massacrer ses ennemis ! Quelle pitié ! Ne faut-il pas regarder ces êtres avec compassion, quelle que soit la vilenie de leurs actes antérieurs ! »

C’est alors que des êtres célestes s’adressèrent à lui en ces termes :

« Noble fils, ne doute pas ! Ceux qui sont amis spirituels sont parfaitement purs. Ils ne peuvent se tromper et n’agissent jamais en contradiction avec les enseignements. Les bodhisattvas possèdent l’inconcevable connaissance primordiale. Elle leur permet d’utiliser des moyens adroits inimaginables pour faire mûrir les êtres. Telle est leur activité. Va, noble fils, et pose tes questions sur la conduite des bodhisattvas ! »

Se conformant à cette incitation, Norsang, mis en présence du roi Mé, se prosterna à ses pieds et le questionna sur la conduite des bodhisattvas et la façon de les étudier. Le roi Mé se leva de son trône et, prenant Norsang par la main, l’emmena dans un autre palais. Celui-ci était entouré d’une enceinte de sept sortes de joyaux. C’était une immense maison, comportant une myriade d’étages magnifiquement décorée avec des bannières, des ombrelles et des coussins à profusion. Il y avait là, entouré par cent millions de courtisanes jeunes et séduisantes, habiles en tous arts, un trône soutenu par des lions sculptés dans des joyaux d’abondance — joyaux merveilleux qui accomplissent les désirs — dont l’éclat était tel que l’espace en était illuminé en toutes ses directions.

Le roi s’assit sur le trône, regarda Norsang et lui dit :

« Noble fils, crois-tu que le karma négatif donne de semblables fruits : corps splendides, entourage merveilleux, pouvoirs extraordinaires ? Sache que je suis l’émanation illusoire d’un bodhisattva parfaitement libéré ; j’ai la patience qui fait que je connais l’épuisement des phénomènes, le caractère non né de toutes choses ; j’ai assimilé parfaitement le caractère illusoire de toutes les circonstances du devenir comme du chemin.

Parmi les êtres qui vivent en mon pays, certains ont tué ou volé ; d’autres encore ont eu des désirs malsains et des pratiques sexuelles déplorables. Il y en a qui ont menti, calomnié, ou fait du mal par leurs paroles ; enfin, on en trouve qui s’adonnent à toutes sortes de comportements non vertueux. Afin de les discipliner et pour les mettre sur la bonne voie, avec grande compassion, je présente à leurs yeux le spectacle de « bourreaux » qui tuent et torturent des « victimes » condamnées pour leur mauvaise conduite. Connaissant ces supplices et la souffrance qu’ils infligent, ceux qui résident en mon royaume abandonnent les actes nuisibles et les redoutent. Par ces moyens, je permets à mes sujets de se détourner des dix actes négatifs et les conduis sur la voie des dix actes vertueux. Ainsi, je les amène sur le che min de l’omniscience et mets un terme à leurs souffrances. Alors que je ne souhaite pas la souffrance d’un seul insecte, que dire de mes intentions envers les hommes nés en mon pays qui sont capables, eux, de pratiquer les actes vertueux ! Sache que même en rêve, je n’engendre pas d’actes négatifs ! Considère ces choses et ne dis mot. »

Tel fut l’enseignement que reçut Norsang du roi Mé sur la conduite des bodhisattvas et la façon de considérer celles-ci sans développer de conceptions erronées.

5 La façon juste d’écouter un enseignement

On trouvera de plus amples développements sur la façon juste d’écouter un enseignement dans le chapitre premier du Chemin de la Grande Perfection de Patrul Rinpoché (1808-1887). Patrul Rinpoché y explique les attitudes qu’il convient d’abandonner et celles qui sont à développer lorsqu’on écoute un enseignement.

Lorsqu’on écoute un enseignement, on est comparable à un récipient, un bol par exemple, dans lequel le Lama verse le nectar de la doctrine. Si l’on souhaite que l’enseignement porte ses fruits, on se doit d’écouter sans distraction.

— Si l’on est distrait, l’enseignement ne pénètre pas en soi, on est alors comme un bol renversé sur lequel le nectar s’écoule mais ne pénètre point.

— Cependant, il se peut que l’on entende les enseignements mais que l’on n’en retienne rien. Les mots sont entendus mais le sens n’est pas perçu. On est alors comme un récipient percé dans lequel le nectar de l’enseignement s’écoule mais ne demeure pas. On ne peut alors en tirer aucun profit.

— Il se peut enfin que l’esprit soit, alors que l’on écoute le Lama, sous l’emprise d’une ou de plusieurs émotions : orgueil, jalousie, vues erronées, préconceptions négatives en rapport avec l’enseignement ou le Lama. On entend alors les mots et on les retient mais la compréhension est altérée par les émotions et le sens véritable de ce qui est dit n’est pas perçu. On est comme un bol empoisonné dans lequel le nectar du dharma se transforme lui même en poison.

Il est donc important d’éviter ces trois défauts, d’écouter les mots sans distraction, de les retenir et d’en comprendre le sens, dans la mesure de ses possibilités et sans y mêler ses propres préconceptions. Après quoi, il est bien de se remémorer encore et encore les enseignements et, enfin, de les mettre en pratique.

 

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