Lama et Yidam

Extrait du « Récit de la vie spirituelle de Marpa » (Mar pa’i rnam thar)

Durant son troisième voyage en Inde, Marpa rencontra de nombreuses fois son maître Naropa, dont il reçut et pratiqua les enseignements. Ici, Naropa, après avoir encouragé et flatté son disciple, dissipe une erreur de celui-ci dans sa compréhension du vajrayana. Cet exemple illustre une confusion très courante dans le contexte occidental actuel: l’anthropomorphisme qui fait concevoir la divinité comme une entité indépendante.

Naropa :

« Quand tu es venu me rendre visite les deux fois précédentes, le moment n’était pas venu de te dispenser cet enseignement. En effet, si l’on n’a rien enduré pour le dharma, on ne peut ni comprendre la rareté et la grande valeur de ces enseignements, ni les pratiquer. Même si l’on essaye de les pratiquer, leurs vertus ne naissent pas en l’esprit. Comme je te l’ai déjà dit, j’ai enduré auprès de Tilopa douze grandes épreuves et douze plus petites, engageant mon corps et ma vie, pour pouvoir recevoir et pratiquer cet enseignement. Maintenant, puisque j’ai obtenu la liberté dans les apparences, où que j’aille dans les champs purs : les vingt-quatre lieux, etc., je suis bien reçu dans les rassemblements et festins rituels des daka et dakini. Il arrive même que je sois le maître de l’assemblée.

Tu as traversé de grandes difficultés pour collecter de l’argent et sans considérer les dangers du voyage, tu as supporté des épreuves pour cet enseignement. Tilopa avait vu que tu en serais le digne réceptacle, et m’avait adressé une prophétie. Avec un amour irrésistible envers toi, j’ai pensé devoir te donner cet enseignement. Cette fois-ci, ta visite coïncide avec divers signes de bon augure. Comme je leur ai fait une requête, et les ai supplié, les dakini et les dharmapala sont venus ; et pour recevoir l’influence spirituelle de la lignée, tu as dû être retardé et il t’a fallu traverser des épreuves. »

Bien qu’à ce moment Naropa conférât à Marpa l’initiation et les instructions orales de Cakrasamvara, le yidam de Marpa était Hévajra. De ce fait, le glorieux Naropa pensa:

« Marpa Lotsawa du Tibet a beaucoup de confiance envers moi ; il m’a souvent rendu visite en apportant de l’or. Comme il est si bon, voyons quelles sont les coïncidences favorables, en ce qui concerne son aptitude à détenir la lignée et, en accord avec elles, je ferai une prophétie ».

Alors, le glorieux Naropa offrit une fête-vajra pour le seigneur Marpa.

Cette nuit-là, ils dormirent l’un près de l’autre, et à l’aube le Mahapandita Naropa fit apparaître le mandala d’Hévajra avec les neuf divinités, clair et brillant dans l’espace.

Il dit :

« Fils, maître Marpa Tcheuky Lodreu, ne dors pas, réveille-toi ! Ton yidam personnel Hévajra avec les neuf divinités qui en émanent est là dans l’espace en face de toi. Te prosterneras-tu vers moi où vers le yidam ? »

Marpa se prosterna devant la vision claire et brillante du mandala du yidam.

Naropa dit :

« Avant l’existence de tout lama,
Même le nom « Bouddha » n’existait pas.
Tous les bouddhas d’un millier d’éons
Proviennent et dépendent de ton lama.
Ce mandala émane de moi ».

Finalement, le yidam se dissout en le cœur du gourou.

« Le point important lié à ceci est que ta filiation familiale ne durera pas longtemps, c’est le lot des êtres, alors que ta lignée du dharma durera aussi longtemps que demeureront les enseignements du Bouddha. Réjouis-toi. »

Marpa pensa :

« Précédemment, j’ai étudié et considéré que voir et entendre le gourou était plus important qu’inviter le yidam. Quand on médite, on visualise toujours le lama au-dessus de la tête du yidam. L’autre jour, cherchant le lama, je vis le yidam Hévajra au sommet d’un arbre de santal, mais je n’en fus pas satisfait et continuai ma quête du gourou. Le fait de faire cette erreur doit être le résultat de mon karma antérieur. »

Traduction du tibétain par le comité Lotsawa, juin 1991

 

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