La prise de refuge

Extrait du Joyau, Ornement de la libération, chapitre huit

Gampopa (1079-1153)

    1. Classification et support
    2. Les lieux
    3. La durée
    4. La motivation
    5. Le rituel
    6. La fonction
    7. Les instructions
      1. 1. Les trois instructions générales
      2. 2. Les trois instructions particulières
      3. 3. Les trois instructions communes
    8. Les bienfaits

Le début du chapitre traite des prémisses au développement de l’esprit d’éveil, parmi lesquelles se trouve la “prise du refuge”.

La deuxième des qualifications est la prise de refuge. Pourrait-on prendre refuge en les puissants de ce monde tels que Brahma, Vishnu, Mahadeva, ou en les dieux ou naga aux grands pouvoirs qui résident dans les rochers, les lacs, ou les arbres de notre pays ? Non, car tous ceux-ci ne peuvent nous protéger et ne sont donc pas des lieux de refuge.

Il est dit dans un sutra :

« Se tourner vers des divinités mondaines :
Celles des montagnes, des forêts, des sanctuaires,
Des parcs, des pierres ou des arbres,
N’est pas aller vers le refuge essentiel. »

Pourrions-nous alors prendre refuge en ceux qui nous aiment et seraient heureux de nous ai der, comme notre père, notre mère ou nos amis, etc.? Non, car eux non plus ne peuvent nous protéger.

Dans Le Sutra du Jeu de Manjusri, il est dit :

« Tes parents ne sont pas un refuge
Tes amis et tes proches ne le sont pas non plus :
Quand ils le souhaiteront,
Ils s’en iront en t’abandonnant. »

Pourquoi tous ceux-ci ne peuvent-ils nous donner refuge ? Pour cela, il faudrait qu’ils soient eux-mêmes libres des peurs et des souffrances ; or, ils ne sont libres ni des unes ni des autres. En fait, il n’est que le bouddha qui soit fondamentalement libéré des souffrances. Pour réaliser l’état de bouddha, il n’est d’autre voie que le dharma, et, pour le pratiquer, d’autre ami que le sangha. Aussi prend-on refuge en eux trois.

Il est dit :

« En le bouddha qui dissipe les craintes de ceux qui ont peur
Et protège les sans-refuges,
En le dharma et le sangha, la suprême assemblée,
Prends refuge dès aujourd’hui. »

Sans en douter, nous considérons qu’ils ont ce pouvoir de refuge et qu’ils nous protègeront vraiment.

Dans Le Sutra du Grand nirvana, il est dit :

« Prendre les Trois joyaux pour refuge
Procure l’absence de peur. »

Expliquons donc la prise de refuge en les trois rares et sublimes.

Le Résumé (stance 14) dit :

« Classification, support, lieux, duree,
Motivation, cérémonie, fonction,
Instructions et bienfaits,
ces neuf points résument la prise de refuge. »

Classification et support

Il y a deux sortes de refuge : le refuge ordinaire et le refuge particulier. Deux sortes de personnes en sont les supports :

– Celles qui sont effrayées par la souffrance du samsara et prennent les Trois joyaux pour dieu en sont le support général.

– Celles qui ont l’aptitude au mahayana avec un corps humain ou divin en sont le support spécifique.

Les lieux

Il y a deux sortes de lieux (de refuge). Tout d’abord, les lieux généraux sont :

– Le rare et sublime bouddha : l’éveillé, le Bhagavan, doué de la cessation, de la connaissance primordiale et de la nature suprême.

– Le rare et sublime dharma, qui a deux aspects : le dharma des enseignements, avec les douze qualités de la parole parfaite, et le dharma de la réalisation, constitué des nobles vérités de la voie et de la cessation.

– Le rare et sublime sangha, qui a aussi deux aspects : le sangha des êtres ordinaires, constitué par l’assemblée d’au moins quatre bhiksu parfaits et pleinement ordonnés, et le sangha supérieur constitué de quatre paires de huit types d’êtres supérieurs.

Il y a trois lieux spécifiques : le lieu de refuge placé devant soi, le lieu de la connaissance véritable et le lieu de “telléité”.

– Le lieu de refuge placé devant soi : pour le bouddha, c’est une représentation du corps du Tathagatha ; pour le dharma, c’est un volume d’un texte du mahayana, et le sangha est l’assemblée des bodhisattvas.

– Le lieu de la connaissance véritable : pour le bouddha, c’est la nature même des trois corps, pour le dharma, ce sont les vérités sacrées de la paix et de l’au-delà des souffrances, et pour le sangha, ce sont les bodhisattvas qui demeurent dans les terres supérieures.

– Le lieu d’ainsité est uniquement l’état de bouddha.

Dans L’Insurpassable Continuité du mahayana, il est dit :

« En vérité ultime, le refuge des êtres
Est uniquement l’état de bouddha. »

Pourquoi l’état de bouddha est-il apte à nous donner le refuge définitif ?

C’est parce que le « Puissant » est le dharmakaya et parce qu’il est l’aspect ultime du sangha. Les bouddhas n’ont ni origine ni fin, ils sont parfaitement purs et libres de tout attachement ; ils ont ainsi le dharmakaya, et de ce fait sont le refuge authentique. Ils sont aussi le refuge authentique car le sangha des trois yana, obtenant finalement le parfait corps de dharma, deviendra finalement [bouddha].

Ainsi, le dharma et le sangha ne sont pas le refuge définitif ?

Il est dit, dans L’Insurpassable Continuité :

« Le dharma dans ses deux aspects,
Et la noble assemblée,
Ne sont pas le refuge sublime et définitif. »

Mais pourquoi ne sont-ils pas les aspects définitifs du refuge ?

Le dharma a deux catégories : le dharma des écritures et celui de la réalisation.

Le premier est un ensemble de mots et de lettres. Quand la voie a été parcourue, il peut être abandonné, comme on abandonne un bateau (lorsque la traversée est achevée). Il n’est donc pas le refuge définitif.

Le dharma de la réalisation a aussi deux catégories. La vérité de la voie, composée de différents éléments, est impermanente et présente ainsi un caractère faillible qui ne peut être celui du refuge définitif. La vérité de la cessation est exprimée par la tradition des sravaka en terme d’interruption, semblable à l’extinction d’une lampe à beurre. Elle serait alors une inexistence ; ce ne peut être le refuge définitif.

Quant au sangha, par peur du samsara, il a pris refuge en le bouddha et, puisqu’il a encore des craintes, il n’est pas le refuge définitif.

Cela est dit dans L’Insurpassable Continuité :

« Puisque le dharma, dans ses deux aspects,
Est soit à abandonner, soit d’un caractère contingent,
Ou encore est une inexistence,
Et puisque la noble assemblée est sujette à la peur,
Ce ne sont pas des refuges définitifs.
Comme l’a dit le maître Asanga :
De refuge inépuisable, permanent, immuable et authentique,
Le tathagatha, l’arhat,
Le bouddha parfaitement accompli. »

N’est-ce pas contradictoire avec l’enseignement précédent sur les trois (sortes de) refuge ? [Non, car] celles-ci sont un moyen de guider les êtres à éduquer.

Dans Le Sutra de la Grande Libération, il est dit :

« En essence, le refuge est un,
Mais il est triple par ses méthodes. »

Comment le refuge peut-il être triple par ses méthodes ?

Dans L’Insurpassable Continuité, il est dit :

« Les trois refuges ont été établis
En raison de l’enseignant, de l’enseignement et des disciples ;
Selon trois véhicules et trois activités,
Et selon les différentes aspirations. »

Il est donc établi d’après trois types de qualités, trois véhicules, trois activités et trois aspirations.

Ainsi, pour exprimer les qualités de l’enseignant, les personnes engagées dans la voie des bodhisattvas, et celles qui ont l’aspiration vers le suprême bouddha prennent refuge en lui :

« Je vais pour refuge vers le bouddha, l’homme suprême. »

Pour exprimer les qualités de l’enseignement, les personnes engagées dans la voie des pratyekabuddha et celles qui ont l’aspiration qui leur fait tenir le dharma pour suprême prennent refuge en celui-ci :

« Je vais pour refuge vers le dharma, suprême non-attachement. »

Pour exprimer les qualités des disciples, les personnes engagées dans le véhicule des sravaka, et celles qui ont l’aspiration qui leur fait tenir le sangha pour suprême, prennent refuge en celui-ci :

« Je vais pour refuge en le sangha, la suprême assemblée. »

Ainsi, sous ces trois aspects en rapport avec ces six types de personnes, ce système du triple refuge a été enseigné par le Bienheureux, au niveau de la vérité relative, afin que les êtres entrent graduellement dans les différents véhicules.

La durée

La prise de refuge ordinaire commence au moment de la prise de refuge, et durera aussi longtemps que l’on vivra ; la prise de refuge particulière dure jusqu’à ce que soit atteint le cœur de l’éveil.

La motivation

La motivation ordinaire pour prendre refuge est de ne pouvoir supporter sa propre souffrance ; la motivation particulière consiste à prendre refuge parce qu’on ne supporte plus la souffrance d’autrui.

Le rituel

Il y a deux façons de procéder au rituel de prise de refuge.

Dans la manière ordinaire, le disciple adresse une prière au maître ; ensuite, le maître commence par faire des offrandes en présence des rares et sublimes, ou alors, s’il n’a pas ce qu’il faut, il imagine les Trois joyaux dans l’espace, leur rend hommage, et leur adresse des offrandes mentales. Puis le disciple répète après lui :

« Bouddhas et bodhisattvas, veuillez tous m’entendre ; maître, veuillez m’entendre ! Moi, nommé untel, dès maintenant et jusqu’à ce que soit atteint le cœur de l’éveil, je vais pour refuge en le bouddha, l’homme suprême, je vais pour refuge en le dharma, suprême liberté de passion, je vais refuge en le sangha, la suprême assemblée. »

On répète ceci trois fois du fond du cœur.

Le rituel spécifique comporte une partie préliminaire, le refuge proprement dit, et une conclusion.

Comme préliminaire, afin d’être apte à s’en remettre à l’ami spirituel, on lui offre un mandala avec des fleurs, on lui adresse des prières. Ensuite, si le maître officiant reconnaît les disciples comme des réceptacles appropriés, ayant la potentialité du mahayana, il les accepte.

Le premier soir, il dispose les représentations des Trois joyaux, il prépare des offrandes et explique pourquoi il est bon de prendre refuge et mauvais de ne pas le faire.

Le deuxième soir, il effectue le rituel proprement dit. Imaginant que les Trois joyaux sont véritablement en l’objet placé en face de nous, nous faisons prosternations et offrandes, et répétons après le maître officiant :

« Bouddhas et bodhisattvas, veuillez tous m’entendre, maître, veuillez m’entendre ! Moi, nommé untel, dès maintenant et jusqu’à ce que soit atteint le cœur de l’éveil, je vais pour refuge en le bienheureux bouddha, l’homme suprême, je vais pour refuge en le dharma de la paix et de l’au-delà des souffrances, je vais pour refuge en le sangha qui n’a pas à revenir — les nobles bodhisattvas — la suprême assemblée. »

Nous disons ceci trois fois. Nous invoquons ensuite l’objet de réalisation véritable en l’imaginant comme s’il était vraiment là ; nous adressons hommages et offrandes et, pensant maintenant qu’il sait tout ce qui est à faire, nous prenons trois fois refuge, comme précédemment. Ensuite, nous adressons hommage et offrandes à l’objet ultime, de manière non dualiste, et prenons refuge : tous les objets de la connaissance étant depuis toujours sans ego et ne consistant en aucune essence, nous voyons le bouddha, le dharma et le sangha de la même façon. C’est le refuge inépuisable, stable et immuable.

D’un sutra :

« Qu’est-ce que la prise de refuge avec un esprit sans considérations matérielles ? Prendre refuge en le bouddha, c’est, sachant que tous les objets de connaissance sont inexistants, voir le bouddha de façon pure, sans qu’il ait de forme, de caractéristique ou d’existence. Prendre refuge en le dharma, c’est voir que tous les objets de connaissance sont équivalents à la sphère de vacuité. Prendre refuge en le sangha, c’est voir les composés du samsara et les non composés du nirvana comme n’étant pas deux. »

Le troisième soir, on fait le rituel de conclusion : on fait des offrandes au bouddha en remerciement.

La fonction

Dans L’Ornement des sutras, il est dit :

« Pour nous protéger de tous les dangers,
Des existences malheureuses,
Et des véhicules inférieurs,
Le refuge est ce qu’il y a de mieux. »

Ainsi, le refuge ordinaire nous protège de tous les dangers, des existences malheureuses, des méthodes erronées et des vues du destructible.

Le refuge particulier nous garde de tout ce qui proviendrait des véhicules inférieurs.

Les instructions

Elles sont au nombre de neuf : les trois instructions générales, les trois instructions particulières et les trois instructions communes.

1. Les trois instructions générales

[Quand on a pris refuge], on s’efforce en tout temps de faire offrande aux rares et sublimes, en offrant ne serait-ce qu’une portion de sa nourriture [quotidienne] ; on n’abandonne pas les Trois joyaux pour des faveurs ou pour protéger sa vie, et on apprend à prendre refuge encore et encore, par le souvenir des qualités des rares et sublimes.

2. Les trois instructions particulières

Quand on a pris refuge en le bouddha, on ne prend plus refuge en d’autres dieux.

Dans Le Sutra du Grand nirvana, il est dit :

« La prise de refuge en les bouddhas
Est l’amie de vertu par excellence.
Et nous ne prendrons [jamais] refuge en d’autres dieux. »

Quand on a pris refuge en le dharma, on ne fera rien qui puisse nuire aux êtres.

Il est dit dans un sutra :

« Quand on a pris refuge en le saint dharma,
On [doit se] détacher de toute pensée malveillante et nuisible. »

Quand on a pris refuge en le sangha, on ne s’en remet plus à des hétérodoxes.

Il est dit dans un sutra :

« Quand on a pris refuge en le sangha,
On ne prend pas le parti des hétérodoxes. »

3. Les trois instructions communes

On respectera les représentations du rare et sublime bouddha, les statues du tathagata, jusqu’à un fragment de tsa-tsa.

On respectera les représentations du rare et sublime dharma, ses volumes, ses livres, et jusqu’à chacune de leurs lettres.

On respectera le rare et sublime sangha, les attributs des enseignants, et jusqu’à une pièce du tissu jaune (dont ils sont vêtus).

Les bienfaits

Il y en a huit :

– On entre dans la tradition du bouddha,

– On devient un support pour tous les vœux,

– On épuise tous les actes négatifs antérieurs,

– On n’est pas atteint par les obstacles (causés par) les humains et les non humains,

– On peut accomplir toutes les choses que l’on souhaite,

– On dispose de la source d’un immense bienfait,

– On ne tombera pas dans les existences inférieures,

– Et l’on obtiendra rapidement l’éveil parfait et véritable.

Traduction du tibétain révisée par le Comité Lotsawa, automne 1991

 

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