Introduction au symbole

Docteur Jean-Pierre Schnetzler

    1. Bibliographie

Le symbolisme est la clef de voûte des méthodes d’enseignement et des pratiques des institutions traditionnelles en général. Ceci se trouve particulièrement vrai dans le tantrisme, qu’il soit hindou ou bouddhique.

La compréhension exacte de ce qu’est le symbolisme n’est toutefois pas aisée, à la mesure de l’ignorance, voire des opinions péjoratives, qu’entretient à ce sujet le monde moderne. Ce relent péjoratif, que le mot comporte dans l’usage vulgaire, illustre cette dévalorisation contemporaine. Si notre employeur ne nous versait qu’un salaire symbolique, nos fins de mois seraient difficiles! Avec ce sens courant, nous errons dans les parages de l’insignifiant, du dérisoire, voire de l’inexistant.

Ce mépris, iconoclaste, du mode de penser symbolique, au bénéfice exclusif de la pensée dialectique, conceptuelle, « scientifique », avec le prestige qui s’attache à ce dernier vocable, caractérise la pensée occidentale des derniers siècles. Le retour en grâce récent de la connaissance symbolique s’est effectué à la suite du retour de l’intellectualité sacrée (René Guénon, Henri Corbin, Frithjof Schuon), des développements de la psychologie (C. G. Jung) et des sciences humaines (Mircea Eliade, Gilbert Durand). Quelques ouvrages d’initiation, auxquels nous renvoyons, permettent d’étudier les fondements de son fonctionnement et de ses usages traditionnels (1, 2, 3, 4, 5). Nous serons évidemment schématique.

Le symbole est :

« ce qui représente autre chose en vertu d’une correspondance analogique » et désigne donc « tout signe concret qui évoque par un rapport naturel quelque chose d’absent ou d’impossible à percevoir »
(Lalande, 6),

donc inaccessible à l’appréhension directe. Le domaine de prédilection de l’expression symbolique est donc

« le non-sensible sous toutes ses formes : inconscient, métaphysique, surnaturel et surréel »
(G. Durand, 7, p. 8).

Prenons quelques exemples pour faire vivre cette définition abstraite. Un vêtement entièrement blanc peut symboliser la pureté morale, en raison de l’analogie qui existe entre l’absence de taches sombres sur l’étendue claire, et l’absence de fautes morales dans le champ de conscience. De même dans l’hindouisme le pénis en érection, seul ou sortant d’une vulve, peut symboliser le pouvoir créateur de la divinité, en raison de l’analogie entre le pouvoir fécondant du membre viril (et de la matrice), et la puissance créatrice au niveau métaphysique.

Cet exemple permet de dépister l’erreur courante qui consiste à dire que le pénis en érection symbolise le désir sexuel, alors qu’il n’en est que la conséquence, ou, si vous voulez, le signe. Pour ne pas confondre, abusivement, le signe et le symbole, il faut bien voir que le signe renvoie à un sens, un signifié, qui peut être aisément présenté ou vérifié. Dans la catégorie des signes naturels, il existe un lien de causalité entre le signe et ce qu’il évoque, comme lorsqu’on dit la fumée signe de feu. Dans la catégorie des signes artificiels, ceux-ci sont dans une large mesure arbitraires. Par exemple, le signe + en forme de croix, remplace rapidement la définition, donnée une fois pour toutes, des règles de l’addition arithmétique, dont il est le signe, mais ne nous apprend rien sur le symbolisme géométrique de la Croix, tel qu’il est développé par René Guénon (5) lorsqu’il expose les règles de l’extension spatiale et de ce qu’elle est susceptible de représenter.

Un autre exemple nous montrera qu’une même figuration est susceptible d’interprétations à divers niveaux, et d’être soit un signe, soit un symbole. Un soleil gravé sur les canons du roi Louis XIV était le signe de leur appartenance à l’arme de l’artillerie de Sa majesté très chrétienne, mais il était le symbole du pouvoir rayon nant universel que Louis XIV attribuait à sa royauté.

Le symbole est donc une figuration concrète, qui renvoie à une signification plus générale, plus abstraite, ou mieux, à des significations multiples dont chacune est légitime à son niveau, à la condition que la loi d’analogie soit respectée, ce qui exclut tout arbitraire.

En effet, les sens symboliques …

« hiérarchiquement superposés, ne s’excluent nullement les uns les autres, pas plus qu’ils n’excluent le sens littéral : ils sont, au contraire, parfaitement concordants entre eux, parce qu’ils expriment en réalité les applications d’un même principe à des ordres divers »
(R. Guénon, 5, p. 13).

Cette correspondance analogique, qui relie entre eux « les états multiples de l’être » (R. Guénon, 8), les degrés de l’existence universelle, est la clef de tous les enseignements initiatiques d’orient ou d’occident, comme l’illustre le début de « La table d’émeraude », texte mère de l’alchimie :

« Il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable, ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. »

Cette …

« loi de correspondance est le fondement même de tout symbolisme, en vertu de laquelle chaque chose, procédant essentiellement d’un principe métaphysique dont elle tient toute sa réalité, traduit ou exprime ce principe à sa manière et selon son ordre d’existence, de telle sorte que d’un ordre à l’autre, toutes choses s’enchaînent et se correspondent pour concourir à l’harmonie universelle et totale, qui est, dans la multiplicité de la manifestation, comme un reflet de l’unité principielle elle-même. »
(R. Guénon, 5, p. 12)

Cette polyvalence naturelle fait du symbole le véhicule par excellence des enseignements métaphysiques, toujours mutilés par l’exposé univoque du langage conceptuel, en quelque sorte plan ou plat, alors que l’épaisseur du langage symbolique rend justice à la complexité vivante des plans superposés qui constituent la réalité. C’est pourquoi il est si largement utilisé par les maîtres spirituels de toutes les religions et véhicule aussi les voies et les moyens des traditions religieuses et initiatiques.

Le langage symbolique possède en effet cette propriété unique d’exprimer tout à la fois des données intellectuelles riches et complexes, et d’animer des éléments émotifs et instinctuels liés à l’objet symbolique. Il peut ainsi mouvoir, tout à la fois, l’intellect, l’affectivité et le corps, ce que la pure formulation conceptuelle abstraite est parfaitement incapable de faire. De là l’utilisation nécessaire du langage symbolique dans les exposés spirituels, qui ont une finalité pratique : la réalisation expérimentale, vécue, de la vérité qu’ils exposent.

L’épée par exemple (ou toute autre arme blanche analogue) est porteuse d’un symbolisme complexe, que l’on peut intuitivement et globalement percevoir, si l’on n’est pas porteur de blocages internes inconscients à la circulation du sens : jaillissement fulgurant de l’esprit et du verbe (1), intelligence discriminatrice qui sépare la vérité de l’erreur, rectitude morale, énergie implacable, force combative, pénétration agressive, danger mortel. Sa contemplation, comme son usage conscient, éveillent les affects correspondants qui peuvent aller de l’enthousiasme héroïque à la peur, en passant par le dévouement ou la sainte colère. Son usage rituel est capable de faire naître cet ensemble spirituel, psychique et corporel, organiquement lié, qui constitue le complexe symbolique de l’épée, faisait et fait toujours partie en Occident de l’initiation chevaleresque, et subsiste encore de nos jours dans la voie du sabre, le taï, au Japon.

Le symbole apparaît ainsi comme un langage naturel, unifié et unifiant, efficace pour transmettre la connaissance métaphysique, mais sur tout pour transformer celui qui l’utilise, car seul il plonge dans les profondeurs de l’être en même temps qu’il s’élève. Tantôt il utilise des formulations de base concrètes : figures géométriques, dessins, images, objets, situations naturelles, tantôt des gestes et actions ou séquences d’actions qui sont des rites, tantôt des contes ou scénarios légendaires qui sont des mythes ou des paraboles. Ce mode recouvre, on le voit, la majeure partie des enseignements et pratiques traditionnels.

Nous avons ainsi survolé les usages traditionnels du symbole.

Bibliographie

ALLEAU René : « La science des symboles » (Payot, Paris 1976).

« Dictionnaire des symboles » (Robert Laffont, Paris, 1969).

DURAND Gilbert : « L’imagination symbolique » (P.U.F., Paris, 1964).

GUENON René : « Symboles fondamentaux de la science sacrée » (Gallimard, Paris 1962).

GUENON René : « Le symbolisme de la croix » (Véga, Paris, 1957).

LALANDE André : « Vocabulaire technique et critique de la philosophie » (P.U.F.).

GUENON René : « Les états multiples de l’être » (Véga, Paris, 1932).

Ce texte est l’introduction à l’intervention du Docteur Jean-Pierre Schnetzler, lors du colloque « Tantrisme bouddhique et tantrisme hindou » qui s’est tenu à Karma-Ling en 1990.

1 « … De sa bouche sortait une épée aiguë à deux tranchants, et son visage était comme le soleil quand il brille dans sa force. » (Apocalypse, I, 16). Le bodhisattva de la Sagesse, Mañjushri, aussi, brandit une épée.

 

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