Tout intégrer dans la pratique

Khèntin Taï Sitoupa

« L’esprit est l’essence de toutes choses
Par la pureté de l’esprit, tout devient pur,
Par la clarté de l’esprit, tout devient clair,
L’essence de toutes choses est notre propre esprit. »
(Khèntin Taï Sitoupa)

« Alors que notre monde est plein de maux,
Il faut que tous les facteurs négatifs deviennent une voie vers l’éveil.
Ne blâme qu’une seule chose ;
Médite avec reconnaissance pour tout.
Vois les illusions comme les quatre Corps de bouddha : c’est la suprême protection de Sunyata. »
( L’entraînement de l’esprit en sept points )

Commentaire par Khèntin Taï Situpa :

Il y a de nombreuses sortes de négativités, mais nous pouvons formuler deux catégories principales : la négativité qui s’élève du monde extérieur – l’univers– et la négativité qui s’élève du contenu intérieur de ce monde – les êtres.

La première de ces catégories est celle des déséquilibres inquiétants des éléments comme les incendies, les inondations, les maladies, etc.

La seconde concerne tous les désagréments émanant des êtres, comme lorsqu’ils sont en colère contre nous ou lorsqu’ils nous rendent la vie difficile. Quelquefois, ce qu’ils font résulte de négativité antérieure, quelquefois c’est une nouvelle cause de négativité car cela peut provoquer des réactions de désir, de colère, d’ignorance, de jalousie ou d’orgueil en nous.

Quelles que soient les circonstances qui se présentent, le fait qu’elles nous soient favorables ou défavorables ne dépend seulement d’elles mais de notre compréhension. Si nous ne pouvons faire face adroitement à la situation, elle est négative. Si nous avons la compréhension et la dextérité nécessaires pour transmuter les circonstances en carburant pour notre pratique, alors elles sont favorables. Par exemple, que quelqu’un soit agressif envers nous et que nous lui rendions la pareille, toute la situation est alors négative. Cependant, si nous comprenons que ce qui arrive est la maturation de notre propre karma et que ce karma est apparu dans sa manifestation extérieure en tant qu’agression, alors nous pouvons accepter simplement ce qui arrive avec amour et patience, réalisant que c’est un moyen de purifier ce karma particulier.

Cela ne signifie pas qu’il faille sortir dans les rues et provoquer les agressions afin de purifier notre karma antérieur. Il y a des souffrances que nous pouvons éviter et d’autres que nous ne pouvons pas éviter. Normalement, nous passons beaucoup de temps et dépensons beaucoup d’énergie à éviter la souffrance, même la plus infime ; mais lorsque nous rencontrons une souffrance inévitable, reconnaissons-la comme la maturation de notre karma et acceptons-la avec joie, sachant que la maturation du karma elle-même élimine la cause de celui-ci, et que cela devait arriver à un moment ou à un autre. Au moment où un karma mûrit, le pratiquant adroit applique une des techniques de purification du karma et utilise sa présence au maximum. Sans une telle approche, on réagit négativement aux conditions adverses et sème des graines supplémentaires de karma. C’est tout simplement comme cela que tourne le cycle des existences : action et réaction négatives constantes perpétuant et recréant l’existence mondaine. La réalisation n’est rien en soi, rien de plus qu’une libération du cercle vicieux du samsara ; c’est pourquoi se déshabituer des réactions négatives constitue une partie du chemin de la réalisation. En abandonnant toute nouvelle cause du samsara et en purifiant tout le karma préexistant, nous pouvons retrouver la véritable nature de notre esprit, de nous-mêmes. De telles pratiques, comme la méditation de Vajrasattva, sont des moyens puissants pour purifier le karma existant, mais ce n’est pas commode de les faire tout au long de la journée et de maintenir la visualisation lorsque l’on fait son travail quotidien. Puisque c’est le cas, la purification naturelle, qui consiste à simplement accepter les souffrances qui ne sont pas facilement évitées, est importante.

Depuis des temps sans commencement, nous n’avons pas vraiment compris quelles sont les actions nuisibles à nous-même et à autrui, et quelles sont celles qui sont profitables. Tout est devenu nourriture pour l’ego, et notre bonheur et notre malheur de tous les jours sont les produits de nos karmas antérieurs respectivement positifs et négatifs. Ne comprenant pas cela, nous avons pris le succès ou le bonheur comme les fruits de nos efforts immédiats et nous entretenons de telles pensées pour glorifier l’ego. Lorsque nous souffrons, nous réagissons, par complaisance envers nous-mêmes, ou pour répondre, et ceci aussi enfle l’illusion de l’ego. Le bonheur et la souffrance font tous deux se développer l’ego plutôt que le diminuer, et l’ego est la graine même de la souffrance. Santideva dit que toute la souffrance dans l’existence est une résistance de l’ego. L’ego est le véritable démon qui nous persécute, un démon complètement non existant puisque, aussi poussée que soit notre recherche, il ne peut être trouvé en tant que quelque chose. Quoi qu’il en soit, la conviction illusoire en un soi fut engendrée, et ensuite ce « je » désire son bonheur, ressent la souffrance et est ignorant du moyen sûr par lequel un bonheur authentique peut être trouvé. Ainsi « je » donne naissance aux trois poisons du désir, de l’aversion et de l’ignorance et ceux-ci à leur tour donnent naissance aux souffrances du samsara. Elles ne seront jamais anéanties tant que leur essence, l’ego, ne sera pas déraciné. Jusqu’à ce moment là, elles se manifesteront sans fin. Toutes nous souffrances actuelles sont le résultat de nos tentatives antérieures malhabiles pour satisfaire l’ego ou le protéger du malheur.

Lorsque des troubles viennent à nous, soyons certains que leur cause n’est pas la personne ou la situation immédiates mais notre propre karma antérieur. Si nous n’avions pas le karma d’être heurtés, cela n’arriverait jamais. Le karma qui a causé cette situation, autant que la capacité présente à être affecté par elle, tout remonte à l’ego. Nous avons été l’esclave de l’illusion de l’ego pendant des millions et des billions de kalpa, de tant de façons différentes, et nous devons maintenant faire une révolution pour renverser cette conviction de l’ego. Nous pouvons chercher par nous-mêmes les moyens pour la réussite de notre révolution, mais ce n’est pas nécessaire et nous pouvons échouer. Cela peut être très difficile. Le dharma est là ; tout le chemin est déjà très clairement dessiné. Tout son suivi, la compréhension et les moyens de purifier et d’abandonner la croyance en l’ego sont disponibles pour nous.

Nous devons détruire la croyance en l’ego ; l’égoïsme est notre pire ennemi. Les ennemis humains ou animaux peuvent nous faire du tort mais le pire qu’ils puissent nous faire est de nous tuer. Cela semble terrible mais la mort n’est pas quelque chose de si sérieux lorsqu’on la comprend : l’esprit ne peut pas habiter plus longtemps dans ce corps et il en prend alors un autre, selon le pouvoir du karma. Tandis que les ennemis physiques peuvent seulement nous tuer, l’ennemi-ego nous a dominé et a déterminé notre existence pendant des temps incalculables. Maintenant que nous avons l’opportunité très rare et spécifique de la précieuse existence humaine, nous devons l’utiliser pour le juste but, pour la grande destruction de l’ego. Ce n’est pas que l’ego soit mauvais, que nous le détestions et voulions le tuer. C’est une vaine illusion qui a causé des problèmes, et son abandon vient par la compréhension pénétrant l’essence de l’existence. Nous n’avons pas besoin de le détester mais de l’utiliser, pour en faire la graine de la réalisation et pour faire des autres des Fils de bouddhas. Telle est la juste révolution.

Si nous souhaitons utiliser les circonstances de la vie comme parties intégrantes de notre pratique en termes de l’ultime vérité, nous devons alors les reconnaître comme semblables à des rêves, et illusoires. Plus avant, nous les voyons comme la manifestation ou le déploiement des quatre Corps de bouddha. Tout ce que nous voyons ou expérimentons n’est jamais autre que la nature de bouddha, rien d’autre que la réalisation, le dharmakaya du bouddha. Mais dans les activités incessantes, seconde après seconde, de l’ego, le désir, etc., cet aspect pur est caché, obscurci. Comment pouvons-vous retrouver les Corps de bouddhas dans ces situations ? Si nous cherchons ce qui nous arrive, d’une façon similaire à notre analyse systématique du corps et de l’esprit, à la recherche du soi, alors nous ne pouvons pas trouver en cela la plus petite parcelle de réalité existant indépendamment. Et pourtant, cela se manifeste. Comme pour les manifestations dans le rêve, il y a apparence sans origination, l’état sans naissance. C’est le dharmakaya sans naissance.

Les circonstances ne sont jamais nées et ne s’élèvent de nulle part, et pourtant elles sont là : nous sommes en train de parler, de manger, de tomber malades, etc. La nature non née ne les fait pas devenir un grand blanc ou un grand trou. L’apparence vive de ce qui n’est pas vraiment là est l’aspect du sambhogakaya. L’union simultanée du non né et du manifesté est l’aspect nirmanakaya. Dharmakaya, sambhogakaya et nirmanakaya ne sont pas des choses séparées. Ils sont un. Ce un est svabhavikakaya. Dharmakaya est la réalisation qui dépasse toute imagination et toute qualification. Sambhogakaya est comme la lumière brillante du soleil dans cet espace du dharmakaya, et le nirmanakaya est comme le pouvoir de croissance et le courant d’énergie de ce soleil. Le niveau ultime n’est pas quelque chose de différent de nous. Pas plus que ne l’est le niveau relatif.

Ce commentaire d’un passage du texte racine de « L’entraînement de l’esprit en sept points » (présenté dans Dharma n°11) qui suit a été donné par Khentin Taï Situ Rinpotché en 1981, publié par Samye-Ling dans « Way to go », traduit du tibétain en anglais par Ken Holmes puis en français par l’institut Karma-Ling, publié avec l’autorisation de l’éditeur anglais.

 

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