Voir le Bouddha Aksobhya

Chapitre Douzième du Vimalakirti Nirdesa Sutra

Le Vimalakirti Nirdesa Sutra est un texte classique du mah›y›na et du zen, qui met en avant la pratique spirituelle dans un milieu de vie séculier. Il raconte l’histoire d’un maître de maison nommé Vimalakırti, qui menait une vie mondaine en suivant le chemin des bodhisattvas. Ce dernier chapitre du Vimalakirti Nirdesa Sutra montre qu’un domaine est pur lorsque l’esprit est pur, qu’il est impur lorsque l’esprit est corrompu, et qu’il n’y a pas de domaine pur hors de ce monde impur car au moment de l’éveil le domaine pur est ici, dans l’immédiateté, et pas ailleurs.

Le Bouddha Aksobhya est l’un des cinq bouddhas principiels, celui qui est habituellement en relation avec la direction est ou le centre (selon les pratiques). Son domaine pur est nommé Abhirati ; il est mentionné dans ce texte comme étant le lieu d’où venait Vimalakirti. Dans la litérature tibétaine, il est aussi fait référence à ce domaine pur : Réchungpa, disciple de Milarépa, visita Abhirati en rêve et fut inspiré par Aksobhya de demander à Milarépa d’énoncer sa biographie. Il est dit aussi qu’à la mort de Milarépa, son stupa de cristal et ses reliques furent emportés en ce domaine par les dakini.

(…)

Le Bouddha questionna ensuite Vimalakirti :

– Vous avez parlé de venir voir le tathagata, mais comment le voyez-vous objectivement ?

Vimalakirti répondit :

– Voir la réalité dans son propre corps est la façon de voir le bouddha. Je vois que le tathagata n’est pas venu du passé, n’ira pas dans le futur, et ne demeure pas dans le présent. Le tathagata n’est pas visible, que ce soit dans la forme (rupa, le premier agrégat), dans l’extinction de la forme ou dans la nature sous-jacente à la forme. Pas plus qu’il n’est visible dans les sensations (vedana), les conceptions (sanjna), les formations mentales (samskara) ou la conscience (vijnana) (c’est-à-dire les quatre autres agrégats), leur extinction ou leur nature sous-jacente. Le tathagata n’est pas produit par les quatre éléments (la terre, l’eau, le feu et l’air) car il est (sans forme) semblable à l’espace. Il ne provient pas de l’association des six portes (c’est-à-dire les six organes sensoriels), car il est au-delà de l’œil, de l’oreille, du nez, de la langue, du corps et du mental. Il est au-delà des trois mondes (du désir, de la forme et sans forme) car il est libre des trois perturbations (désir, agressivité et stupidité). Il est en rapport avec les trois portes du nirvana (note : dans ce contexte, les trois portes sont celles de la vacuité, de l’absence de forme et du non-agir) et a réalisé les trois états d’éveil (ou trois intelligences) qui ne sont pas différents de la nature éveillée sous-jacente. Il n’est ni unité ni diversité, ni égoïsme ni altruisme, ni forme ni absence de forme (note : il est libre des fixations sur l’absence de forme du nirvana et sur la forme illusoire du samsara), ni sur cette rive (de l’absence d’éveil) ni sur une autre rive (celle de l’éveil), ni sur le chemin de l’aide aux autres êtres. Il regarde en la condition du nirvana mais ne réside pas dans son extinction permanente. Il n’est ni ceci ni cela et ne peut être révélé par aucun de ces deux extrêmes. Il ne peut être connu par l’intellect ni perçu par la conscience. Il n’est ni clair ni obscur. Il est sans nom et sans forme, étant ni fort ni faible, ni pur ni impur, ni à un endroit donné ni ailleurs, ni mondain ni supramondain. Il ne peut être ni indiqué ni exprimé. Il n’est ni généreux ni égoïste; il ne garde ni ne rompt les préceptes. Il est au-delà de la patience et de la haine, de l’énergie et de la nonchalance, de la tranquillité et de la perturbation. Il n’est ni intelligent ni idiot, ni honnête ni trompeur. Il ne vient ni ne va, il n’arrive ni ne part. Il dépasse les voies du mot et de la parole. Il n’est ni le domaine de la félicité ni son opposé, n’est ni digne ni indigne de vénération et d’offrandes. Il n’est ni crispé ni relâché et est au-delà de l’être et du non-être. Il est égal à la réalité et à la nature des choses (dharmata) et ne peut être nommé ou évalué, car il est au-delà des représentations et des mesures. Il n’est ni grand ni petit, n’est ni visible ni audible, ne peut être senti ou connu ; il est libre de tous liens et attaches, égal à l’Omniscience et à la nature (inhérente) de tous les êtres, et ne peut être différencié de toutes les choses. Il est au-delà du gain et de la perte, libre des illusions et des passions, au-delà de la production et du développement, au-delà des naissances et des morts, au-delà des peurs et des anxiétés, au-delà du plaisir et du déplaisir, et au-delà de l’existence temporelle dans le passé, le présent ou le futur. Il ne peut être révélé par les mots, les discours, le discernement et les désignations.

– Très Honorable, le corps du tathagata étant ainsi, le voir tel que cela est ici mentionné est juste, alors que le voir autrement est erroné.

Alors, Sariputra demanda à Vimalakirti :

– Où êtes-vous mort pour renaître ici ?

(Il admirait l’éloquence de Vimalakirti, et se demandait où il avait étudié avant sa renaissance à Vaisali.)

Vimalakirti demanda en retour :

– Le dharma que vous avez réalisé est-il sujet à mort et renaissance ?

Sariputra répondit :

– Il est au-delà des morts et des naissances.

Vimalakirti demanda :

– S’il n’y a ni naissance ni mort, pourquoi m’avez-vous demandé où j’étais mort pour renaître ici ? Que pensez-vous d’hommes et femmes illusoires produits par un illusioniste ; sont-ils sujets à naissance et mort ?

Sariputra répondit :

– Ils ne le sont pas. N’avez-vous pas entendu le Bouddha dire que toutes choses sont illusions ?

Vimalakirti dit :

– En effet, si toutes choses sont illusions, pourquoi m’avez-vous demandé où j’étais né pour renaître ici ? Sariputra, la mort, irréelle et trompeuse, signifie pour l’homme ordinaire décadence et destruction, tandis que la vie qui est aussi irréelle et trompeuse signifie durée pour lui. Comme pour le bodhisattva, bien qu’il disparaisse (d’un endroit) il ne met pas fin à sa bonté, et bien qu’il réapparaisse ailleurs, il empêche la négativité de s’élever.

A ce moment, le Bouddha dit à Sariputra :

– Il y a un domaine d’éveil appelé le royaume de Joie profonde où est le Bouddha Aksobhya, d’où Vimalakirti disparut pour venir ici.

Sariputra dit :

– C’est une chose rare, Très Honorable, que cet homme ait pu quitter un domaine pur pour venir en ce monde plein de haine et de douleur !

Vimalakirti demanda à Sariputra :

– Sariputra, que pensez-vous de la lumière du soleil ; lorsqu’elle apparaît, s’unit-elle à l’obscurité ?

Sariputra répondit :

– Là où est la lumière du soleil, n’est pas l’obscurité.

Vimalakirti demanda :

– Pourquoi le soleil brille-t-il sur cette terre ?

Sariputra répondit :

– Il brille pour détruire l’obscurité.

Vimalakirti dit :

– De la même manière, un bodhisattva, bien qu’il soit né dans un domaine d’éveil pur, ne s’unit pas avec l’obscurité de l’ignorance mais enseigne aux êtres à détruire l’obscurité des passions.

L’assemblée admirait et souhaitait voir l’immuable tathagata, les bodhisattvas et les sravaka de la terre pure de Joie profonde.

Le Bouddha ayant lu ces pensées, dit à Vimalakirti :

– Homme de vertu, s’il te plait, montre le tathagata immuable et les bodhisattvas et sravaka de la terre de Joie profonde à cette assemblée qui veut les voir.

Vimalakirti pensa qu’il pourrait, tout en restant assis, prendre avec sa main le monde de la Joie profonde avec sa chaîne de montagnes en fer périphérique, ses collines, les rivières, les fleuves, les ravins, les sources, les océans, les montagnes, le soleil, la lune, les étoiles, les planètes, les palais de dragons célestes, les fantômes, les esprits et les dieux, les bodhisattvas, les sravaka, les villes, les hameaux, les hommes et les femmes de tous âges, le tathagata immuable, son arbre d’éveil et ses magnifiques fleurs de lotus, que le Bouddha utilisait pour accomplir son activité salvatrice dans les dix directions, ainsi que les trois volées de marches ornées de pierres précieuses qui relient notre terre (Jambudvipa) aux mondes célestes des trente-trois (trayastrimsa) (voir l’article de Bokar Rinpotché) par lesquels les dieux descendent sur la terre et rendent hommage au tathagata immuable et écoutent son enseignement, et par lesquels les hommes montent dans les cieux des trente-trois pour rencontrer les dieux. Tout ceci était le produit des bienfaits innombrables du royaume de la Joie profonde, depuis le ciel d’Akanistha au plus haut jusqu’aux océans inférieurs, et était soutenu par la main droite de Vimalakirti aussi facilement qu’un potier élève son pot avec le tour ; il mettait toutes les choses à terre pour les montrer à l’assemblée, comme s’il montrait sa propre coiffe.

Vimalakirti entra ensuite en samadhi et utilisa ses pouvoirs extraordinaires pour prendre de la main droite le monde de la Profonde joie, qu’il déposa à terre. Les bodhisattvas, les sravaka et quelques dieux qui avaient des pouvoirs extraordinaires dirent à leur Bouddha :

– Très Honorable, qui nous emporte ? Nous protégerez-vous ?

Le Bouddha immuable dit :

Cependant, ceux qui n’avaient pas de pouvoirs extraordinaires ne surent ni ne perçurent qu’ils avaient changé de place. Le monde de la Profonde joie ne se répandit ni ne se rétrécit après avoir été déposé sur la terre qui n’avait pas du tout été comprimée ni raidie, restant inchangée, comme auparavant.

A ce moment, le Bouddha Sakyamuni s’adressa à l’assemblée :

– Regardez le tathagata immuable du domaine majestueux de la Profonde joie, où les bodhisattvas vivent de façon pure et les disciples sont immaculés.

L’assemblée répondit :

– Nous avons vu.

Le Bouddha dit :

– Si un bodhisattva veut vivre en un tel domaine pur d’éveil, il lui faut suivre le chemin tracé par le tathagata immuable.

Lorsque le domaine pur de Profonde joie apparut, cent quarante millions de personnes de ce monde développèrent l’esprit du suprême éveil, et formulèrent le souhait d’y renaître. Le Bouddha Sakyamuni prophétisa alors leur future renaissance en ce domaine.

Après ce travail salvateur des bodhisattvas pour le bien des êtres de ce monde, le domaine pur de Profonde joie retourna à sa place initiale, et ceci fut visible par toute l’assemblée.

Extrait de la traduction anglaise du sutra par Charles Luk, publiée par Shambhala Publications, (300, Massachussetts ave. MA-02115 Boston, U.S.A.), traduit en français par l’Institut Karma-Ling.

 

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