Méditation sur les chemins de l’impermanence

Kèlsang Gyatso, septième Dalaï Lama

Vers le lama supérieur, mon refuge, mon père,
Dont le souvenir dissout toute tristesse,
Je me tourne pour une direction spirituelle ;
Bénissez mon esprit par vos pouvoirs transformants,
De sorte que la pensée de la mort ne me quitte jamais,
Afin que je pratique à la perfection
Le dharma authentique.

Aux montagnes dorées lointaines
Pendent des halos de brumes, ceintures des versants :
Actuellement solides en apparence, bientôt se dissipant.
Mon esprit tourne sa pensée vers ma mort.

Au printemps, saison de la chaleur et de la croissance,
Les tiges des cultures étaient vert turquoise,
Maintenant, à l’automne finissant, s’étendent les champs nus et desséchés.
Mon esprit pense à ma mort.

À chaque branche des arbres de mon jardin
Sont accrochés des bouquets de fruits, gonflés et mûrs,
Dont aucun ne restera, définitivement.
Mon esprit pense à ma mort.

De derrière les sommets du mont Potala,
Le soleil s’éleva comme une ombrelle dans le ciel.
Il a maintenant disparu derrière les chaînes occidentales.
Mon esprit pense à ma mort.

Ils meurent âgés, ils meurent jeunes, jour après jour.
Il m’est demandé d’envoyer leurs consciences dans un domaine pur,
Ou de prophétiser les conditions de leurs renaissances.
Mon esprit pense à ma mort.

De gris nuages couvrent le ciel et l’obscurcissent,
Les premières gouttes de pluie sont sur le point de tomber
Et d’être éparpillées partout par un vent sombre et rouge.
Mon esprit pense à ma mort.

Dans le ventre du vaste plateau là-bas, en bas,
Les feux de camps des voyageurs rougeoient comme des étoiles,
Mais demain ils partiront, ne laissant que des rejets.
Mon esprit pense à ma mort.

Les chaudes journées estivales, la terre grouillante de vie,
Les esprits des gens perdus dans les réjouissances
Sont soudainement abattus pas le vent froid de l’hiver.
Mon esprit pense à ma mort.

Tout là-haut, les dragons turquoise rugissaient en harmonie.
Autour de moi, les coucous jacassaient doucement.
Mais les temps ont changé. Où sont-ils maintenant ?
Mon esprit pense à ma mort.

Le dharma, précieux enseignement des êtres éveillés,
Est une médecine suprême qui soigne toutes les maladies spirituelles.
Aujourd’hui, nombre des saints d’antan regardent, Depuis les domaines purs.
Mon esprit pense à ma mort.

Il est difficile de quitter la mère qui nous portait;
Et difficile de nous séparer des amis et des proches.
Mais comme les années passent, nos liens s’érodent.
Mon esprit pense à ma mort.

Un jeune homme aux dents longues (ambitieux)
Avait des projets pour les mois et les années à venir ; il mourut,
Ne laissant pas la moindre trace. Où est-il maintenant ? Disparu !
Mon esprit pense à ma mort.

Le Bouddha obtint le corps-vajra, glorieux et immortel ;
Il manifesta néanmoins la scène de sa mort ;
Ce corps de chair, de sang et d’os, couvert de peau,
Comme une bulle d’eau est lié au périssement.

À sa naissance, un enfant voit l’âge de ses parents,
Les voit chaque jour se rapprocher de la tombe.
Comment pouvez-vous dire : « Je suis encore jeune »?
Je vous préviens qu’il n’y a pas d’espoir
De se dérober à la mort.

Les esprits étaient en alerte ce matin :
Les hommes parlaient de vaincre les ennemis et de protéger les terres.
Maintenant, la nuit venue, les oiseaux et les chiens mâchent leurs cadavres.
Lequel pensait qu’il allait mourir aujourd’hui même ?

Cherchez, parmi les gens de votre pays
Quelqu’un âgé de plus de cent ans.
Vous seriez chanceux d’en découvrir même un seul !
Ne pensez-vous pas que votre propre mort est certaine ?

Si vous regardez attentivement et contemplez profondément
Les personnes et les choses apparaissant autour de vous,
Vous pouvez constater une constante évolution.
Toute chose enseigne l’impermanence.

Je me souviens de ce corps lorsqu’il était celui d’un enfant,
Et de son évolution vers la forme d’un adolescent.
Maintenant tous ses membres sont tordus et usés.
C’est mon propre corps, mais il ne réjouit pas même mes propres yeux.

L’esprit lui-même est impermanent,
Balançant constamment entre des sentiments
De plaisir, de douleur et d’indifférence,
Fruits de karmas positifs, négatifs ou neutres.

Regardez où vous voulez, vers vous-même ou les autres,
La vie passe comme un éclair de lumière.
Quand les agents de la mort vous entourent, Préméditant un meurtre,
Que pensez-vous qu’il va vous arriver ?

Les proches, les amis, les richesses et les propriétés
Brillent de splendeur aux yeux des personnes mondaines.
Ainsi se lient-elles par les entraves de l’attachement.
C’est pathétique ; comment cela finira-t-il ?

Corps allongé à plat sur son dernier lit,
Voix murmurant quelques derniers mots,
Esprit considérant un dernier souvenir du passé.
Quand ce drame vous touchera-t-il ?

Si vous ne produisez rien d’autre qu’un karma malsain,
Vous resterez dénué des instincts bienfaisants pour la vie à venir.
Où irez-vous après la mort ?
Cette seule pensée vous fait fléchir.

C’est pourquoi, moi-même et mes semblables
Devrions délaisser les manières insensées
Et nous confier aux lama, yidam, et dakini,
Leur demandant de nous préparer
Au chemin de la mort.

Pour bien mourir, avec la joie et l’assurance
D’être dans les blancs rayons de lumière de la sagesse spirituelle,
Il est essentiel de commencer à vous préparer dès maintenant.
Familiarisez-vous, par la profondeur des sutras et des tantras.

Par ce chant, puissent mes semblables,
Personnes sans tradition à peine meilleures que des sauvages,
Être pris dans les flammes du renoncement.
Puissent-ils évoluer spirituellement
Et atteindre la libération.

Poème de méditation sur les chemins de la mort et de l’impermanence, pour inspirer les esprits, le mien et ceux des autres.

© Glenn Mullin 1992. Extrait de « Selected Works of the Dalaï-Lama VII », Snow Lion Publications, Ithaca, New York. Traduit en français par Kunsang Pamo.

 

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