Réflexions et orientations concernant le dialogue interreligieux

Réflexions et orientations concernant le dialogue interreligieux

Cardinal Francis Arinze (Président du Conseil Pontifical pour le Dialogue interreligieux)et Cardinal Josef Tomka (Préfet de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples)

Afin de connaître l’approche chrétienne du dialogue interreligieux, son but et ses moyens tels qu’ils sont considérés par les chrétiens avec qui il a lieu, nous avons demandé une participation du Vatican. Nous remercions chaleureusement le Père John B. Shirieda, du Secretaria pro non christianis du Vatican, pour la disponibilité dont il a fait preuve à l’occasion de notre demande en faisant des recherches dans le Bulletin du Pontificium Consilium pro Dialogo Inter religiones, et nous donnant l’aimable autorisation de les reproduire. Nous avons choisi des extraits d’un texte récent (publié pour la première fois en février 1991) préparé par des dicastères romains après une large consultation : Dialogue et Annonce.

Après avoir défini ce qu’il faut entendre par « dialogue », et par « annonce », les extraits que voici insistent sur la valeur positive des religions, sur leurs rapports avec l’Église et sur le rôle de celle-ci à leur égard.

( Les paragraphes 1à 8 sont une introduction)

Terminologie

dialogue,

9. Le terme de dialogue peut se comprendre de diverses manières. Premièrement, au niveau purement humain, cela signifie communication réciproque en vue d’un but commun ou, à un niveau encore plus profond, d’une communion interpersonnelle. Deuxièmement, le terme de dialogue peut être pris dans le sens d’une attitude de respect et d’amitié, qui imprègne ou devrait imprégner toutes les activités qui constituent la mission évangélisatrice de l’Église. Cela peut être, à juste titre, appelé « l’esprit du dialogue ». Troisièmement, dans un contexte du pluralisme religieux, le terme de dialogue signifie « l’ensemble des rapports interreligieux, positifs et constructifs, avec des personnes et des communautés de diverses croyances, afin d’apprendre à se connaître et à s’enrichir les uns les autres » (DM 3), tout en obéissant à la vérité et en respectant la liberté de chacun. Il implique à la fois le témoignage et l’approfondissement des convictions religieuses respectives. C’est dans ce troisième sens que le présent document utilise le terme de dialogue comme étant l’un des éléments intégrants de la mission évangélisatrice de l’Église.

annonce,

10. Le terme d’annonce signifie la communication du message évangélique, le mystère du salut réalisé pour tous par Dieu en Jésus Christ avec la puissance de l’Esprit Saint. C’est une invitation à un engagement de foi en Jésus-Christ, une invitation à entrer par le baptême dans la communauté des croyants qu’est l’Église. Cette annonce peut se faire sous forme solennelle et publique, comme ce fut le cas au jour de la Pentecôte(cf. Ac 2, 5-41), ou bien sous forme de simple conversation privée(cf. Ac 8, 30-38). Elle conduit tout naturellement à une catéchèse qui tend à approfondir cette foi. L’annonce est le fondement, le centre et le sommet de l’évangélisation (cf. EN 27)..

conversion,

11. L’idée de conversion inclut toujours un mouvement de tout l’être vers Dieu, « le retour d’un cœur humble et contrit à Dieu, avec le désir de Lui soumettre plus pleinement sa propre vie » (DM 37). D’autre part, le terme de conversion peut aussi se référer de manière plus spécifique à un changement d’adhésion religieuse et, plus particulièrement, au fait d’embrasser la foi chrétienne. Le sens du terme conversion utilisé dans ce document dépendra du contexte auquel il se réfère.

religions et traditions religieuses.

12. Les termes de religions et de traditions religieuses sont ici utilisés en un sens générique et analogique. Ils comprennent les religions qui, avec le christianisme, aiment à se référer à la foi d’Abraham, ainsi que les grandes traditions religieuses de l’Asie, de l’Afrique et du reste du monde.

13. Le dialogue interreligieux devrait s’étendre à toutes les religions et à tous leurs adeptes. Mais ce document ne traitera pas du dialogue avec les adeptes des « nouveaux mouvements religieux », à cause de la diversité des situations qu’ils présentent et le besoin du discernement des valeurs humaines et religieuses qu’ils contiennent.

Dialogue interreligieux : une approche chrétienne des traditions religieuses

14. Une juste appréciation des autres traditions religieuses présuppose normalement un contact étroit avec celles-ci. Cela implique, à côté des connaissances théoriques, une expérience réelle du dialogue interreligieux avec les adeptes de ces mêmes traditions. Cependant, il est aussi vrai qu’une évaluation théologique correcte de ces traditions, au moins en termes généraux, demeure un présupposé nécessaire pour le dialogue interreligieux. Ces traditions doivent être approchées avec grand respect, à cause des valeurs spirituelles et humaines qu’elles contiennent. Elles requièrent notre considération car, à travers les siècles, elles ont porté témoignage des efforts déployés pour trouver des réponses « aux énigmes cachées de la condition humaine » (NA 1) et elles sont été le lieu d’expression de l’expérience religieuse et des plus profondes aspirations de millions de leurs membres : elles continuent à le faire et à l’être aujourd’hui.

15. Vatican II a indiqué le chemin pour arriver à une telle évaluation positive. Il faut s’assurer, avec soin et précision, du sens exact des affirmations du Concile. Le Concile réaffirme la doctrine traditionnelle selon laquelle le salut en Jésus-Christ est, par des voies mystérieuses, une réalité offerte à toute personne de bonne volonté. La claire affirmation de cette conviction de base du Concile se trouve dans la Constitution Gaudium et spes. Le Concile y enseigne que le Christ, nouvel Adam, par le mystère de son Incarnation, de sa mort et de sa Résurrection, agit en chaque personne humaine pour l’amener à un renouveau tout intérieur.

« Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans les cœurs desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au Mystère pascal » (GS 22).

16. Le Concile va même plus loin. Faisant sienne la vision – et la terminologie – de certains Pères de l’Église des premiers temps, Nostra aetate parle de la présence dans ces traditions d’un « rayon de cette Vérité qui illumine tous les hommes » (NA 2). Ad gentes reconnaît la présence de « semences du Verbe » et signale « les richesses que, par sa munificence, Dieu a dispensées aux nations » (AG 11). Lumen gentium fait référence au bien « semé » non seulement dans l’esprit et le cœur des hommes mais aussi « dans les rites et les coutumes des peuples » (LG 17).

17. Ces quelques références suffisent à montrer que le Concile a reconnu ouvertement la présence de valeurs positives, non seulement dans la vie religieuse personnelle des croyants des autres traditions religieuses, mais aussi dans les traditions religieuses elles-mêmes auxquelles ils appartiennent. Il attribue ces valeurs à la présence active de Dieu lui-même à travers son Verbe, et aussi à l’action universelle de l’Esprit : « Sans aucun doute », affirme Ad gentes, « le Saint-Esprit était actif dans le monde avant que le Christ ne soit glorifié » (AG 4). Partant de là, on peut donc considérer que ces éléments, en tant que préparation pour l’Évangile, ont joué et jouent toujours un rôle providentiel dans l’économie divine du salut. A reconnaître tout cela, l’Église se sent poussée à entrer « en dialogue et collaboration » (NA 2; cf. GS 92-93) :

« Que les Chrétiens, tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socioculturelles qui se trouvent en ceux (qui suivent d’autres religions) »

(NA 2).

18. Le Concile n’ignore pas que l’activité missionnaire de l’Église est nécessaire pour mener à leur perfection dans le Christ ces éléments trouvés dans d’autres religions. Le Concile l’affirme très clairement :

« Tout ce qui se trouvait déjà de vérité et de grâce chez les nations comme par une secrète présence de Dieu, elle le délivre des contacts mauvais et le rend au Christ son auteur, qui détruit l’empire du diable et arrêt la malice infiniment diverse des crimes. Aussi tout ce qu’on découvre de bon semé dans le cœur et l’âme des hommes ou dans les rites particuliers et les civilisations particulières des peuples, non seulement ne périt pas, mais est purifié, élevé et porté à sa perfection pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme »
(AG 9).

(Les paragraphes 19 à 26 donnent l’histoire de l’action salvatrice de Dieu.)

27. Dans son allocution à la Curie romaine, après la journée de prière à Assise, le Pape Jean-Paul II soulignait une fois de plus la présence universelle de l’Esprit Saint, en affirmant que « chaque prière authentique est suscitée par l’Esprit Saint, qui est mystérieusement présent dans le cœur de chaque personne humaine », qu’elle soit chrétienne ou non. Mais à nouveau, dans ce même discours, regardant plus loin que les seuls individus, le Pape a évoqué clairement les principaux éléments qui constituent, ensemble, la base théologique d’une approche positive des autres traditions religieuses et de la pratique du dialogue interreligieux.

28. Il y a d’abord le fait que toute l’humanité forme une seule famille, basée sur une origine commune, tous les hommes et toutes les femmes étant créés par Dieu à sa propre image. Parallèlement, tous ont une destinée commune, puisque tous sont appelés à trouver en Dieu la plénitude de vie. De plus, il n’y a qu’un plan divin de salut, ayant son centre en Jésus-Christ, qui, dans son incarnation, « s’est uni lui-même, d’une certaine manière, à chaque homme »(cf. RH 13; GS 22, 2). Et finalement, il y a la présence active du Saint Esprit dans la vie religieuse des membres des autres traditions religieuses. Le Pape conclut donc à « un mystère d’unité », qui s’est clairement manifesté à Assise, « malgré les différences entre les professions religieuses ».

29. Il découle, de ce mystère d’unité, que tous ceux et toutes celles qui sont sauvés participent, bien que différemment, au même mystère de salut en Jésus-Christ par son Esprit. Les chrétiens en sont bien conscients, grâce à leur foi, tandis que les autres demeurent inconscients du fait que Jésus-Christ est la source de leur salut. Le mystère de salut les atteint, néanmoins, par des voies connues de Dieu, grâce à l’action invisible de l’Esprit du Christ. Concrètement, c’est dans la pratique sincère de ce qui est bon dans leurs traditions religieuses et en suivant les directives de leur conscience, que les membres des autres religions répondent positivement à l’appel de Dieu et reçoivent le salut en Jésus-Christ même s’ils ne le reconnaissent et ne le confessent pas comme leur Sauveur (cf. AG 3, 9, 11).

30. Les fruits de l’Esprit de Dieu dans la vie personnelle des individus, chrétiens ou on, peuvent être facilement discernés (cf. Ga 5, 22-23). Identifier, dans les autres traditions religieuses, ces éléments de grâce capables de soutenir la réponde positive de leurs membres à l’appel de Dieu est bien plus difficile. Un discernement est ici requis, pour lequel des critères doivent être établis. Bien des personnes sincères, inspirées par l’Esprit de Dieu, ont certainement marqué de leur empreinte l’élaboration et le développement de leurs traditions religieuses respectives. Mais cela ne veut pas dire pour autant que tout en celles-ci soit nécessairement bon.

31. Affirmer que les autres traditions religieuses comprennent des « éléments de grâce » ne signifie pas pour autant que tout en elles soit le fruit de la grâce. Le péché a été à l’œuvre dans le monde et donc les autres traditions religieuses, malgré leurs valeurs positives, sont aussi le reflet des limitations de l’esprit humain, qui est parfois enclin à choisir le mal. Une approche ouverte et positive des autres traditions religieuses n’autorise donc pas à fermer les yeux sur les contradictions qui peuvent exister entre elles et la révélation chrétienne. Là où c’est nécessaire, on doit reconnaître qu’il y a incompatibilité entre certains éléments essentiels de la religion chrétienne et certains aspects de ces traditions.

32. Cela signifie donc que, tout en entrant avec un esprit ouvert dans le dialogue avec les membres des autres traditions religieuses, les chrétiens peuvent, d’une manière pacifique, les inciter à réfléchir au contenu de leur croyance. Mais les chrétiens eux-mêmes doivent accepter, à leur tour, d’être remis en question. En effet, malgré la plénitude de la révélation de Dieu en Jésus-Christ, la manière suivant laquelle ils comprennent parfois leur religion et la vivent peut avoir besoin de purification.

(Les paragraphes 33 à 41 montrent la place du dialogue dans la mission évangélisatrice de l’Église).

Formes du dialogue

42. Il existe différentes formes de dialogue interreligieux. Il semble utile de rappeler ici celles que mentionne le document de 1984 du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux (cf. DM 28-35). Quatre formes y sont mentionnées, sans qu’on ait voulu y mettre un ordre de priorité.

a) Le dialogue de la vie, où les gens s’efforcent de vivre dans un esprit d’ouverture et de bon voisinage, partageant leurs joies et leurs peines, leurs problèmes et leurs préoccupations humaines.

b) Le dialogue des œuvres, où il y a collaboration en vue du développement intégral et de la libération totale de l’homme.

c) Le dialogue des échanges théologiques, où des spécialistes cherchent à approfondir la compréhension de leurs héritages religieux respectifs et à apprécier les valeurs spirituelles les uns des autres.

d) Le dialogue de l’expérience religieuse, où des personnes enracinées dans leurs propres traditions religieuses partagent leurs richesses spirituelles, par exemple par rapport à la prière et à la contemplation, à la foi et aux voies de la recherche de Dieu ou de l’Absolu.

43. Il ne faut pas perdre de vue cette variété des formes de dialogue. Si on réduisant celui-ci à l’échange théologique, le dialogue pourrait être facilement considéré comme un produit de luxe dans la mission de l’Église, et donc un domaine réservé à des spécialistes. Au contraire, guidées par le Pape et leurs évêques, toutes les Églises locales et tous les membres de ces Églises sont appelés au dialogue, mais non point tous de la même manière. Il est en outre évident que ces différentes formes sont liées les unes aux autres. Les contacts de la vie quotidienne et l’engagement commun dans l’action ouvriront normalement la voie pour promouvoir ensemble les valeurs humaines et spirituelles. Ils peuvent ensuite conduire aussi au dialogue de l’expérience religieuse, en réponse aux graves questions que les circonstances de la vie ne manquent pas de susciter dans l’esprit humain (cf. NA 2). Les échanges au niveau de l’expérience religieuse peuvent également rendre plus vivantes et profondes les discussions théologiques. Celles-ci en retour peuvent éclairer les expériences et encourager des contacts plus étroits.

44. Il faut également souligner l’importance du dialogue pour le développement intégral, la justice sociale et la libération humaine. Les Églises locales, comme témoins de Jésus-Christ, sont appelées à s’engager en ce domaine de manière désintéressée et en toute impartialité. Il faut qu’elles se mobilisent en faveur des droits de l’homme, qu’elles proclament les exigences de la justice, et qu’elles dénoncent les injustices, non seulement quand leurs propre membres en sont les victimes, mais indépendamment de l’appartenance religieuse des personnes qui en souffrent. Il faut aussi que tous s’associent pour essayer de résoudre les graves problèmes auxquels la société et le monde doivent faire face, et pour promouvoir l’éducation à la justice et à la paix.

43. Un autre contexte dans lequel le dialogue interreligieux semble urgent aujourd’hui est celui de la culture. Le concept de culture est plus large que celui de religion. Selon une certaine conception, la religion représente la dimension transcendante de la culture et donc son âme. Les religions ont certainement contribué au progrès de la culture et à l’édification d’une société plus humaine. Cependant, les pratiques religieuses ont parfois aussi eu une influence aliénante à l’égard des cultures et une culture autonome sécularisée peut aujourd’hui jouer un rôle critique vis-à-vis de certains éléments négatifs dans telle ou telle religion. La question est donc complexe, car plusieurs religions peuvent coexister dans un seul et même cadre culturel, alors qu’une même religion peut trouver à s’exprimer dans des contextes culturels différents. Il arrive même que des différences religieuses peuvent conduire à des cultures distinctes dans une même région.

46. Le message chrétien promeut nombre de valeurs qui se trouvent et son vécues dans la sagesse et le riche patrimoine des cultures, mais il peut aussi mettre en question des valeurs généralement acceptées dan une culture donnée. C’est dans un dialogue attentif qu’il faut savoir reconnaître et accueillir les valeurs culturelles qui favorisent la dignité de l’homme et son destin transcendant. D’autre part, certains aspects de cultures traditionnellement chrétiennes peuvent être remis en question par les cultures locales d’autres traditions religieuses (cf. EN 20). Dans ces relations complexes entre culture et religion, le dialogue interreligieux, au niveau de la culture, revêt donc une importance considérable. Son objectif sera de surmonter les tensions et les conflits, et même les éventuelles confrontations par une meilleure compréhension entre les cultures religieuses variées en une région donnée. Il pourra contribuer à purifier les cultures de tout élément déshumanisant et être ainsi un agent de transformation. Il pourra aussi aider à promouvoir des valeurs culturelles traditionnelles menacées par la modernité et le nivellement vers le bas que toute internationalisation indifférenciée peut porter avec soi.

Dispositions et fruits du dialogue interreligieux

47. Le dialogue demande, de la part des chrétiens aussi bien que de la part des membres des autres religions, une attitude équilibrée. Ils ne devraient être ni trop ingénus ni hypercritiques, mais bien plutôt d’esprit ouvert et accueillant. Le désintéressement et l’impartialité, ainsi que l’acceptation des différences, voire des possibles contradictions ont déjà été mentionnées. Mais il s’agit aussi d’être résolus à s’engager ensemble au service de la vérité et d’être prêts à se laisser transformer par la rencontre.

48. Ceci ne signifie pas que, lorsqu’ils entrent en dialogue, les partenaires doivent faire abstraction de leurs convictions religieuses respectives. C’est le contraire qui est vrai : la sincérité du dialogue interreligieux exige qu’on y entre avec l’intégralité de sa propre foi. En même temps, tout en restant fermes dans la foi qui est la leur, à savoir que la plénitude de la révélation leur a été donnée en Jésus-Christ, unique médiateur entre Dieu et les hommes (cf. 1 Tm, 2, 4-6), les chrétiens doivent se rappeler que Dieu s’est aussi manifesté de quelque manière aux membres des autres traditions religieuses. Par conséquent, c’est dans un esprit de compréhension qu’ils sont appelés à envisager les convictions et les valeurs des autres.

49. En outre, la plénitude de la vérité reçue en Jésus-Christ ne donne pas au chrétien la garantie qu’il a aussi pleinement assimilé cette vérité. En dernière analyse, la vérité n’est pas une chose que nous possédons, mais une personne par qui nous devons nous laisser posséder. C’est là une entreprise sans fin. Tout en gardant intacte leur identité, les chrétiens doivent être prêts à apprendre et à recevoir des autres et à travers eux les valeurs positives de leurs traditions. Par le dialogue ils peuvent être conduits à vaincre des préjugés invétérés, à réviser des idées préconçues et même parfois à accepter que la compréhension de leur foi soit purifiée.

50. Si les chrétiens entretiennent une telle ouverture et s’ils acceptent d’être mis eux-mêmes à l’épreuve, ils deviendront capables de cueillir les fruits du dialogue. Ils découvriront alors avec admiration tout ce que Dieu, par Jésus-Christ et en son Esprit, a réalisé et continue à réaliser dans le monde et dans l’humanité toute entière. Loin d’affaiblir leur foi chrétienne, le vrai dialogue l’approfondira. Ils deviendront toujours plus conscients de leur identité chrétienne et percevront plus clairement ce qui est propre au message chrétien. Leur foi gagnera de nouvelles dimensions, tandis qu’ils découvriront la présence agissante du mystère de Jésus-Christ au-delà des frontières visibles de l’Église et du bercail chrétien.

Les obstacles au dialogue

51. Déjà sur le plan simplement humain, il n’est pas facile de pratiquer le dialogue. Le dialogue interreligieux est encore plus difficile. Il importe d’être conscients des obstacles qui peuvent se présenter. Certains peuvent se vérifier dans les membres des diverses traditions religieuses et peuvent donc entraver la réussite du dialogue. D’autres affecteront plus spécialement certaines traditions religieuses et peuvent donc rendre difficile toute initiative en vue d’engager un processus de dialogue.

52. Quelques-uns des obstacles qui semblent les plus importants sont mentionnés ici.

a) Un enracinement insuffisant en sa propre foi

b) Une connaissance et une compréhension insuffisantes de la croyance et des pratiques des autres religions, pouvant mener à un manque d’appréciation de leur signification et parfois même à de fausses interprétations.

c) Des différences culturelles, qui proviennent de niveaux différents d’instruction ou du recours à des langues différentes.

d) Des facteurs socio-politiques ou certaines séquelles du passé.

e) Une mauvaise compréhension de termes tels que conversion, baptême, dialogue, etc.

f) L’intolérance, souvent aggravée lorsqu’elle est associée à des facteurs politiques, économiques, raciaux et ethniques, et un manque de réciprocité dans le dialogue, pouvant mener à un sentiment de frustration.

g) Un manque de conviction à l’égard de la valeur du dialogue interreligieux, que certains peuvent considérer comme une tâche réservée à des spécialistes et que d’autres considèrent comme un signe de faiblesse ou même comme une trahison de la foi.

h) Le soupçon au sujet des motivations du partenaire dans le dialogue.

i) Un esprit de polémique, quand on exprime des convictions religieuses.

j) L’intolérance, souvent aggravée lorsqu’elle est associée à des facteurs politiques, économiques, raciaux et ethniques, et un manque de réciprocité dans le dialogue, pouvant mener à un sentiment de frustration.

k) Certains traits du climat religieux actuel : matérialisme croissant, indifférence religieuse et multiplication des sectes qui crée de la confusion et soulève de nouveaux problèmes.

53. Beaucoup de ces obstacles proviennent d’un manque de compréhension de la vraie nature et du but du dialogue interreligieux. Ceux-ci doivent donc être sans cesse expliqués. Beaucoup de patience est ici requise. On doit également rappeler ici que l’engagement de l’Église dans le dialogue ne dépend aucunement des résultats obtenus dans la compréhension et l’enrichissement mutuels. Cet engagement naît bien plutôt de l’initiative de Dieu entrant en dialogue avec l’humanité et de l’exemple de Jésus-Christ dont la vie, la mort et la résurrection ont donné au dialogue son expression ultime.

54. En outre, les obstacles, bien que réels, ne doivent pas nous conduire à sous-estimer les possibilités de dialogue ou à négliger les résultats déjà obtenus. Il y a eu quelque progrès dans la compréhension mutuelle et dans la coopération active. Le dialogue a également eu un impact positif sur l’Église elle-même. D’autres religions ont aussi été amenées, par le dialogue, à un renouveau et à une plus grande ouverture. Le dialogue interreligieux a permis à l’Église de partager les valeurs évangéliques avec d’autres. C’est pourquoi, malgré les difficultés, l’engagement de l’Église dans le dialogue demeure ferme et irréversible.

(Les paragraphes 55 à 86 exposent ce qu’est l’Annonce de Jésus-Christ et traitent de son rapport avec le Dialogue interreligieux.)

Conclusion

87. Ces réflexions sur le dialogue interreligieux et l’annonce de Jésus-Christ ont voulu apporter quelques éclaircissements fondamentaux. Cependant il importe de se rappeler que les diverses religions diffèrent les unes des autres. Il conviendrait donc d’apporter une attention spéciale aux relations avec les adeptes de chaque religion.

88. Il importe aussi de faire des études spécifiques sur la relation entre dialogue et annonce en tenant compte de chaque religion particulière dans le cadre des aires géographiques déterminées et de leur contexte socioculturel. Les conférences épiscopales pourraient confier ces études aux commissions appropriées et à des instituts de théologie et de pastorale. À la lumière des résultats fournis par ces études, ces instituts pourraient aussi organiser des cours spéciaux et des sessions d’études qui préparent tant au dialogue qu’à l’annonce. Une attention spéciale y sera donnée aux jeunes qui vivent dans un milieu pluraliste et rencontrent des croyants des autres religions à l’école et au travail, dans les mouvements de jeunesse et les autres associations, quand ce n’est pas dans leurs propres familles.

89. Dialogue et annonce sont des tâches difficiles et néanmoins absolument nécessaires. Tous les chrétiens, dans les situations qui sont les leurs, doivent être encouragés à se préparer pour mieux réaliser ce double engagement. Cependant, plus encore que des tâches à accomplir, le dialogue et l’annonce sont des grâces pour lesquelles il faut prier. Que tous ne cessent donc d’implorer l’aide du Saint-Esprit, afin qu’il soit « l’inspirateur décisif de leurs plans, de leurs initiatives, de leur activité évangélisatrice » (EN 75).

Pentecôte, 19 mai 1991

(1) Attitude de l’Église catholique devant les croyants des autres religions (Réflexions et orientations concernant le dialogue et la mission), AAS 76 (1984) pp. 816-828 ; voir aussi Bulletin Secretariatus pro non Christianis n. 56 (1984/2) n. 13 (Pour se référer à ce document, on utilisera l’abréviation DM).

 

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