Questions posées aux protestants par les rencontres bouddhistes-protestants

Questions posées aux protestants par les rencontres bouddhistes-protestants

Pasteur Jacky Argaud

Pasteur ERF (Église Réformée de France) et membre du conseil FPF (Fédération Protestante de France)

Filiations et ruptures

Immédiatement, les contacts entre Fédération Bouddhiste de France (UBF) et Fédération Protestante de France (FPF) ont fait apparaître des filiations, des traditions privilégiées, d’où chacun s’exprimait, s’inscrivant dans des univers culturels nettement diversifiés : univers de la pensée biblique plutôt méditerranéenne pour les protestants, univers de la pensée asiatique (Inde, Tibet, Chine, Japon…) pour les bouddhistes.

Pour entrer dans le dialogue de façon fructueuse, les protestants ont proposé de chercher les différences dans l’approche fondamentale, plus dynamiques que les proximités (alors que les catholiques préfèrent en général favoriser des rencontres qui tendent vers l’identique – entre moines – afin de partager une pratique).

Cette recherche de la différence, du « tiers perturbateur » donne à l’abord de l’autre un caractère probablement plus onéreux, mais aussi plus fructueux, dans la mesure où cette démarche permet de découvrir – pour chacun – les points de rupture, et les lieux d’enrichissement. Cela fait de l’autre un catalyseur de mon propre déplacement, de ma propre croissance.

Questions posées au protestant

L’autre me devient source de questions. Probablement est-ce là une part difficile du dialogue, mais certainement la plus passionnante !

1. Rapport au corps : le christianisme européen s’est façonné une certaine image, pas très biblique mais réellement populaire, de la personne humaine divisée entre un corps plutôt encombrant et une âme aspirant aux destinées célestes. Le rapport au corps, envisagé par l’ensemble des textes bibliques, est-il vraiment aussi négatif que cela ? Les débats d’éthique protestante ne sont-ils pas porteurs de choix anthropologiques parfois obscurs et assez peu représentatifs de ceux des auteurs bibliques ?

La tradition bouddhiste en général – et la tradition Zen tout particulièrement – n’a de cesse d’habiter le corps avec fermeté et souplesse, de méditer avec son corps. Cela me pose la question de la place de « mon » corps comme support de « ma » spiritualité.

2. Spiritualité et pratique : la question du corps entraîne celle d’une visibilité de la spiritualité, ou, si vous préférez, de sa « corporéité ». Disons, pour faire court, que si les protestants prennent leur tradition textuelle pour son contexte, les bouddhistes prennent la leur plutôt pour son prétexte : prétexte de méditation, prétexte de pratique spirituelle (que nul ne lise un quelconque jugement ici, mais la découverte des usages auxquelles chacun procède pour le meilleur de sa piété).

Quelle est la place de la « pratique corporée » de ma spiritualité de protestant ? Par exemple, comment est-ce que je prie ? Est-ce un exercice, une émotion ? Les protestants avouent en général n’être pas très à l’aise avec ce genre de question et pourtant n’y a-t-il là qu’un domaine privé ?

De plus, ce point dépasse le rapport individuel au corps dans la mesure où revient ici en force le choix anthropologique déjà évoqué : la pratique vise-t-elle une fusion (vers l’illumination) ou une distinction (vers l’alliance) ? L’harmonie de la vie de chacun en dépend bien évidemment. Mais tous les textes bibliques ne sont pas unanimement d’accord sur la question.

3. Spiritualité et sécularité : se fait jour actuellement une recherche d’explication post-séculière (abandon total de tout enracinement ecclésial), ce qui pose le problème de la référence de spiritualité : référence au maître plus avancé sur le chemin – dont le Bouddha demeure le plus éminent – ou référence au Père par Jésus-Christ comme chemin vers lui ? « La crédibilité du christianisme – écrivait Delumeau il y a plus de dix ans – passe par l’œcuménisme » et Cullmann – plus récemment – proposait « l’unité par la diversité ». Le bouddhisme répond à la question de nos contemporains par une démarche de pédagogie de l’expérience religieuse. Une nouvelle religiosité, direz-vous ? Pas si sûr ! L’antériorité joue tout de même en … sa faveur. Et les centres bouddhiques se multiplient, guides de pratique de méditation, chaleureux de convivialité, lieux d’écoute et de halte bienvenus. N’engagent-ils pas les églises à revoir aujourd’hui leur copie en offrant une réponse à la fois plus simple à vivre et plus attrayante à envisager pour l’être urbain malmené par la vie quotidienne ?

4. Privatisation et communication : la rencontre avec le bouddhisme renvoie le protestantisme à lui-même et à sa volonté d’un point fort : la transmission de l’Évangile. Au désespoir le plus souvent de ne pas être entendu dans le concert de bruit, il risque d’osciller entre privatisation et liquidation de ses propres points forts. Le détachement fondamental de la démarche bouddhique ne l’invite-t-il pas à lire autrement l’actuel dilemme de rendement, à abandonner le trop-plein de mots, à faire ascèse du discours, à accepter de perdre tout sauf l’essentiel ?

Dans une civilisation où tout se jauge sur un « faire » et le résultat qui en découle, le peuple protestant saura-t-il « être », être communauté d’espérance, être témoin du chemin d’espérance, être illuminé de la présence indicible de l’Esprit ?

5. Différence fondatrice : l’affirmation bouddhique du non-soi, non-ego, non-je – qui n’a pas de place sauf celle d’attirer souffrance et déconvenue – fait apparaître le salut dans un rapport global à l’univers. A l’opposé, les textes bibliques posent une expérience de salut fondée sur la différence radicale entre Dieu et l’être humain, altérité qui promeut un vivre ensemble de collaboration en partenaires.

Cette « dialectique » de fonctionnalité gêne – il ne faut pas se le cacher – le bouddhiste qui y voit exactement le cœur du processus d’aliénation qu’il essaie de surmonter par renoncement et fusion. Nous reconnaissons là, entre dualité et globalité, des choix anthropologiques littéralement irréconciliables. Mais pourquoi en serions-nous désappointés puisque la démarche religieuse de chacun en répond totalement ?

Le point s’avère donc passionnant !

Dire l’essentiel…

Partager la joie de la recherche rend le chemin commun agréable, mais là n’est tout de même pas l’essentiel.

Il reste à découvrir ce qui donne à chacun sa liberté : vie d’illumination pour les uns, vie de l’esprit pour les autres.

Comment partager avec l’autre sans le heurter dans ses propres choix et convictions ?…

 

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