Philosophie de la personne et non-moi du christianisme

Père Bernard de Give, O. C.S.O.

« Grâce à l’obligeance des organisateurs, je pus, l’an dernier, avec deux frères chrétiens, assister à un colloque entre bouddhistes sur le thème fondamental de l’anatta (du 24 au 26 avril 1992). C’était dans les locaux de l’ancienne chartreuse de Saint-Hugon, en Savoie, devenue l’Institut Karma-Ling. Par précaution, car on aurait pu, à brûle-pourpoint, me poser la question : « Et vous, que pensez-vous de ce problème ? », j’avais eu la prudence de rédiger plutôt rapidement quelques notes quelques notes sur le sujet. Elle furent petit à petit étoffées et devinrent un exposé qui paraîtra d’ailleurs et dont on me demande de n’offrir ici que l’essentiel. Le lecteur voudra bien se montrer indulgent et deviner qu’au delà de ces pages brèves se trouve une certaine érudition. »

Les origines du mot « personne » et ses divers sens

Consultons d’abord le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André Lalande (1), au mot Personne : « L’usage de ce mot vient de deux sources. D’une part, l’idée stoïcienne du rôle que joue l’homme ici-bas. (Prosôpon, persona) ainsi qu’on le voit chez Epictète. C’est l’usage auquel se rattache le sens juridique de ce mot en latin. D’autre part, l’emploi qui en a été fait en théologie, notamment dans les controverses sur la Trinité, où il a servi à traduire hypostasis en tant qu’opposé à « nature » ou « substance ». De là vient la définition de Boèce qui traversera le Moyen Age :

« Á proprement parler on appelle personne une substance individuelle de nature raisonnable »

L’encyclopédie Catholicisme, à l’article Personne (philosophie et théologie), retrace toute l’évolution de la pensée occidentale à ce sujet. Retenons-en cette vue générale : « Les philosophies monistes (stoïcisme, spinozisme, idéalisme, matérialisme) ont du mal à définir l’individuation supra-animale de la personne humaine. Elles l’abolissent, en pensant la valoriser, par sa fusion dans le tout de la raison ou de la nature. Les philosophies réflexives saisissent, au contraire, la personne dans l’intimité ouverte et l’expérience spirituelle, l’expérience de la liberté, l’expérience morale (Kant, Rauh, Nabert), l’expérience de la valeur (Le Senne), l’expérience de la présence totale (Lavelle), l’expérience de la transcendance au monde (Pascal), expériences qui fournissent à chacun, avec l’ouverture à Dieu, l’axe central de la définition de la personne.(2) »

La personne dans le christianisme

La même encyclopédie comporte un article plus court : Personnalisme, qui nous intéresse davantage et dont je retiendrai ce qui suit(3). C’est seulement avec l’irruption du christianisme que le statut de l’homme comme créature d’un Dieu qui est essentiellement Amour a trouvé sa formulation la plus nette. La dignité propre à chaque être humain s’y trouve fondée sur l’universelle paternité de Dieu et l’universelle fraternité du Christ. A chaque âme revient une vocation personnelle et une destinée singulière qui ne s’arrête point à la vie en ce monde. Créé à « l’image et ressemblance » de Dieu, l’homme, chaque homme est appelé à  la liberté des enfants de Dieu.

En découvrant dans l’homme une réalité qui lui est « plus intérieure que ce qu’il y a de plus intime en lui, et supérieure à ce qu’il y a de plus haut en lui », saint Augustin, dans la ligne inaugurée par Platon et continuée par Plotin, a été le pionnier des philosophies modernes de l’intériorité. Dans le secret du cœur, la personne transcendante de Dieu parle à la personne de l’homme, et celui-ci peut, en retour, s’entretenir avec son Créateur, le Dieu un et trine. Des débats sur la notion de « trinité », déjà très élaborée par les conciles de Nicée et de Constantinople, sortira une idée plus précise de la différence entre nature et personne. Ainsi peut-on concevoir qu’il y ait en Dieu trois personnes et une seule nature et, dans le mystère de l’Incarnation, une seule personne assumant tout ensemble nature divine et nature humaine.

Pour saint Thomas d’Aquin, la personne humaine se caractérise par la capacité d’agir par soi, c’est-à-dire de posséder la maîtrise de ses actes.

Le personnalisme philosophique a été véritablement fondé par Max Scheler (1874- 1928). Il a mis au premier plan le thème des valeurs. Nul n’a plus insisté que lui sur l’essence axiologique de la personne. Elle est appelée à réaliser la vocation que ne cesse de lui proposer l’amour divin. Elle n’y peut parvenir qu’en s’unissant à autrui dans un mouvement de sympathie qui, à son sommet, est perception de l’essence singulière de l’autre, regardé comme témoignage de l’Absolu. Aimer vraiment autrui, c’est l’aimer en Dieu. Par suite, la véritable communauté des personnes repose sur la possible rencontre de chaque personne avec la Personne des personnes, Dieu lui-même.

En France, c’est à Emmanuel Mounier (1905-1950) que revient le mérite d’avoir fait du personnalisme une philosophie complète, tout entière axée sur l’affirmation de la valeur absolue de la personne. Un thème fondamental de cette doctrine est celui d’une radicale différence entre personnalisme et individualisme, car le premier souligne, à l’encontre du second, « l’insertion collective et cosmique de la personne ». La personne est étroitement solidaire du monde et de la communauté des hommes, alors que l’individu n’est qu’une abstraite entité, être de raison coupé arbitrairement des ensembles qui lui permettent de vivre en homme. Ce qui caractérise la personne, selon Mounier, c’est sa capacité de se détacher d’elle-même, de se déposséder, de se décentrer pour devenir disponible à autrui.

Face au non-moi du bouddhisme

Réponses dures : incompatibilité

Pour rappel, le projet du bouddhisme n’est nullement de parvenir à une union d’amour entre l’homme et Dieu, puisque Dieu n’est pas en cause et que même le corps est conçu autrement.

Mais on tâche, comme dans l’hindouisme, d’échapper au cycle infernal des renaissances, puisque l’existence est douleur. Que l’exclusion d’un sujet réel soit bien la doctrine authentique du bouddhisme, il suffit pour s’en convaincre de lire, par exemple, l’attrayant petit volume que publia le Lama Chögyam Trungpa, sous le titre Pratique de la voie tibétaine(4)Ce livre est plein de sagesse et de pénétration. Mais on y verra, dès le premier chapitre, sous couleur de pourfendre un « matérialisme spirituel », un abattage en règle de tout ce qui fait le support de la personne. Il est foncièrement anti-métaphysique. Ce qui n’empêche pas ce moine de dire d’excellentes choses contre la façade de ce monde et de pousser à un détachement radical. C’est du bouddhisme pur, bien que le lama fasse preuve, dans ses analyses souvent subtiles, d’une bonne connaissance de nos psychologies des profondeurs. Il semble spécialement apte à démasquer les ruses de l’ego. S’il y a une leçon qu’il inculque à longueur de pages, c’est de « voir les choses telles qu’elles sont ». Mais qu’on y prenne garde : il ne s’agit pas des « res uti sunt in se » de saint Thomas d’Aquin. En bouddhisme, il n’y a pas d’in se, ni dans les choses ni dans l’homme. Point de noumène, mais le seul enchaînement des phénomènes qui nous lient à la transmigration, ou la suite des états mentaux, dont il importe de remarquer la genèse sans leur donner le support d’un moi métaphysique. « Voir les choses telles qu’elles sont » vise, dans le contexte, à libérer les malades que nous sommes des multiples illusions ou névroses que cette voie espère guérir, sans faire appel, comme le ferait un chrétien, au secours d’un Dieu Père. On a souvent l’impression de se mouvoir dans la dialectique d’une psychothérapie plutôt que d’une religion.

Si l’on ouvre maintenant un livre plus technique, tel que l’ouvrage du Père Joseph Masson : Le Bouddhisme, Chemin de libération(5), on aura les textes les plus clairs sur l’impermanence de toute chose (anicca), mais aussi de l’homme, à cause de son caractère composé. Non seulement le corps humain est impermanent, mais il n’est en soi que la réunion accidentelle et impersonnelle des quatre éléments primaires. De même dans les autres éléments, spirituels, de son existence, les skhandha, l’homme est impermanent, précaire. Quant au total de l’être humain, il est encore moins solide et unifié que ses composants, matériels et spirituels. Le Milinda-Pañha compare l’homme à un char. Comme celui-ci se compose artificiellement de parties : roues, essieu, timon, caisse…, dont aucune n’est vraiment, substantiellement le char, ainsi en va-t-il de tout homme.

Tout livre sur le bouddhisme se doit d’exposer cette doctrineEt la plupart des revues bouddhiques ont, un jour ou l’autre, publié un article sur ce thème. Voir aussi notre conférence de Béthanie, Loppem : Le sujet de l’expérience religieuse en Orient et en Occident, qui étudie aussi le cas de l’hindouisme(6).

Le contraste est manifeste entre les deux doctrines. Aussi, à première vue, il semble bien que la philosophie occidentale de la personne et l’anatta bouddhique sont incompatibles. On trouve cette position dure chez Olivier Clément, qui s’en tient en somme à l’antithèse entre la perte du moi oriental et le moi retrouvé chrétien, en conclusion d’un article sur L’hésychasme (7)Il en est de même chez le Professeur René Habachi, catholique Libanais, ancien directeur de la philosophie à l’Unesco(8).

Vers une conciliation

Si je ne me trompe, une des raisons pour lesquelles les Occidentaux sont allergiques au Nirvâna, c’est qu’ils se le figurent comme un anéantissement de l’être, ce qui tombe sous le coup d’accusation de nihilisme. Or il suffit d’avoir pratiqué quelque peu les textes pour voir qu’il s’agit en réalité d’autre chose. « Le monde est enflammé », dit le Bouddha (Samyutta, I, 31). Selon lui (Vinaya, I, 34), « tout est enflammé à cause du feu allumé par le désir, la haine et l’illusion, ainsi que par la naissance, le déclin, la mort, les douleurs, les lamentations, le chagrin, le désespoir, la souffrance ». Pour cette raison, les disciples qui avaient atteint le nibbâna disaient qu’ils avaient éteint leur feu. Il ne faudrait pas croire que cet état est purement négatif.

Walpola Rahula le décrit avec un certain lyrisme :

« Celui qui a réalisé la Vérité, le Nirvâna, est l’être le plus heureux du monde. Il est libéré de tous les complexes, de toutes les obsessions, des tracas, des difficultés et des problèmes qui tourmentent les autres. Sa santé mentale est parfaite. Il ne regrette pas le passé, il ne se préoccupe pas de l’avenir, il vit dans l’instant présent. Il apprécie donc les choses et en jouit dans le sens le plus pur sans aucune projection de son moi. Il est joyeux, il exulte, jouissant de la vie pure, ses facultés satisfaites, libéré de l’anxiété, serein et paisible. Il est libre de désirs égoïstes, de haine, d’ignorance, de vanité, d’orgueil, de tous empêchements, il est pur et doux, plein d’un amour universel, de compassion, de bonté, de sympathie, de compréhension et de tolérance. Il rend service aux autres de la manière la plus pure, car il n’a pas de pensée pour lui-même, ne cherchant aucun gain, n’accumulant rien, même les biens spirituels, parce qu’il est libéré de l’illusion du Soi et de la soif de devenir (9)

Si Walpola Rahula cite ce beau texte, c’est pour laver le bouddhisme de la fâcheuse réputation qu’il endosse trop souvent : religion pessimiste … Mais ne pourrait-on pas y voir davantage : une représentation évidente de ce qu’on peut appeler à juste titre une personne, au vrai sens du mot, ouverte et pleinement épanouie ?

Le sujet qui nous occupe n’intéresse pas seulement les philosophes, les théologiens, les spécialistes de religion comparée. Il relève également de la psychologie profonde, de la psychanalyse et de la psychothérapie. A ce titre, il éveille depuis longtemps l’attention du Dr. Jean-Pierre Schnetzler dont on connaît les mérites pour l’établissement de centres tibétains à travers la France. Ses convictions en dharma bouddhique n’ont jamais affecté son ouverture d’esprit pour les autres voies spirituelles, comme en témoignent Les Cahiers du bouddhisme et une sympathie avouée pour les valeurs du christianisme.

Voici, par exemple, ce qu’il écrivait sous le titre L’irréalité du moi et la libération(10) :

« La saisie d’un Moi comme une entité réelle au sens ultime, c’est sur ce concept que porte la négation du Bouddha, sur un concept qui pose le Moi comme une entité ultime, absolue, autonome, existant par elle-même, ayant en elle-même sa raison suffisante ; elle ne porte pas sur l’existence du Moi considéré comme quelque chose de relatif, interdépendant, d’un Moi empirique tel que nous allons l’étudier de plus près au niveau de la réalité relative ou conventionnelle. En effet, un tel Moi, corrélatif de l’existence d’autrui et de l’opposition du Moi à autrui est le fondement pratique et dualiste de notre existence de tous les jours telle que nous la connaissons et la vivons ; il est aussi le fondement de la souffrance universelle (p. 40)… La confusion de ces deux significations est pathogène ; elle engendre la maladie et la souffrance, parce qu’elle est un attachement passionnel pour ce qui n’a en fait que valeur de moyen, une valeur fonctionnelle d’ailleurs indiscutable, le Moi étant quelque chose de très précieux, mais dont la réalité est variable et transitoire, et dont le drame est qu’il se prend pour quelque chose d’absolu. Pourquoi le Moi est-il ainsi survalorisé ? Les motifs restent à préciser, mais on peut penser que l’attribution au Moi de qualités telles que la solidité, la permanence, l’unicité est empruntée au monde des objets matériels … et au premier rang de ces objets, par notre propre corps (p. 41)… Il est nécessaire d’avoir d’abord un Moi qui fonctionne bien, un Moi fort, comme le disent les psychanalystes (p. 46)… Toute l’activité mentale de notre Moi est égocentrée, se prend pour le centre du monde : elle est égoïste. Sa vision du monde est toujours partielle, partiale, naïvement ; nous absolutisons toujours notre point de vue. De par son fonctionnement même, la vision du Moi est toujours dualiste … Tout cela doit être dépassé. « Conformément à la vérité qui est en Jésus, il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme« , dit saint Paul (Ephésiens, IV, 20-22), et il ajoute : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi (Galates, II, 20). » Ainsi, le christianisme enseigne aussi à tuer le vieil Adam, à tuer le Moi. C’est un symbolisme général dans toutes les doctrines traditionnelles (p. 46-47).»

Le Père Edmond Pezet, prêtre de la Société Auxiliaire des Missions vécut des années en Thaïlande et est sans doute un des missionnaires les mieux au courant du bouddhisme de ce pays.

Nous tenons à le citer parce qu’il eut évidemment à rencontrer notre problème, comme en témoigne son article récent : Les religions, celles des autres et la nôtre, paru dans la Lettre aux Communautés de la Mission de France(11).

« Le point sur lequel le bouddhisme s’est démarqué de l’hindouisme, c’est en proclamant : « pas d’Atman ! », c’est-à-dire pas d’Atman individuel : pas de « principe » éternel de l’individu, pour entrer en union-identité avec le Brahman universel. Car parler d’un principe éternel, absolu, ultime, de l’individu particulier contredirait la dualité du particulier individualisé multiple. Il faut dire aussi que la proclamation « pas d’Atman individuel » n’est pas, dans la perspective bouddhiste, une négation, de mode indicatif, « de ce qu’il y a ou de ce qu’il n’y a pas », mais une consigne existentielle, de mode performatif : « Qu’il n’y ait pas d’attachement à un soi individuel, pris comme valeur ultime ! »… « Pas d’Atman » est pour les bouddhistes vérité éthique, fonctionnelle ; le point de vue spéculatif (ontologique, métaphysique) est sans intérêt, de leur point de vue existentiel, pratique. (p.46)…

Le bouddhisme le plus radical, non théiste, voie du « Non soi », du « Vide », qui paraît évacuer toute valeur personnelle, au moins théoriquement, en fait ne vise à « vider » que l’attachement indu, égocentrique, à son propre « soi » individuel, particulier, érigé en valeur absolue. Les valeurs de ce que nous appelons la « personne » sont désignées comme « Non soi ». Ce n’est pas à entendre comme la négation ou le reniement de « soi », mais c’est la conversion du soi individuel, son retournement. C’est la négation de l’égocentrisme, la kénose, le « Vide ».

Le non-moi du christianisme

Le titre de cette partie n’a pas l’intention d’être provocant ni d’afficher une originalité indue. Ce n’est qu’un rappel de textes fondamentaux, on pourrait presque dire fondateurs, de la spiritualité chrétienne.

Le premier est l’hymne solennelle qui se trouve dans l’épître de saint Paul aux Philippiens (2, 5-11) :

« Ayez entre vous la pensée même qui fut en Christ Jésus. Lui qui, subsistant en forme de Dieu, n’a pas estimé comme une usurpation d’être égal à Dieu, mais il s’est anéanti, prenant forme d’esclave, devenant semblable aux hommes. Et par son aspect reconnu pour un homme, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! C’est pourquoi Dieu l’a souverainement exalté et l’a glorifié du nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue proclame que Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.»

Pour notre propos, on aura remarqué combien sont fortes les expressions qui soulignent l’abaissement du Christ dans son incarnation : « Il s’est anéanti, prenant forme d’esclave ».

Le texte grec original est on ne peut plus proche de la Vacuité bouddhique et de son anatta, quand il dit : Alla eauton ekenôsen (il s’est vidé lui-même) morphên doulou labôn.

Saint Paul, aux Romains (12, 1) en tirera les conséquences pour nous :

« Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre.»

En cela, il n’était nullement novateur. Jésus lui-même y avait exhorté les siens. Je le cite dans saint Marc (8, 34-36), mais on a une formulation quasi identique en Matthieu et en Luc :

« Appelant la foule en même temps que ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renonce, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive ! Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Evangile la sauvera. »»

Parmi les dernières déclarations publiques de Jésus :

« En vérité, je vous le dis : si le grain de blé jeté en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd, et qui hait sa vie en ce monde la conservera pour la vie éternelle. » (Jean 12, 24-25).

Catherine de Sienne (1347-1380) n’était certes pas dénuée de personnalité. Cette simple vierge italienne eut assez d’ascendant sur le Pape Grégoire XI établi en Avignon pour l’amener à rentrer à Rome, en 1377. Sa vie mystique était franchement nuptiale, toute d’amour pour son Seigneur (« Pense à moi, je penserai à toi »), ce qui ne l’empêcha point d’écrire ces lignes :

« L’homme n’est rien par lui-même, il ne possède rien. Il n’existe qu’en son Créateur dont il a reçu tout ce qu’il possède. Uni à ce Créateur qui est l’Amour infini, l’éternelle Vérité, la Sagesse innée, cet homme participe aux qualités de Dieu, dans les limites humaines naturellement … L’amour de son moi, c’est-à-dire de quelque chose qui, en soi, n’a pas de réalité, mène au néant, c’est la poursuite d’un objet toujours fuyant parce qu’inexistant. Un amour si purement égoïste n’est rien, la vérité lui échappe, sa sagesse se révèle folie, sa justice injustice, et pour finir les déceptions et les erreurs le conduiront à l’enfer, au démon, qui est déception et stérilité. (12) »

Jean Tauler (1300-1361), dominicain de Strasbourg, est, dans la lignée de Maître Eckhart, un bon représentant de la mystique rhénane. Voici ce qu’il écrivait sur le thème Comment nous préparer à recevoir l’Esprit :

« La première et principale préparation pour recevoir le Saint-Esprit, c’est le vide. Plus ce vide est complet, plus la capacité est grande… Laissez-vous donc prendre par l’Esprit Saint. Qu’il vous vide, qu’il vous prépare lui-même, de telle sorte que vous ne vous attachiez à rien, que vous paraissiez ne rien faire, ne rien sentir, mais seulement vous plonger dans votre pur néant. Si telle n’est pas votre attitude, à coup sûr vous mettrez obstacle au Saint-Esprit, qui ne pourra pas agir en vous dans la plénitude de sa force. Mais hélas ! personne ne veut entrer dans cette voie(13) . »

Père Bernard de Give, O.C.S.O.

Abbaye N.-D. de Scourmont

B-6464 Forges, Belgique

1Presses Universitaires de France, 5ème édition, 1947, p. 741.

2Encyclopédie Catholicisme, Letouzey et Ané, 1988, Tome 11, col. 30. par Paul  Guilluy.

3Catholicisme, tome 11, col. 22-30, par André A. Devaux.

4Pratique de la voie tibétaine. Au-delà du matérialisme spirituel. Traduit de l’américain par V. Bardet. Editions du Seuil. Points-Sagesses, 1976.

5Desclée de Brouwer, 1975, p. 53-56. Deuxième édition en 1992.

6Dans la revue Collectanea Cisterciensia, 1978, n°3, p. 182-194.

7Collectanea Cisterciensia, 1991, n°1, p. 18-19.

8Réincarnation ou immortalité. Dans les Études, novembre 1988, p. 521-532.

9Walpola Rahula, L’enseignement du Bouddha d’après les textes les plus anciens. Editions du Seuil, Points-Sagesse, 1978, p. 66-67.

10Dans Les Cahiers du bouddhisme, n°15, décembre 1982, p. 37-50.

11Numéro 152, janvier-février 1992, p. 34-66.

12Catherine de Sienne par Sigrid Undset. Bruxelles, Biblis, 1953, p. 148.

13Œuvres complètes de Jean Tauler. Traduction par E.-Pierre Noël, O.P. Paris, Tralin, 1911, Tome III, p. 33, Deuxième sermon pour la Pentecôte.

 

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