Prajna et compassion

Prajna et compassion

Trungpa Rinpoché

Prajna et la compassion en laquelle prajna voit, doivent survenir simultanément

Prajna est un mode d’être très clair, précis et intelligent. Elle a une qualité aiguë, la capacité de pénétrer et révéler les situations.

La compassion est l’atmosphère ouverte dans laquelle prajna voit. C’est une conscience ouverte des situations qui déclenche l’action informée par l’œil de prajna. La compassion est très puissante, mais elle doit être dirigée par l’intelligence de prajna, de même que l’intelligence a besoin de l’atmosphère d’ouverture fondamentale de la compassion. Les deux doivent survenir simultanément.

La nature fondamentale de la compassion est la généreuse non-peur qui transcende l’ego

La compassion contient une fondamentale absence de peur, dépourvue de toute hésitation. Cette absence de peur est marquée par une immense générosité, en contraste avec la témérité qui consiste à jouer de son pouvoir sur les autres. Cette généreuse absence de peur est la nature fondamentale de la compassion et transcende l’instinct animal de l’ego. L’ego cherche à asseoir son territoire, tandis que la compassion est complètement ouverte et accueillante. C’est une attitude de générosité qui n’exclut personne.

La compassion s’expérimente comme paix et chaleur dans la pratique de la méditation

La compassion commence à jouer un rôle dans la pratique de la méditation lorsque l’on fait l’expérience, non seulement du calme et de la paix, mais aussi de la chaleur. Il y a un grand sentiment de chaleur qui fait surgir une attitude d’ouverture et d’accueil. Lorsque cette sensation apparaît, il n’y a plus aucune angoisse, ni aucune possibilité pour que des agents extérieurs viennent contrecarrer notre pratique de la méditation.

Ce type de conscience ouverte et réceptive devient indissociable de l’activité quotidienne

Cette chaleur instinctive, qui est développée dans la pratique de la méditation, s’étend aussi à l’expérience post-méditative de la conscience. Avec ce type de conscience véritable, nous ne pouvons nous dissocier de notre activité, ce serait impossible. Si nous essayons de nous concentrer sur notre action — faire du thé, ou n’importe quelle activité quotidienne — et que nous essayons en même temps d’être conscients, nous vivons dans un état de rêve. Comme a dit un grand maître tibétain : « Essayer maladroitement de combiner la conscience et l’action est comme vouloir mélanger l’huile à l’eau ».

L’ouverture de l’esprit est l’expérience de l’espace ouvert à l’intérieur d’une situation

La véritable conscience éveillée doit être ouverte plus que méfiante ou protectrice. C’est l’ouverture de l’esprit, l’expérience de l’espace ouvert à l’intérieur d’une situation. Il se peut que nous travaillions, et que la conscience éveillée opère dans le contexte de notre travail, ce qui serait alors la pratique de la compassion et de la méditation.

La force de la compassion et de prajna crée la situation propre à la communication…

En général, la conscience éveillée est absente de nos vies : nous sommes complètement absorbés par ce que nous faisons, et nous oublions le reste de ce qui nous entoure, nous nous en séparons hermétiquement. Tandis que la force positive de la compassion et de prajna est ouverte et intelligente, aiguë et pénétrante, dispensatrice d’une vue panoramique de la vie qui ne révèle pas seulement des actions et des événements spécifiques, mais aussi bien l’ensemble de leur environnement. Ceci crée la situation propre à la communication avec autrui.

Une communication  réceptive à tous les aspects de l’autre

Dans nos rapports avec les autres, il nous faut non seulement être conscients de ce qu’ils disent, mais aussi être ouverts à toute la tonalité de leur être. Les paroles effectivement prononcées par une personne, et son sourire, représentent seulement une petite fraction de sa communication. La qualité de sa présence, la façon dont elle se présente à nous, sont tout aussi importantes. Cela communique bien plus que de simples mots.

Upaya, l’action adroite qui résulte de l’énergie irradiante qu’est la sagesse compatissante

Lorsqu’une personne est à la fois sage et compatissante, ses actions sont très adroites et irradient une énorme énergie. Cette action adroite est connue sous le nom d’upaya, moyens habiles. Ici, habile ne signifie pas détourné ou diplomatique. Upaya survient simplement en réponse à une situation. Si une personne est totalement ouverte, sa réponse à la vie sera très directe, peut-être même outrageuse d’un point de vue conventionnel, parce que les moyens habiles ne permettent aucune absurdité. Ils révèlent et traitent les situations pour ce qu’elles sont : c’est une énergie extrêmement adroite et précise. Si les couvertures et les masques que nous portons devaient être soudain arrachés par cette énergie, ce serait extrêmement douloureux. Ce serait embarrassant parce que nous nous retrouverions sans rien sur nous, complètement nus. En un pareil moment, il se pourrait que ce type d’ouverture d’abord immédiat, la nature outrageusement directe de prajna et de la compassion, nous paraisse extrêmement froid et impersonnel.

La véritable compassion est impitoyable du point de vue de l’ego, c’est la « folle sagesse »

Pour la façon de penser conventionnelle, la compassion signifie être gentil et chaleureux. Les Ecritures parlent de cette sorte de compassion comme d’un « amour de grand mère ». on peut s’attendre à ce que la personne qui pratique ce type de compassion soit extrêmement douce et gentille, elle ne ferait pas de mal à une mouche.

Si nous avons besoin d’un autre masque, d’une autre couverture pour nous réchauffer, elle nous les fournira. Mais la véritable compassion est impitoyable, du point de vue de l’ego, parce qu’elle ne prend pas en considération la tendance de l’ego à se maintenir. C’est la « folle sagesse ». Elle est totalement sage, mais folle, aussi parce qu’elle ne tient pas compte des tentatives simplistes et maladroites de l’ego en vue d’assurer son propre confort …

Seule l’énergie de folle sagesse peut secouer nos styles de vie répétitifs et confortables

L’énergie soudaine de la compassion sans pitié nous arrache à notre confort et à notre sécurité. Si nous ne devions jamais avoir l’expérience de ce type de choc, nous ne serions pas en mesure de croire. Il nous faut être secoués de nos styles de vie réguliers, répétitifs et confortables.

Devenir compatissant et sage, c’est s’ouvrir et être en relation avec le monde tel qu’il est

La méditation ne consiste pas simplement à être une personne honnête et bonne dans le sens conventionnel, à essayer seulement de maintenir sa sécurité. Il nous faut commencer à devenir compatissants et sages dans le sens fondamental, ouverts et en relation avec le monde tel qu’il est.

 

Extrait de « Pratique de la voie tibétaine, au-delà du matérialisme spirituel », © Editions du Seuil (collection Points Sagesse).

 

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