Bodhicitta, l’esprit de l’éveil

Bokar Rinpoché

Le Vénérable Bokar Rinpoché est un des principaux maîtres de méditation de l’école kagyupa. Reconnu très jeune comme tulkou sur les indications du XVIème Karmapa, il fut élevé traditionnellement dans un monastère puis à Tsourpou siège des Karmapa. Après l’exil, il rencontra en Inde Kalou Rinpoché, devint son disciple et accomplit deux fois la traditionnelle retraite de trois ans. Il est maintenant son successeur à la tête de la lignée Changpa-Kagyu et le maître de méditation des centres de retraite des monastères de Mirik, de Rumtek et de Sonada.

Le Dharma met en évidence la cause fondamentale de la souffrance : la fixation de l’ego

L’enseignement du Bouddha met en évidence que la cause fondamentale de la souffrance, de l’insatisfaction, se situe toujours à l’intérieur de nous-mêmes.

Toutes les souffrances, tous les conditionnements viennent de nous-mêmes et, fondamentalement, de la saisie de l’ego. Si nous comprenons le rôle de cette fixation de l’ego, nous pourrons ensuite nous engager dans une pratique spirituelle qui va desserrer progressivement cette fixation et, par là même, nous libérer de la souffrance.

Bodhicitta, aux niveaux relatif et ultime, est le moyen de dépasser la fixation égotique

Quels sont les moyens dont nous disposons pour dépasser cette fixation de l’ego ? Ils sont doubles, ce sont les deux aspects de bodhicitta. Bodhicitta est un mot sanskrit qui signifie « l’attitude d’esprit éveillé ». Il y a :

– L’attitude d’esprit éveillé au niveau relatif,

– L’attitude d’esprit éveillé au niveau ultime.

Ce sont les deux moyens dont nous disposons pour soumettre, pour dépasser cette fixation de l’ego.

  1. La Bodhicitta relative, ou l’attitude d’esprit éveillé, au niveau relatif ou relationnel, consiste en une attitude d’ouverture, d’accueil d’autrui que l’on peut appeler l’amour ou la compassion.
  2. L’attitude d’esprit éveillé au niveau ultime, l’ultime bodhicitta, est le dépassement de toutes les illusions qui entretiennent l’appréhension d’un ego : elle nous montre le caractère fondamentalement irréel des objets que nous considérons aujourd’hui comme monde extérieur. Bodhicitta ultime nous montre que nos expériences d’aujourd’hui sont vides d’existence intrinsèque, et que leur nature fondamentale est vacuité (Shunyata).

Bodhicitta relative (amour-compassion)

Prendre déjà conscience que tous les êtres aspirent fondamentalement au bonheur

Comment développer la bodhicitta relative, l’esprit éveillé au niveau relatif ?

Nous pouvons commencer par cette prise de conscience élémentaire : tous les êtres fonctionnent suivant une même attitude fondamentale; tous, nous aspirons au bonheur et nous souhaitons éviter ce qui est douloureux.

Dans nos comportements, dans nos attitudes, nous recherchons le plaisir, nous recherchons ce qui est gratifiant, nous recherchons ce qui est heureux, ce qui est confortable et nous souhaitons éviter l’irritation, le désagrément, les souffrances quelles qu’elles soient. Il est important que nous nous examinions et que nous nous rendions compte que nous ne sommes pas les seuls à fonctionner ainsi, mais que tous les êtres, fonctionnent de cette façon : nous cherchons à éviter les souffrances et à trouver le bonheur.

Voir l’égalité de moi et de l’autre : le point de départ d’une attitude ouverte et disponible

De cette prise de conscience peut naître la compassion, la capacité à prendre conscience de la réalité de l’autre ou de ses aspirations profondes. C’est là le point de départ d’une attitude d’ouverture, de disponibilité.

Cette prise de conscience initiale est celle de l’égalité de l’autre et de moi, de la similarité des situations, la mienne et celle d’autrui.

L’amour fait partager le bonheur, la compassion fait accueillir la souffrance de l’autre

Supposons ensuite que nous ayons un ami qui nous soit très cher. Si nous voyons cet ami souffrir, nous souhaitons pouvoir prendre sur nous sa souffrance pour pouvoir l’en libérer. Supposons encore que nous vivions un grand bonheur ou une joie intense, nous souhaiterions véritablement le faire partager à cette personne qui nous est chère entre toutes. Cette attitude est une attitude d’amour, de compassion et, prenant conscience du fait que tous les êtres sont dans une situation similaire à la nôtre, souhaitant le bonheur, souhaitant éviter la souffrance, il nous faut entraîner notre esprit à développer cette attitude d’amour et de compassion à l’égard de tout être, depuis le plus proche jusqu’au plus lointain.

Ces deux attitudes que nous appelons l’amour et la compassion sont en fait extrêmement proches, pour ne pas dire similaires ; néanmoins, nous faisons souvent une distinction entre les deux :

– L’amour est plus une aspiration ou une attitude intérieure qui souhaite faire partager quelque chose d’heureux. Lorsque nous sommes heureux, par amour d’autrui, nous voudrions partager notre bonheur et les causes de ce bonheur (les actes positifs).

– Par compassion, nous entendons la disponibilité, le fait d’être prêt à prendre la souffrance d’autrui : le souhait qu’autrui soit libéré de ses douleurs, de ses souffrances, ainsi que des causes de ses souffrances (les actes négatifs).

La joie fait aspirer à libérer tous les êtres, l’équanimité est l’impartialité envers tous

Il y a deux autres vertus qu’il est important de développer, ce sont la joie et l’équanimité :

– La joie véritable vient de l’aspiration à ce que tous les êtres puissent abandonner ce qui les fait souffrir, l’illusion source de leurs douleurs, et obtenir l’ultime félicité, l’état de bouddha.

– L’équanimité est un état d’esprit impartial, une égalité d’âme qui ne distingue pas certains êtres par rapport à d’autres, qui ne privilégie pas certains au détriment d’autres, une attitude dans laquelle nous sommes capables de considérer tout être comme notre ami bien aimé, d’avoir le même amour à l’égard de tous.

Amour et compassion sont les antidotes à l’égoïsme et à l’agressivité envers soi et autrui

Si nous pouvons développer une telle attitude d’amour et de compassion, celle-ci sera particulièrement efficace pour nous permettre de dépasser notre égoïsme.

Ces qualités d’amour et de compassion vont également nous permettre de dépasser notre agressivité. Nous portons en nous habituellement une potentialité importante d’agressivité, de haine et d’arrogance. Cette agressivité sous toutes ses formes est la source de maintes souffrances, tant pour autrui que pour nous-mêmes.

Si nous portons en nous ce pouvoir d’agressivité, nous l’utilisons aussi bien contre nous-mêmes que contre autrui : nous en souffrons nous-mêmes, nous sommes agités, nous nous en voulons, nous sommes intérieurement perturbés, jusqu’à en perdre l’appétit, maigrir, arriver à ne plus dormir la nuit. Si nous portons cette agressivité en nous, nous la projetons sur les autres, qui deviennent agressifs, ce qui nous fait réagir à notre tour. Nous entrons ainsi dans un processus d’action et de réaction qui crée de nombreux problèmes pour autrui et pour nous-mêmes.

Une attitude d’amour et de compassion engendre et amplifie douceur et bien-être

Si nous pouvons, à l’inverse, développer intérieurement une attitude d’amour, de compassion, cette attitude sera dirigée aussi bien vers nous-mêmes que vers les autres. C’est une attitude douce, une attitude dans laquelle nous pourrons avoir une relation meilleure à nous-mêmes et aux autres. Elle sera le point de départ d’un bien-être intérieur. Lorsque nous portons cette attitude en nous, elle est perçue par les interlocuteurs : cette attitude d’amour ouvre un espace qui permet aux autres de s’ouvrir à nous et d’avoir une réponse positive à notre présence, ou à nos faits et gestes. Là aussi il y aura un processus d’amplification, mais qui sera cette fois tourné vers l’amour. Il est très important de comprendre l’amour et la compassion comme les antidotes à l’agressivité, et il nous faut essayer de développer ceux-ci autant que nous le pouvons.

L’autre étant notre miroir, il n’y a plus aucun conflit quand l’ennemi intérieur est soumis

Si nous essayons de soumettre les ennemis extérieurs, cela n’aura pas de fin, alors que si nous soumettons « l’ennemi intérieur », il n’y a plus aucun conflit. Il faut comprendre que l’autre (et l’autre ici peut être aussi bien l’interlocuteur que les situations du monde) est un miroir, dans lequel nous faisons l’expérience de nous-mêmes. Lorsque nous sommes deux, animés par l’amour, la compassion, que nous sommes souriants, le miroir nous réfléchit une image souriante ; lorsque nous sommes courroucés, agressifs, coléreux, le miroir nous donne l’image de la colère.

De même, la parole fonctionne comme un écho

Cela est vrai aussi pour les paroles : si nous disons des choses plaisantes, agréables, si nous savons vanter les mérites d’autrui, nous entendrons aussi parler de façon agréable de nous-mêmes, nous entendrons aussi des choses douces. Inversement, si nous parlons avec agressivité, colère, si nos paroles sont empreintes de haine, les réponses que nous recevrons seront au même niveau empreintes de colère, d’agressivité, de haine. La parole fonctionne aussi comme un écho.

L’identification à notre corps est justifiable à un certain niveau mais…

Habituellement, nous nous identifions à une forme, nous avons une image de nous-mêmes ayant un corps, avec une certaine identité ; ce corps, cette identité, nous l’appelons « moi », mon corps, ma parole. Nous nous fixons dans notre identification à notre corps, nous faisons tous les efforts possibles pour essayer de satisfaire ce corps.

Profondément, le corps et la parole dépendent de l’esprit

Si cela est justifiable à un certain niveau, cela manque néanmoins d’une perception profonde des choses, car notre être est constitué de trois éléments : le corps, la parole, et l’esprit. Le corps et la parole dépendent du troisième élément qui est l’esprit : l’esprit gouverne le corps et la parole, qui sont ses instruments, ses serviteurs. Si nous pouvons maîtriser l’esprit, nous pouvons acquérir de surcroît maîtrise de la parole et du corps. L’esprit est le roi, celui qui gouverne les deux autres. Si nous comprenons cela, nous devons essayer de développer cette attitude d’esprit éveillé évoquée plus haut, cette Bodhicitta au niveau relatif, l’amour et la compassion. Si notre esprit en est imprégné, notre parole, nos gestes le seront aussi.

Bodhicitta relative est un moyen de dissiper toutes les douleurs grossières et subtiles

Cette Bodhicitta relative, cet esprit éveillé, a le pouvoir de dissiper, de soumettre toutes les douleurs, les peines, aussi bien grossières que subtiles, et si nous pouvons développer cet amour, cette compassion, c’est là un moyen d’accéder à un bonheur véritable.

Bodhicitta ultime (connaissance)

Seule bodhicitta ultime, l’expérience de la vacuité, permet de dissiper l’illusion dualiste

Il y a néanmoins un conditionnement, une illusion très subtile qui ne peut être dissipée par bodhicitta relatif : c’est l’illusion du moi, la saisie dualiste. Celle-ci est la base, le fondement de toutes les autres illusions, et ne peut pas être éliminée par bodhicitta au niveau relatif. Elle peut l’être, par contre, par bodhicitta au niveau ultime, l’expérience de la vacuité.

Connaissance analytique du sujet

Percevoir que le moi n’a pas d’existence propre mais est un agrégat de cinq éléments

Bodhicitta ultime, appelée aussi vacuité (shunyata), est d’abord la perception que, ce que nous sommes, que nous nommons « moi », n’est pas quelque chose qui ait une existence en soi. Le moi ou l’ego, tel qu’il est décrit dans la psychologie bouddhique, est constitué de différents éléments : la forme, la sensation, la perception, les volitions-impulsions et la conscience. Nous sommes un flux d’événements constitué de ces cinq facteurs. Il n’y a pas une chose qui ait une existence en soi que l’on puisse trouver comme étant le « moi », où que ce soit, dans notre personne, dans notre corps. L’important ici est de comprendre la perception d’un « moi » : si celle-ci a un caractère réel en tant que perception, elle est néanmoins dépourvue d’existence propre. Le moi, ou ce à quoi nous nous identifions comme « moi », n’est qu’un agrégat sur lequel nous posons conventionnellement un nom, auquel nous nous identifions. Nous pouvons dire « mon corps, ma main, mon bras, mes viscères », etc. Le corps auquel nous avons tendance à nous identifier est lui-même un assemblage de différentes parties. Il peut donc être fractionné. Il n’est pas une entité. Il y a des analyses qui peuvent être menées et qui nous montrent cela de façon très précise.

Quand on cherche le moi on ne le trouve pas et pourtant on a le sentiment d’être « soi »

Par exemple : l’identification au nom est quelque chose de curieux : si l’on vous appelle par votre nom, vous répondez : « Oui, c’est moi », et néanmoins, si vous considérez la chose de plus près, votre nom est seulement un mot, une vibration, une résonance, qui n’a pas d’existence propre, qui n’est pas une chose en soi. Vous avez le sentiment d’être « Pierre » (par exemple), mais considérez ce nom, êtes-vous le « P » de Pierre, ou le « i », ou le « e », etc., et si chacun de ces éléments ne sont pas vous, comment pouvez-vous être la somme de ces différents éléments « P » « i » « e » « r » « r » « e »? Pourtant, il y a une illusion qui nous fait nous percevoir nous-mêmes comme étant Pierre.

Le moi est quelque chose de fort curieux : quand on le cherche, on ne le trouve pas ; pourtant on a le sentiment d’être « soi ». Nous cherchons le moi et bien que nous ne puissions pas mettre le doigt dessus, il agit en nous ; et nous sommes assujettis à ses illusions.

Voir le moi transparent permet de voir la transparence des souffrances qu’il nous crée

Si par exemple, on nous dit : « Tu es mauvais, tu es méchant », cela éveille en nous une réaction, nous en souffrons, nous en sommes malheureux. Alors que si l’on nous dit : « Tu es joli, tu es gentil, tu es agréable, tu es bon, tu es bien », nous en sommes satisfaits, cela est fort gratifiant. C’est un problème important dans la mesure où cette identification au moi, la perception que nous avons d’exister ainsi de façon solide est la source et la racine de nos souffrances : pour autant que nous existions solidement, nos souffrances, en même temps que le bonheur, auxquels nous pouvons nous fixer, existent solidement. Si nous voyons la transparence du moi, de l’ego, nos souffrances et nos difficultés elles aussi deviennent transparentes.

Connaissance analytique des objets

L’analyse des objets conduit de même à leur non-existence en tant qu’entités

Après ces considérations qui s’appliquent au moi, au sujet, nous pouvons maintenant envisager une autre analyse, qui se réfère à ce que nous appelons objets de notre monde extérieur. Ce sont, par exemple, les objets visuels : nous voyons des choses auxquelles nous donnons un certain nom, à quoi nous attribuons certaines caractéristiques. Mais si nous analysons véritablement ces choses, nous voyons qu’elles n’ont aucune existence en soi.

Les objets ne sont que projections de l’esprit qui les perçoit en termes positif, négatif, etc

Prenons un exemple : une fleur. Vous dîtes : « C’est une fleur », ou encore « La fleur est belle ». Bien. Mais j’enlève un pétale de la fleur. Ça n’est pas la fleur. Est-ce que c’est joli ? Pas particulièrement. J’enlève un autre pétale. Même chose. Un troisième, un quatrième, etc., et finalement, où est la fleur ?, où est la beauté de la fleur ? Prenez quelque chose de déplaisant et effectuez la même fragmentation, vous arriverez à la même conclusion qui met en évidence que les objets que nous percevons comme objets du monde extérieur, sont en fait une représentation ou une projection de l’esprit qui les perçoit en termes positif, négatif, etc.

L’illusion d’existence réelle entraîne le processus karmique, générateur de souffrances

Cette analyse que nous venons de faire pour un objet visuel, nous pourrions la faire aussi bien pour un objet auditif : le mot qui a une sonorité plaisante ou déplaisante, si vous le coupez en morceaux, perd ce pouvoir. Si nous fragmentons en notes ou en sons élémentaires une musique extrêmement agréable, son charme disparaît. Nous pourrions poursuivre cette démonstration pour les cinq champs sensoriels, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher.

Sous l’emprise de nos illusions, nous percevons ces objets comme des entités, des choses qui existent en elles-mêmes, qui ont une existence véritable, permanente. Cette saisie des choses comme existant réellement entretient avec celles-ci une relation linéaire, dans laquelle nous voulons capter celles qui nous semblent agréables et rejeter celles qui nous déplaisent. Nous engageons ainsi un processus de préhension ou de saisie qui nous amène ensuite à rejeter, désirer, etc. Ce processus est la source génératrice de karma, de difficultés et de souffrances.

Nous avons parlé du caractère illusoire des objets visuels, sonores, etc.

L’enseignement de la prajnaparamita permet de dissoudre nos fixations sensorielles

C’est ce qu’enseignait le Bouddha, dans le Prajnaparamitahridayasutra :

« Il n’est ni forme,

ni son, ni odeur,

ni goût, ni toucher. »

C’est une façon simple et radicale d’énoncer l’absence fondamentale ou le caractère illusoire de ces entités-objets de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût et du toucher. Il n’est pas nié qu’une expérience de formes, d’odeurs, etc., puisse être faite, mais par contre il est nié qu’une réalité fondamentale corresponde à ces expériences. Le Bouddha a proposé ce remède à nos fixations habituelles. En effet, habituellement, nous sommes fixés sur les formes, les sons, les odeurs, etc., nous les considérons comme étant réellement existants. Cet enseignement nous permet de dissoudre cette fixation, cette préhension qui réifie les choses, progressivement. Par une telle méditation, se développe l’expérience de la vacuité.

Connaissance de la vacuité

La vacuité est vide du vide, il ne s’agit surtout pas de la réifier et de s’y fixer !

Lorsque nous commençons à percevoir cette nature vide des choses, un grave danger nous guette : si les objets dont nous avons parlé sont vides d’existence propre, la vacuité l’est aussi. La vacuité est vide du vide. L’enseignement de la vacuité a pour but de dissoudre nos fixations, et c’est une erreur extrêmement grave que se fixer ensuite sur la vacuité comme étant quelque chose de réel.

La réalité ultime – dharmakaya, vacuité – est au-delà de toute détermination conceptuelle

C’est en ce sens que dans le même Prajnaparamitahridayasutra, il est enseigné d’abord que les formes sont vides, « La forme est vide » d’existence intrinsèque, et simultanément, corollairement, « le vide est la forme ». Il faut comprendre que des potentialités de la vacuité naît la forme ; elle est comme l’irradiation même de la vacuité. Le sutra continue en disant : « Il n’est d’autre forme que le vide, il n’est d’autre vacuité que la forme ». Dans cette explication, le Bouddha part des formulations qui pourraient sembler au premier abord paradoxales, essaie de nous faire percevoir la nature ultime de la vérité, au-delà des formulations (au-delà des quatre formulations traditionnelles qui disent qu’une chose peut :

– être,

– ne pas être,

– être et ne pas être,

– ni être ni ne pas être).

Cette ultime vérité est au-delà de toute détermination conceptuelle, c’est le Dharmakaya, ou vacuité.

Comme le reflet de la lune sur l’eau, la forme est la conjonction vacuité-apparence

Il peut nous sembler difficile d’admettre que la forme puisse être en même temps le vide, que le vide puisse être en même temps la forme. Selon notre logique habituelle, il y a une incompatibilité entre les deux termes de chacune de ces propositions. Néanmoins ce n’est pas le cas : il est possible que les deux coexistent.

 

Pour prendre un exemple, considérons le reflet de la lune sur l’eau. Il y a la lune qui nous apparaît, donc il y a une forme : la forme de la lune. Mais cette forme lunaire n’a pas de consistance, ce n’est pas véritablement la lune : elle est vide de réalité, elle est vide d’existence propre. Bien qu’elle soit vide de réalité tangible, elle est apparente. Elle est à la fois vide et apparence : elle est la conjonction de la vacuité et de l’apparence, ou une forme-vide.

Grande différence entre la perception habituelle des choses et la perception éveillée

Il y a une grande différence entre la façon ordinaire, courante, de voir les choses, et la façon éveillée :

– Au niveau ordinaire, du samsara, nous considérons les choses comme réelles : à l’instar d’une personne qui prendrait pour réel le reflet de la lune sur l’eau. A ce niveau, manquant à percevoir que ces choses ne sont que nos propres projections, nous prenons celles-ci pour réelles.

– Dans la perception éveillée, nous reconnaissons ce qui est expérimenté comme projection, nous reconnaissons le caractère relatif de l’expérience. Cela est fort important car les choses ont une emprise sur nous : dans la mesure où nous leur attribuons une réalité, elles ont le pouvoir de nous faire souffrir et de nous apporter des bonheurs, de nous conditionner. Si nous reconnaissons leur caractère illusoire, cette emprise disparaît.

Comprendre et pratiquer les deux types de bodhicitta, est le fondement du Mahayana

Nous venons de parler des deux types de bodhicitta ; les comprendre, et surtout les mettre en pratique, telle est la base, le fondement, du mahayana.

Les trois niveaux d’amour : relation personnelle, relation transparente, absence de dualité

Question : Qu’est-ce que l’équanimité ?

Bokar Rinpoché : C’est une qualité qui nous permet d’avoir une attitude d’amour envers tous. Vous pouvez certes avoir un ami, une amie, que vous aimez, envers qui vous pouvez avoir beaucoup de compassion, mais ce qui est important est d’avoir cette qualité d’amour, d’ouverture, envers tous les êtres.

Question : Y a-t-il des rapprochements avec l’amour chrétien et y a-t-il différents niveaux d’amour ?

Bokar Rinpoché : Il y a identité entre l’amour, la compassion tels qu’on vient d’en parler, et l’amour, la compassion chrétiens. Il y a plusieurs niveaux d’amour :

– L’amour est d’abord une relation personnelle dans laquelle l’autre est considéré comme existant véritablement. C’est la forme d’amour initiale, mais ce n’est pas l’ultime.

– Il y a ensuite une expérience d’amour qui est fondée sur la transparence : transparence de l’un pour l’autre, dans laquelle les deux pôles sont perçus comme étant relatifs.

Ce texte est extrait d’une conférence publique donnée à Grenoble en septembre 1985.

 

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