Hymne à la réalité absolue

Hymne à la réalité absolue

Nagarjuna (1er et 2ème siècle après J-C.)

Nagarjuna, grand mystique et fondateur du Madhyamaka, enseigna la prajnaparamita

Fondateur historique du Madhyamaka — école de la voie du milieu —, Nagarjuna est l’auteur d’une abondante littérature relative à la prajnaparamita.

Si Nagarjuna est un des plus grands mystiques que le monde ait connu, c’est qu’il se situe exclusivement en cette suprême expérience de la non-naissance, où la vision de l’existence se détache sur la vacuité. Et cette expérience est si intensément réelle, si pleinement positive que le monde et ses fabulations lui semblent totalement privés de consistance, de réalité. Ayant pour seule norme l’essentiel, il fait table rase de tout le reste, n’acceptant aucune base à partir de laquelle on pourrait spéculer.

Mais Nagarjuna n’est nullement un nihiliste, un sceptique ou un relativiste.

Nagarjuna suggère son expérience ineffable de la réalité absolue au moyen de paradoxes

Sa dialectique n’a de sens qu’en fonction de l’expérience ineffable de la réalité absolue, et cette réalité, on ne peut la suggérer qu’au moyen de paradoxes ou encore en affirmant ce qu’elle n’est pas.

Dans cet hymne à la réalité absolue, Nagarjuna énonce le paradoxe même du son

L’hymne à la réalité absolue (Paramarthastava) est le dernier d’un ensemble de quatre hymnes condensant l’essentiel de l’enseignement du grand maître et correspondant à la reconnaissance progressive de la réalité ultime.

La profondeur de cet hymne n’a d’égale que sa simplicité. Conscient du paradoxe de la louange, Nagarjuna le résout en l’énonçant. Seul l’absolu suscite l’élan de la louange, or il échappe à toute parole ou discours ; il échappe à tout ce qui se nomme ou se mesure. Qui saurait le louer et par quels mots ? Mais c’est cette impossibilité même qui est le lieu de sa gloire.

Si louange et laudateur n’étaient impossibles il n’y aurait pas non plus d’élan de louange

Et la louange ne peut que s’enraciner dans le lieu même de son impuissance à saisir, à cerner, à nommer celui dont la gloire essentielle est d’être sans limite, sans fond, sans demeure, puisque ce n’est qu’à la limite de toute perfection que jaillit sa gloire.

La louange ne peut que s’enraciner dans le lieu même de son impuissance à saisir l’ultime

  1. Comment te louerais-je, Seigneur, Toi qui sans naissance, sans demeure, surpasses toute connaissance mondaine et dont le domaine échappe aux cheminements de la parole.
  2. Pourtant, tel que Tu es, accessible au [seul] sens d’Ainsité, avec amour je [Te] louerai, ô Maître, en recourant aux conventions mondaines.
  3. Puisque, par essence, Tu ne nais pas, en Toi, point de naissance, point d’allée ni de venue. Hommage à Toi, Seigneur, le Sans-nature-propre !
  4. Tu n’es ni être ni non-être, ni permanent ni impermanent, ni éternel ni non éternel. Hommage à Toi, le Sans-dualité !
  5. En Toi aucune couleur n’est perçue, ni rouge, ni vert, ni garance, ni jaune, ni noir, ni blanc. Hommage à Toi, le Sans-couleur !
  6. Tu n’es ni grand ni petit, ni long ni rond. Tu as atteint le but sans mesure. Hommage à Toi, le Sans-limite !
  7. Tu n’es ni loin ni près, ni dans le ciel ni sur terre, ni dans le samsara ni dans le nirvana. Hommage à Toi, le Sans-demeure !
  8. En aucune des choses, Tu ne résides, [ainsi donc] Tu as atteint le but : le domaine absolu, et Tu as acquis la suprême profondeur. Hommage à Toi le Profond !
  9. Par une telle louange puisses-Tu être loué ! Mais as-Tu été loué ? Si toutes les choses sont vides, qui est loué et par qui ?
  10. Qui est capable de Te louer, Toi qui n’apparais ni ne disparais, Toi pour qui n’existent ni milieu ni extrémités, ni perception ni perceptible ?
  11. Il n’est pas allé, Il n’est pas venu. Exempt d’aller : c’est Lui le Bien-Allé qui vient d’être loué. Grâce au mérite acquis [par cette louange], puisse l’humanité avoir accès au séjour du Bien-Allé.

 

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