La perception pure

Dilgo Kyènthsé Rinpotché (1910-1991)

« Le samsâra n’est rien d’autre que la façon dont les choses vous apparaissent ;
Si vous reconnaissez toutes choses comme la divinité, le bien des autres est accompli.
Voir la pureté de toutes choses confère les quatre initiations à tous les êtres à la fois ;
Draguant les profondeurs du samsâra, récitez le mantra aux six syllabes. »
Paltrul Rinpotché, The heart treasure of the Enlightened Ones, stance 30

Paltrul Rinpoché (né en 1808), représenté sur l’image ci-dessus, est l’auteur du texte ici commenté par Dilgo Khyèntsé Rinpoché. Émanation de Shantideva, il est avec Djamgœun Kontrul Lodreu Thayé l’un des principaux artisans de la « renaissance tibétaine », qui répandit au 19ème siècle une approche non sectaire (rimé) des enseignements du Bouddha, approche dont Sa Sainteté le Dalaï-Lama a largement encouragé la continuation en Occident. Parmi ses nombreux écrits, on peut trouver en français le Chemin de la Grande perfection ; il s’agit d’une introduction au vajrayana et aux enseignements du Dzogchèn Nyingthig.

Pour les êtres de moyennes facultés, la voie est le renoncement total. Pour les grands êtres, la voie est la compassion parfaite. Pour les êtres aux facultés supérieures, la voie est la perception de la pureté parfaite et primordiale. C’est par cette pure perception du vajrayana que nous sommes ici concernés.

Alors, qu’est ce qui est signifié par « pure perception » ? La façon dont nous expérimentons habituellement le monde extérieur, nos corps et nos sentiments est impure, en ce sens que nous les percevons comme ordinaires, comme des entités existant substantiellement. De cette perception erronée proviennent les émotions négatives qui perpétuent la souffrance. Pourtant, en regardant de plus près toutes ces apparences, vous trouverez qu’elles n’ont pas d’existence réelle. D’un point de vue relatif, elles apparaissent comme le résultat de différentes causes et conditions, comme un mirage ou comme un rêve, mais en réalité, quelque chose qui apparaîtrait de causes et de conditions n’a aucune existence véritable, quelle qu’elle soit. En fait, il n’y a rien du tout qui apparaît. Comme il est dit :

« Celui qui réalise la vacuité est un vrai sage ».

Si vous continuez l’investigation, vous trouverez qu’il n’y a rien nulle part, pas même un seul atome qui ait une existence vérifiable. Maintenant, voir les choses autrement, comme existant vraiment, est la perception fausse qui sous-tend le samsara – mais même cette perception fausse elle-même n’a jamais vraiment quitté le royaume de la vacuité. L’ignorance, de ce fait, n’est pas plus qu’un voile transitoire dépourvu d’existence intrinsèque. Lorsque vous reconnaissez ceci, il n’y a pas de perception impure ; il n’y a que le jeu du corps, de la parole, de l’esprit et de la sagesse éveillés. Alors, il n’est plus nécessaire d’essayer de se libérer des trois mondes du samsara ou de supprimer la souffrance, parce que ni le samsara ni la souffrance n’existent. Lorsque vous comprenez que le samsara est vide comme un mirage, toutes les tendances du karma et les émotions négatives qui résident à sa source sont interrompues.

La vacuité, cependant, n’est pas juste le rien, ou un espace vide, car comme dit la Prajñaparamita dit :

« La forme est vide, le vide est forme; autre que forme il n’est de vacuité, et autre que vacuité il n’est de forme ».

Ainsi la va cuité est inséparable du déploiement des corps et des sagesses. En ce sens, toutes les apparences sont le corps de Tchènrézi, tous les sons sont son mantra, et toutes les pensées sont l’union félicité-vide de la compassion et de la vacuité. Lorsque vous réalisez cette véritable vacuité des phénomènes, vous ressentirez spontanément une compassion diffuse, non conceptuelle, envers tous les êtres qui sont immergés dans l’océan de souffrances du samsara parce qu’ils sont fixés à la notion d’ego.

Cet ego troublé qui est si concerné par lui-même n’a, en réalité, jamais commencé à exister, il n’existe nulle part maintenant, et il ne peut cesser d’exister. Pas la plus infime trace de lui ne peut être trouvée. Lorsque vous reconnaissez la nature vide, de ce fait, toute notion d' »ego à dissoudre » s’évanouit, et en même temps l’énergie pour mettre en avant la bonté des autres s’éveille, sans contrainte ni effort. Ici, vous verrez la véritable face de Tchènrézi, union de la vacuité et de la compassion.

Et ici commencent les dix degrés successifs des bodhisattvas, qui peuvent prolonger un instant sur une époque entière et condenser une époque en un instant. Ils sont emplis de compassion spontanée, non conceptuelle, et quoi qu’ils fassent, même un simple geste de la main procure des bienfaits aux êtres. Ils ne sont jamais dupés par les apparences, tout comme un magicien n’est jamais trompé par ses propres tours, car ils savent que les apparences n’ont pas de véritable existence, et ils savent que manquer à reconnaître ce fait est l’illusion. Ils accordent tous les accomplissements, ordinaires et suprêmes. Œuvrant de façon irrésistible pour le bien de tous les êtres, ils draguent les profondeurs du samsara.

Priant Tchènrézi avec ferveur, imaginez d’infinis rayons de lumière émanant de son corps, dissipant les souffrances et les troubles de toutes les créatures vivantes et leur accordant les quatre initiations. Tous les êtres masculins deviennent Tchènrézi, tous les êtres féminins deviennent Jétsune Dreulma, et l’ensemble de l’univers devient leur domaine d’éveil. Pratiquer de la sorte aide tous les êtres.

Tous les phénomènes du samsara et du nirvana sont des projections de notre esprit. Tel, aussi, est Tchènrézi. Fondez toutes les pratiques en une, restez en l’état où vacuité et apparences ont une seule essence, et récitez le mani.

Extrait de « The heart treasure of the Enlightened Ones », Shambhala Publications (Horticultural Hall, 300 Massachussets avenue, Boston, MA 02115, USA) ; traduit de l’anglais par Kunsang Pamo, et reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

 

<<Retour à la revue