Laisser l’être ouvert…

Tarthang Tulkou

Quand le cœur s’ouvre vraiment on peut communiquer avec tout ce qui existe.

Approfondir notre compréhension de l’existence ouvre la porte de la compassion. Développer la conscience de la douleur et de l’ignorance dont nous-mêmes et tous les autres faisons l’expérience stimule la sympathie, puis l’empathie. Cet intérêt grandissant pour les autres inspire un sentiment d’amour: un amour qui perd ses liens avec nos concepts et nos sens, un amour qui est sans sujet et sans objet.

La compassion est la capacité de ressentir pleinement la situation d’une autre personne. Les relations familiales proches favorisent le développement de cette faculté, mais aujourd’hui le sentiment d’unité familiale n’est pas très fort. Sans le support de la famille, nous avons tendance à nous replier sur nous-mêmes. Comme nous trouvons très difficile de communiquer avec les autres, même avec les bons amis, nous consacrons nos efforts à nous protéger et à protéger nos possessions. Nos préoccupations vont rarement au-delà de nous-mêmes, au- delà de nos besoins et de nos désirs personnels. Le souci des autres et la réceptivité, deux éléments essentiels pour la compassion, ont peu de chance de se développer.

Un moyen d’apprendre la compassion est de cultiver le souhait d’aider les autres. Ce simple geste ouvre automatiquement le cœur. Nos perspectives s’élargissent, notre sensibilité aux besoins des autres augmente; ceci nous amène à développer la capacité d’aider vrai- ment. Finalement nous pouvons apprendre à aimer sans autre motif ni sens d’un soi. Ce sentiment d’amour dénué d’égoïsme stimule une ouverture qui permet à la compassion de s’élever naturellement. Nous pouvons alors agir en toutes circonstances avec habileté et compassion.

Mais comment faire, comment apprendre à laisser de côté notre attitude égocentrique?

Ouverture signifie finalement compassion. Plus vous vous laissez être ouvert, plus vous êtes capable de communiquer avec les amis, avec la famille, avec tout le monde. Au lieu de réprimer vos sentiments ou d’essayer de les éviter, ouvrez le plus possible votre cœur, vos sentiments, votre personnalité tout entière. Ouvrez-vous aux niveaux de sensation plus pro- fonds. Vous pouvez le faire par la relaxation, clef de la méditation.

Soyez très tranquilles, respirez doucement, lentement, et gardez l’esprit bien conscient, bien présent. Une fois la relaxation ainsi établie, elle apaisera les sensations intérieures. Ensuite viendra la chaleur interne. Avec cette chaleur et cette détente intérieure, vous ressentirez une plus grande ouverture, et avec cette ouverture, une plus grande communication. Parce que la chaleur interne se transforme en sagesse, vous serez capable de voir plus claire- ment les situations des autres; cette clarté permet d’en apprendre aussi davantage sur soi-même. Vous pouvez vous ouvrir à votre nature intérieure. Quand le cœur s’ouvre vraiment, on peut communiquer avec tout ce qui existe. On peut voir la nature du samsara. L’ouverture est la clef de la compassion; une fois que vous arrivez à développer une plus grande ouverture, l’ego et l’attachement à un soi perdent ainsi leur emprise. Être moins concentré sur soi-même permet de voir que chaque individu doit traverser tout le cycle du samsara. On apprend l’acceptation et la compassion devient plus profonde, plus vaste.

La vraie compassion est au-delà des pensées, au-delà du soi, exempte de toute croyance en un « je » impliqué dans l’acte de compassion. La compassion réelle, donc, engendre un sens profond d’acceptation et même de par- don envers ceux qui nous ont fait mal ou rendus malheureux. Quand nous sommes sensibles aux faiblesses et à l’égoïsme des autres, nous réalisons que le mal qu’ils font est fait simplement par ignorance.

Cela m’est difficile d’accepter ce que vous dites sur le pardon quand je pense à toutes les personnes qui ont souffert et sont mortes pendant la seconde guerre mondiale.

Développer la compassion envers ceux qui font des choses affreuses apporte en fait un apaisement. Leurs actes montrent qu’ils n’ont aucune conscience réelle d’eux-mêmes et aucun contrôle sur leur propre esprit. Leur agressivité est si puissante qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. A vrai dire, ils sont fous. En comprenant ceci, il est possible d’apprendre à ressentir de la compassion.

Quand j’aime beaucoup quelqu’un, cette personne me rend facilement jaloux. Pourquoi ?

La jalousie ne peut venir que si l’on éprouve de la peur ou de l’insécurité, un certain sentiment de faiblesse profondément enfoui. Quand vous ne vous faites pas profondément confiance, vous avez peut-être l’impression que l’autre personne a l’avantage sur vous. Mais une fois que vous apprenez à vous fier à votre force intérieure, vous ne pouvez rien perdre. C’est alors possible de découvrir comment aimer sans poser des exigences ou créer de la jalousie.

Le bouddhisme ne semble pas avoir la même attitude que les autres religions envers le mal

Ce serait stupide de dire que les mauvaises actions sont bonnes, mais sans les choses négatives, nous n’aurions pas besoin de développer la conscience, la méditation ou la compassion. Sans les problèmes et les éléments négatifs, nous ne pourrions atteindre l’illumination; c’est donc une chance d’avoir les deux: des situations positives et des situations négatives. Ce n’est pas toujours facile de résoudre nos problèmes, mais ils constituent notre terrain d’essai. Au lieu d’être en colère contre ceux qui nous font du mal, soyons leur reconnaissants de nous donner l’occasion de développer la patience et même l’amour et la compassion. Cette manière de voir les circonstances ouvrira encore plus notre cœur.

Comment développer une plus grande compassion dans mon cœur ?

Ayez au cœur le plus d’énergie possible et soyez joyeux dans vos activités avec les autres. Soyez naturel et gai. Apprenez à accepter les autres même avec leurs défauts. Le sentiment positif le plus élevé est appelé amour, et pourtant même l’amour est entravé par la relation sujet-objet: nous essayons que nos proches se conforment à ce que nous voudrions qu’ils soient. Ces proches peuvent être nos amis, nos amoureux, nos enfants, ou bien même Dieu ou Bouddha. Seule la compassion nous libère de cette relation limitante. La compassion accepte les autres tels qu’ils sont. Celui qui réalise totalement la compassion ne voit plus de séparation entre « soi » et « autres ». La compassion est la réponse saine et spontanée à toutes les situations plus profondément.

Cela paraît important d’aider les autres par compassion. Pourtant, je ne sais pas souvent quoi faire ; je me sens ignorant et impuissant dans la plupart des situations. Pourriez-vous parler de cela ?

Le meilleur moyen de montrer de la compassion, c’est de souhaiter aider. Quand vous ne pouvez rien faire pour une situation, souhaitez sincèrement être capable d’aider. Ce ne sont que des pensées, mais les bonnes pensées ont de la valeur. Vous pouvez aussi comprendre que s’il ne vous est pas possible d’aider, c’est parce que vous n’avez pas la sagesse et la puissance spirituelle nécessaires pour le faire. Mais ce souhait vous encouragera et donnera de la force à votre pratique. Plus vous développez la pratique, plus vous avez la capacité d’aider les autres.

Souhaiter n’est pas seulement en paroles, c’est un sentiment profond qui vient du fond de votre cœur. Une fois que vous avez fortement développé ce sentiment, vient la bonne volonté, puis l’ouverture. Vous pouvez alors agir avec efficacité. C’est ainsi que la compassion commence. Vous voyez les problèmes des autres, vous sentez leur douleur, leur chagrin, leur souffrance. Le souhait d’aider se renforce à mesure que vous vous ouvrez et ressentez plus profondément.

Cela semble quelquefois très égoïste de dire:  » Je ne peux rien faire ». Pas si vous voulez désespérément aider mais savez, avec réalisme, que vous ne pouvez tout simplement rien faire.

Beaucoup de mes amis sont engagés dans le mouvement social. Moi aussi je vois bien des choses de travers mais c’est très difficile d’expliquer à quelqu’un que la méditation va aider la société. Je reçois plein de critiques et ne sais pas quoi en faire ; pourtant, je sais que c’est bien de méditer.

Pour aider les autres, il faut avoir à la fois la sagesse et la force intérieure, c’est-à-dire la compassion. Quand l’une de ces qualités manque, ou les deux, c’est difficile de réussir. Même si vous avez de bonnes intentions, le manque de force intérieure signifie manque d’efficacité. Il vaut mieux développer votre conscience, votre force et votre aptitude à agir. D’abord il faut développer la sensibilité de percevoir ce que réserve une situation; ensuite vous pouvez y aviser de manière appropriée. Sans préparation les bonnes idées sont difficiles à réaliser.

Sagesse et méditation ont l’air très similaires. Quelle est leur connexion exactement ?

Oui, sagesse et méditation deviennent très similaires. La méditation est conscience-connaissance; et quand cette conscience est développée, elle devient sagesse. Si nous comprenons la souffrance des autres, nous pouvons développer l’attitude de souhait, puis la bonne volonté, et ensuite notre cœur s’ouvre. La sagesse permet de voir ce qui peut être fait et donne la capacité de soulager les souffrances des autres.

Extrait de «L’ouverture de l’esprit, les clés de l’énergie et de l’épanouissement ». © Ed. Dervy 130 Bd Saint-Germain, 75006 Paris.

Tarthang Tulkou. Lama tibétain, enseignant le bouddhisme aux États-Unis depuis plus de vingt ans, il a su allier sa formation traditionnelle avec la compréhension et l’expérience de l’Occident, ce qui a permis une adaptation du cœur des enseignements au contexte culturel et social occidental.

 

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