Un enfant sans nom

Chogyam Trungpa Rinpoché

II y a une montagne d’or. Quand les rayons du soleil l’atteignent, elle est pénible à regarder. Elle est entourée de rouge, de vert, de jaune, d’orange, de rosé et de nuages lie-de-vin, doucement agités par le vent. Autour de la montagne volent des milliers d’oiseaux aux ailes de cuivre avec des têtes d’argent et des becs de fer. Un soleil de rubis se lève à l’Est et une lune de cristal se couche à l’Ouest.

La terre entière est couverte d’une neige de poussière de perles. Sur elle vient instantanément à l’existence un enfant lumineux et sans nom.

La montagne d’or est digne,
La lumière du soleil est d’un rouge éclatant.
Des nuages de rêve de multiples couleurs flottent dans le ciel.
Dans le lieu où croassent des oiseaux de fer, L’enfant né instantanément ne peut trouver de nom.

Comme il n’a pas de père, l’enfant n’a pas de lignée familiale. Comme il n’a pas de mère, il n’a jamais goûté de lait. Comme il n’a ni frère ni sœur, il n’a personne avec qui jouer. Comme il n’a pas de maison où habiter, il ne peut trouver son berceau. Comme il n’a pas de nourrice, il n’a jamais pleuré. Il n’y a pas de civilisation, aussi il ne peut trouver de jouets. Comme il n’y a pas de point de référence, il ne connaît pas de moi. Il n’a jamais entendu de langage, aussi il n’a jamais expérimenté la peur.

L’enfant marche dans toutes les directions, mais ne rencontre rien. Il s’assied lentement sur le sol. Rien ne se passe. Le monde coloré semble parfois exister et parfois non. Il ramasse une poignée de poussière de perles et la laisse s’écouler de ses doigts. Il ramasse une autre poignée et la met lentement dans sa bouche. En écoutant la poussière de perles crisser entre ses dents, il regarde le soleil de rubis se coucher et la lune de cristal se lever. Soudain, une galaxie entière d’étoiles apparaît miraculeusement et il s’étend sur le dos pour les admirer. L’enfant sans nom sombre dans un profond sommeil mais il n’a pas de rêves.

Le monde de l’enfant n’a ni début ni fin.
À ses yeux, les couleurs ne sont ni belles ni laides.
La nature de l’enfant n’a pas de notion préconçue de naissance ou de mort.
La montagne d’or est solide et immuable,
Le soleil de rubis s’étend partout,
La lune de cristal regarde des millions d’étoiles.
L’enfant existe sans préconceptions.

3 novembre 1972

First thought best thought”, Chögyam Trungpa © Shambala Publication

 

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