Transmission d’éveil

Vajra Régent Osel Tendzin

Le moyen de réaliser l’éveil est de se relier à l’héritage de la lignée.

« En tant que descendant des Victorieux, c’est un grand honneur pour moi que d’introduire l’Ondée Divine. J’ai écrit cette préface (Rain of Wisdom, Shambala) en m’inspirant des enseignements que j’ai reçus et la pratique qui m’a été transmise par mon maître, Vajracarya le Vénérable Chögyam Trungpa Rinpoché, le onzième Trungpa. »

La force, la beauté et le caractère intime de l’Ondée Divine proviennent d’une tradition de dévotion. Dans la lignée Kagyu, la dévotion c’est de proclamer que l’éveil peut être transmis. Cette proclamation résonne depuis le Bouddha jusqu’à nos jours. La transmission de l’éveil dépend de la relation entre le maître et son disciple. De nos jours une telle relation est suspecte parce que nous voyons un conflit entre la liberté et le fait de s’en remettre à quelqu’un. Mais pour obtenir la liberté, nous devons d’abord nous soumettre à ce que nous sommes, à notre héritage. Et la relation entre maître et disciple ressemble à celle que nous avons avec notre passé. Cette connection n’est ni une imitation ni du mimétisme. C’est comprendre que rien n’est perdu ; que toute notre histoire passée est totalement présente à chaque instant. Il ne s’agit pas seulement de génétique ou de mémoire. C’est la continuité de ce que nous sommes. Cette continuité est connue comme nature de Bouddha : l’esprit éveillé en soi. Le moyen de réaliser l’éveil est de se relier à l’héritage de la lignée.

Et cette relation passe par le maître, qui est le porte-parole vivant de la lignée. Quand nous lisons les chants de la lignée, il serait raisonnable de penser que nous pourrions les trouver difficiles à comprendre. Parce que nous avons été éduqués en Occident, leur formulation peut nous paraître étrange, mystique ou complètement insensée. En fait sans explication appropriée une relation authentique est improbable. Si notre approche de ces chants se place d’un point de vue anthropologique ou culturel, le résultat est l’imitation d’une philosophie et d’un mode de vie étrangers. Et le point de vue académique est également peu satisfaisant et irréel parce qu’une compréhension intellectuelle est purement superficielle. Cependant, la simple lecture de ces chants produit une étincelle qui n’est pas dépendante de quelque référence ou approche que ce soit. La raison en est que lorsque la vérité est énoncée alors elle n’a besoin d’aucune explication. Elle ne craint rien. Mais bien qu’une première lecture puisse amener à une compréhension intuitive, nous avons besoin d’approfondir notre étude pour comprendre clairement. La voie elle-même est triple, incluant la langue, le sens et la pratique.

La langue est simple confiance. Le sens est foi. La pratique est dévotion. Le cheminement vers l’éveil commence par l’écoute du dharma. La simple confiance relève de la puissance de la langue du dharma -une langue qui éveille l’intelligence sur le champ, qui nous surprend par sa vérité. Et la vérité de l’enseignement inspire la confiance dans le maître, non à cause de son charisme, mais parce qu’il communique directement.

C’est notre premier contact avec notre santé d’esprit, notre première expérience avec la dévotion. C’est la première fois que nous nous rencontrons nous-mêmes sans préconceptions et entrevoyons notre propre intelligence. C’est notre entrée dans la voie du hinayana où la pratique du dharma est basée sur la simple confiance.

L’enseignant nous dit comment réaliser notre totalité par la pratique de la méditation. Le fait de suivre les instructions de notre maître signifie que nous faisons confiance en notre esprit. Et une fois que nous avons confiance en notre esprit, nous commençons à nous sentir entier, en bonne santé et raisonnable.

Mais une question se pose : comprenons-nous réellement ce que raisonnable veut dire ?

À ce point, nous avons des doutes. Nous commençons à ressentir que notre relation avec l’enseignant et l’enseignement est bancale et incertaine.

L’enseignant devient la personnification de notre doute. Mais puisqu’il n’offre pas de résistance à notre incertitude le doute se révèle comme l’expression d’une lutte intelligente.

Et comme nous avons déjà confiance dans notre intelligence il n’est pas nécessaire de se débarrasser de notre doute. En fait, le doute devient la graine de la foi et à ce moment l’enseignant devient notre ami et aussi notre maître.

Donc le doute est notre maître et notre ami. Quand le doute rencontre la confiance nous commençons à donner naissance à notre cœur éveillé. L’enseignant qui reçoit notre hésitation devient notre ami spirituel à qui nous pouvons exprimer nos peurs d’être ouvert et tendre.

La foi, à ce stade de la pratique, signifie simplement qu’il ne s’agit pas de paniquer quand l’émotion menace notre intégrité. Cette même émotion que nous expérimentons pourrait nous amener à devenir amis avec nous-mêmes. Mais nous avons besoin de nous observer dans un miroir, un miroir sans distorsion. Nous regardons l’enseignant comme si nous regardions dans un miroir. Nous nous demandons si l’image que nous voyons est réellement ce que nous sommes. Sur la voie du mahayana, l’enseignant est le miroir de notre doute et réfléchit notre intelligence. La foi authentique c’est de se regarder dans le miroir, peut-être en doutant de ce que nous voyons, mais en ne nous en détournant pas. La pratique relève de tout ce que nous voyons qui est une réflexion authentique parce que nous savons que le miroir est parfait.

Pour que le doute se transforme en foi, nous devons avoir confiance en les phénomènes autant qu’en nous-mêmes. Parce que nous consentons à nous exposer devant le maître, et parce que le maître consent à nous renvoyer notre hésitation et notre doute sans jugement, nous commençons à réaliser le sens de notre vie. En nous examinant nous-mêmes, en examinant le miroir et le monde, entre les deux, nous découvrons une nouvelle façon de regarder. Nous découvrons prajna : la sagesse discriminante. Et avec les yeux clairs de prajna nous découvrons l’absence d’ego. Pendant tout ce temps l’idée entière de qui nous sommes, ce que l’enseignant est et ce que le monde est, a été fondé sur des préconceptions. Prajna, la foi vraie, pénètre le voile de l’ignorance et découvre l’illusion de croire en le maître comme en un sauveur, de croire en nous-mêmes comme confus et de croire en un monde solide.

A ce moment, libéré des perceptions egocentrées de l’existence, nous expérimentons sunyata.

Dans l’ouverture de sunyata nous voyons que notre moi et le monde sont tous les deux vides. Nous pouvons nous abandonner parce qu’il n’y a rien à perdre et rien à défendre. Il n’est pas besoin de proclamer ou de rejeter notre santé ou le monde tel qu’il est. Quand la liberté et l’abandon sont compris comme étant une seule et même chose, alors la compassion apparaît comme l’expression naturelle d’un esprit éveillé.

Nous réalisons qu’aussi longtemps que les autres souffrent notre réalisation en tant qu’être humain est incomplète. De façon générale, notre possession la plus précieuse est le corps humain avec lequel nous apprécions le monde. Cependant notre appréciation dépend d’une conscience qui est instable, non fiable et constamment changeante. Nous nous attachons à l’existence par fidélité à des manifestations particulières de notre conscience.

Cette tendance à nous attacher est très subtile. Même la libération obtenue provenant de l’expérience de sunyata et la compassion pourraient devenir des attachements subtils et donc doivent être abandonnées. À chaque instant sur le chemin il y a une ignorance subtile, quelques noeuds qu’il nous semble devoir défaire. Mais quand nous regardons, nous ne pouvons même pas les trouver. Ayant réalisé cela, la seule chose que nous pouvons faire est de chercher un maître authentique qui peut délier les liens de l’ego. Ayant trouvé un tel maître, nous pouvons commencer à pratiquer sur la voie vajrayana de la dévotion. Le lien incassable entre maître et disciple appelé samaya est l’outil de cette pratique.

Le grand chef de lignée Naropa avait atteint le plus haut degré de compréhension des sutras et tantras. Il était considéré comme un des plus grands érudits de l’université de Nalanda. Il avait une profonde compréhension du dharma.

Mais lui aussi pouvait sentir cet attachement subtil. Il réalisa que la voie traditionnelle ne pouvait pas satisfaire totalement son désir d’éveil. Entendant le nom de Tilopa, il laissa derrière lui son rôle social et son rang pour partir à sa recherche. Tilopa vivait près d’une rivière, il mangeait les entrailles des poissons rejetées par les pêcheurs locaux. Le trouvant ainsi Naropa fut choqué mais malgré tout il demanda des enseignements. Tilopa dit qu’il n’avait rien à enseigner, mais si Naropa voulait le suivre, cela ne dépendait que de lui. Ainsi commencèrent douze années de formation intense, pendant lesquelles Naropa fut humilié, déçu, rejeté et même battu au point qu’il faillit en mourir. Il lui fut demandé des actes considérés comme dégradant selon les normes conventionnelles.

Sa résistance obstinée à relâcher les derniers vestiges de l’ego dut être exposée.

Le grand souhait de Naropa vers l’éveil, sa confiance dans sa propre intelligence et sa foi dans sa compréhension de la vacuité des phénomènes l’amenèrent à une grande dévotion envers Tilopa.

Une fois que cette dévotion devint inconditionnelle, ne dépendant même pas du maître pour confirmation, il obtint le Mahamudra insurpassable, la réalisation de l’esprit éveillé. Grâce à sa complète dévotion il obtint l’état de Bouddha.

L’acceptation totale de la vie est semblable à l’acceptation de notre enseignant comme maître. Il n’y a que l’être humain qui, ayant pratiqué sur le chemin de la vraie confiance, peut se rendre à l’évidence que le monde des phénomènes est juste et vrai. Seulement il ou elle peut offrir au regard scrutateur sans compromis du maître les apparitions de son ego. Le maître demande que nous manifestions notre vraie nature, notre nature de Bouddha, notre esprit réalisé. Tout ce qui est en deçà est inacceptable.

Dans l’Ondée Divine nous voyons comment les maîtres de la lignée ont dédié leurs vies aux trois yanas et ont obtenu l’éveil pour notre bien. Leurs chants sont l’expression spontanée de leur esprit lumineux, un grand trésor et une source d’inspiration constante pour notre pratique.

En tant que descendant des Victorieux, c’est un grand honneur pour moi que d’introduire l’Ondée Divine. J’ai écrit cette préface en m’inspirant des enseignements que j’ai reçus et la pratique qui m’a été transmise par mon maître, Vajracarya le Vénérable Chögyam Trungpa Rinpoché, le onzième Trungpa.

Au nom de tous ses étudiants, j’aimerais exprimer notre immense gratitude pour sa loyauté et son dévouement pendant les dix dernières années. Sans cet effort incessant la pierre précieuse du dharma n’aurait jamais été découverte. Grâce à sa compassion et sa vision les précieux enseignements du vajrayana sont fermement implantés dans le monde occidental.

Vajra Régent Osel Tendzin

Principal disciple et héritier de Chôgyam Trungpa Rinpoché. Pleinement investit par celui-ci, sa nationalité américaine lui permit de transmettre l’essence du Dharma à ses compatriotes ; auteur de The Bouddha in thé palm of your hand ; il est aujourd’hui décédé.

 

<<Retour à la revue