Santé Fondamentale et Écologie de Vie

J.C.Sergent

Dr. Namgyal Qusar

Les sociétés dites traditionnelles, qui occupent encore les trois quarts de la planète, ont une existence liée au rythme naturel des saisons et des temps de la vie. Les traditions religieuses, sociales et culturelles du Tibet sont un exemple frappant et encore bien vivant de ce tissu culturel. Elles ne visent idéalement qu’à réaliser le souhait de voir les individus vivre exempts de maladies, heureux mentalement et spirituellement. Cette conception met l’accent sur le fait que ce qui importe avant tout, c’est le bonheur et la joie de vivre appelés à se manifester dans la vie de tous les jours.

Le système tibétain est donc par principe le type même de ce que l’on appelle de nos jours un système holistique. Il prend en compte la totalité de l’être, ne pouvant dissocier ou fractionner les divers éléments qui font ce que nous sommes aussi bien physiquement que psychiquement. Il s’attache à observer de manière unique, sans aucune discrimination de hiérarchie, les trois corps qui nous constituent : le corps physique, le corps mental et le corps spirituel. De même le concept tibétain ne peut séparer l’homme de son environnement et des trois corps qui lui sont propres : environnement direct – lieu où l’on vit –, environnement planétaire – la Terre –, environnement universel – le Cosmos. (…)

Ici rien ne peut donc être envisagé qui fasse d’un individu vivant en ce monde un être « séparé ». (…)

L’objet même de la tradition tibétaine est donc de maintenir ou de restaurer lorsqu’elles ont été perdues, l’unité, l’intégration, nous pourrions même dire la fusion, de l’ensemble de ces éléments chez l’homme, en vue de la continuité de son équilibre personnel relié à l’harmonie qui se déploie dans l’ordre universel. L’équilibre naît de la cohésion, l’harmonie vitale de son maintien.

« L’intérêt n’est pas de savoir comment les choses fonctionnent mais plutôt de découvrir comment s’expriment leurs fonctions positives. »

Selon ces préceptes, il devient évident que les personnes qui vivent près de la nature sont mieux préservées des maladies que les autres. Mais attention ! « Près de la nature » ne veut pas dire qu’il faille obligatoirement vivre en pleine campagne. C’est une manière de dire que le corps et ses besoins se modifient selon les saisons, les cycles du jour et de la nuit, par exemple, et qu’il convient de respecter les effets et les influences de tels changements sur le corps, l’esprit et « l’âme » de l’individu, tout comme ils s’exercent sur les plantes, les ingrédients alimentaires solides et liquides ou tout autre organisme vivant.

Les maladies sont dues au fait que les gens d’à présent vivent de manière « artificielle », c’est-à-dire mènent une vie remplie d’artifices, de leurres, de faux-semblants et autres sophistications qui ne respectent plus les lois de la nature. En ces temps modernes et dans ce monde dit civilisé, civilisation est devenu synonyme de vie et de comportements artificiels. Plus les gens vivent de façon artificielle plus ils sont considérés comme civilisés. Or c’est dans l’ordre naturel, c’est-à-dire dans l’équilibre et l’harmonie des fonctions et des cycles énergétiques qui régissent ces fonctions, que reposent toutes les dispositions permettant d’avoir une vie saine.

Pour conserver une bonne Santé Fondamentale, il est indispensable de bien comprendre cette nature qui est également notre propre nature, celle qui repose en chacun de nous depuis le début des âges. (…)

Cette énergie se manifeste sous trois formes principales différentes :

• Les Cinq Eléments constitutifs de la matière : Eau, Terre, Feu, Air, Espace. Ils symbolisent les énergies dites du « Ciel » et sont, généralement, reliés aux saisons.

• Les Trois Energies Principielles, également appelées les trois Humeurs – rLung, mKhrispa et Badkan – qui témoignent de la vie fonctionnelle psychosomatique de l’individu.

• La Chaleur et le Froid, qui confèrent mouvement, densité, cohésion, etc., à l’énergie générale du corps et de son environnement, telles les variations climatiques par exemple.

De l’équilibre et de l’harmonie du bon fonctionnement de cette triade énergétique dépend l’état de santé moral et physique des individus et de tout ce qui vit et compose notre univers. D’où l’importance capitale d’une « bonne et saine écologie ». (…) Selon le système traditionnel tibétain, l’alimentation, l’hygiène de vie, l’influence des saisons et les mauvais esprits sont les principaux facteurs responsables des manifestations de maladies d’une grande diversité. Ces facteurs modifient les conditions dans lesquelles baigne l’équilibre psychosomatique que nous considérons comme étant notre état normal de bonne santé. Le corps et l’esprit sont étroitement reliés car la santé, le bien-être ou l’infortune de l’un affecte automatiquement et immédiatement l’autre.

Le corps humain et les cinq éléments

La tradition tibétaine part du principe et nous enseigne que l’homme est une réplique microcosmique subtile du macrocosme universel. Depuis des temps immémoriaux, les hommes qui ont peuplé la Terre ont toujours eu conscience d’une relation entre eux et la nature (…), et notamment que les cinq éléments unissent le microcosme et le macrocosme sous forme de principes d’énergie cosmique.

Il convient de souligner que, à ce propos, les enseignements traditionnels, aussi éloignés soient-ils les uns des autres, parviennent à se recouper, car les saints et les philosophes du monde entier eurent de tout temps une compréhension profonde des systèmes et des lois qui régissent la nature humaine ainsi que celle des autres êtres vivants – animaux, végétaux, etc. – par l’observation, la patience et l’expérience. Tous exprimèrent les fondements et la marche de ces systèmes par le truchement de la symbolique, par l’utilisation et la révélation des symboles.

Peut-être nous faut-il dire deux mots de la symbolique : L’expression symbolique traduit l’effort de l’homme pour déchiffrer et maîtriser un destin qui lui échappe à travers les obscurités qui l’entourent.1

La symbolique fait appel essentiellement à la force et à la magie des images exprimées par des mots ou des graphismes. Il ne s’agit donc pas de se limiter à la compréhension d’un seul sens du mot mais de saisir tout à la fois ce qu’il évoque de connu ou d’inconnu. Il s’agit de saisir et de comprendre la totalité des mots et des images concrètes, réelles, rêvées ou imaginaires, qu’ils véhiculent. Tout a une double face, un double sens, le concret et le caché, le révélé et le non révélé, le « manifesté et le non manifesté ».

Le non révélé qui s’exprime sous la forme symbolique est là pour nous inciter à observer, à découvrir et à sentir au plus profond de soi ce qu’il y a de plus subtil et de plus vrai dans la face cachée des choses et des êtres. L’utilisation des symboles est donc bien une démarche globale qui relève des trois corps et qui touche de plein fouet ces trois corps : physique – expression de la matière –, mental – expression du subtil –, spirituel – expression du mystère métaphysique.

Ainsi lorsque nous parlons de l’élément « Terre », par exemple, il ne s’agit pas d’évoquer laconiquement la seule planète ou une motte de glaise qui repose au coin d’un champ, mais bien plutôt de pénétrer dans les sensations de l’humus tiède et humide, fécond, au sein duquel la graine exécute sa germination, pousse et croît ; de l’utérus dans lequel le fœtus se développe ; des organes où les aliments et les boissons se transforment pour devenir sève et énergie nourricière, enfin… de tout ce qui peut, dans un certain sens évoquer la présence et le rôle d’une mère, c’est-à-dire, sur le plan spirituel, de tout ce qui veille, protège, nourrit, aime inconditionnellement ! Oui, la Terre aime les hommes qu’elle porte. Les hommes lui renvoient-ils cet amour ?

Au Tibet ces systèmes naturels qui constituent les bases indéfectibles de tout ce qui existe furent exprimés dans les termes de Cinq Eléments ou, en tibétain « Bjungwas Chenpo », à savoir : Sa (Terre), Tchou (Eau), (Feu), rLung (Air), Namkha (Espace). Le corps humain comme le reste de la création est composé de ces Cinq Eléments sans lesquels il ne peut y avoir de vie.

Les Cinq Eléments étaient utilisés non seulement pour comprendre et classifier les phénomènes mais aussi pour décrire l’interaction complexe qui se tisse entre les individus et leur environnement, incluant nos réactions émotionnelles, nos expériences et pratiques spirituelles et autres rapports à tout ce qui nous entoure ou dans lequel nous baignons en permanence.

(…). Comme on peut le voir l’énergie de ces Cinq Eléments se déploie sur trois niveaux : externe, interne et secret. Les éléments externes sont ceux que l’on peut observer dans la nature, leur base est la terre. Par éléments internes, on entend évoquer les Cinq Eléments présents dans le corps, leur base étant l’eau et le feu. Les éléments secrets concernent les mouvements de travail de l’énergie des éléments qui englobent généralement le niveau interne et externe tout à la fois, ils s’éploient par le truchement de l’air et de l’espace. (…)

Comme dans tous les systèmes qui constituent l’univers, ces Cinq Eléments existent à l’intérieur de chaque individu. Ils sont directement reliés à la faculté qu’a l’homme de percevoir l’environnement extérieur dans lequel il évolue et dans lequel il vit. Tous les aspects de l’univers sont représentés dans le corps humain sous une forme subtile. Cela confère à l’homme une grande responsabilité car si tout changement dans l’environnement affecte le corps – les saisons, les climats, le jour et la nuit, la sécheresse et l’humidité, etc. –, l’esprit et « l’âme » d’un être humain en retour, par son esprit, son corps ou sa parole, peuvent également l’affecter, lui et son environnement. Une mauvaise parole, par exemple affectera, bien entendu, celui qui la profère, mais touchera également l’ensemble de son champ d’espace et de vie, humain et non-humain. Les puristes disent qu’une mauvaise parole peut affecter le champ d’une étoile distante de millions d’années lumière de celui qui la profère !

Cela nous fait rentrer de plein fouet dans la responsabilité écologique, à tous les niveaux et sur tous les plans.

Médecine Tibétaine et Alimentation.© Calmann-Lévy

J.C. Sergent

Dr. Namgyal Qusar

Le docteur Namgyal Qusar, médecin tibétain en exil, dirige le département de recherche de l’Institut de médecine et d’astrologie tibétaines à Dharamsala. Il donne également des consultations dans de nombreux pays d’Europe.

Jean Claude Sergent, praticien psychothérapeute, énergéticien diplômé, enseigne les techniques de la respiration et de la méditation.

1J. Chevalier et A. Gheerbrand, préambule au dictionnaire des symboles.

 

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