Faire Corps avec les trois Corps – Trois corps, trois mandala, trois présences

Lama Denys Rinpoché

Le corps – Kaya

Kaya est le terme sanscrit, équivalent à kou en tibétain, qui signifie corps. C’est un terme honorifique qui, au plus haut niveau, fait référence aux corps du Bouddha. On entend par corps du Bouddha, non pas des corps physiques habituels, mais différents plans de l’éveil. Aussi l’état de Bouddha, l’éveil, dans sa réalité foncière, peut-il être envisagé suivant trois perspectives simultanées et complémentaires nommées les trois corps du Bouddha.

Le nirvana au cœur du samsara

La pratique du Dharma, dans son essence, consiste à réaliser la présence des trois corps de Bouddha dans les situations de la vie. Lorsque nous parlons ici des corps du Bouddha, « Bouddha » n’est, bien évidemment, pas seulement le personnage historique mais la nature de Bouddha telle qu’il est possible de la percevoir en chaque situation et en chaque instant. Toute expérience de notre vie habituelle, du samsara, peut être le lieu de l’expérience de la présence éveillée des trois corps du Bouddha. Vivre la présence de l’éveil, des trois corps du Bouddha, en toute situation est la pratique ultime du Dharma. Une expérience habituelle, du samsara, quelle qu’elle soit, devient alors une expérience libérée éveillée. C’est dans ce sens que le mahayana, « la voie universelle », parle de l’indissociabilité du samsara et du nirvana.

L’expérience des trois corps : trikaya

Dans sa dimension la plus profonde la pratique de la méditation est l’expérience de la vie dans sa qualité foncière, immédiate. C’est vivre l’instant présent, l’expérience d’instantanéité immédiate ou de présence d’immédiateté. La nature de cette expérience est celle de l’ouverture, de la clarté et de la sensitivité qui, en leur perfection absolue, sont le trikaya, l’expérience des trois corps de Bouddha.

L’ouverture : le corps absolu

« Ouverture » se réfère tout d’abord à ce que ce mot signifie dans le langage courant, lorsqu’on parle de quelqu’un d’ouvert, qui a une largesse d’esprit, de vues, ou qui a un cœur ouvert, qui est quelqu’un de bon. Mais « ouverture » tel que nous l’employons dans le Dharma va jusqu’à désigner l’ouverture absolue de l’éveil qui est l’expérience d’espace sans centre ni périphérie. En fait ces différents sens sont en continuité, « ouverture » véhiculant l’idée d’espace, de dégagement, de non-fixation… Vivre l’ouvert est expérimenter l’espace, c’est une expérience de présence à l’espace, d’absence aux fixations, elle est spacieuse, dégagée.

Cet état d’ouverture spacieuse, dégagée, dans sa perfection absolue, au-delà de toute référence et de tout appui est le dharmakaya, corps de vacuité ou corps absolu du Bouddha.

« Vacuité » signifie ici absence d’êtres, de fixations, de référence… c’est la personne avant sa conception.

« Absolu » signifie ce qui ne dépend de rien d’autre, c’est un synonyme de non-dualité.

La clarté : le corps d’expérience parfaite

L’expérience ouverte du dharmakaya, au-delà des êtres et entités, l’absence de fixation est une plénitude d’expérience, d’énergie claire, précise, lumineuse, une présence de claire lumière.

C’est l’expérience de présence d’immédiateté : une clarté ou énergie de connaissance à la fois lumineuse et lucide. C’est l’énergie de la vie qui se vit en soi, de l’intelligence de la vie en-soi, de l’intelligence en-soi. Cet état clair et lucide est la présence de plénitude habitant l’espace ouvert, libre de fixations. C’est le sambhogakaya, littéralement « le corps d’expérience parfaite » au sein du dharmakaya.

Sensitivité : le corps de manifestation

Dans cet état d’ouverture lucide, ou de lucidité ouverte, se vit en-soi une « sensitivité ». Il ne s’agit ni de sensiblerie ni d’affectivité, mais d’une sensibilité de « réceptivité-disponibilité ». Lorsque l’esprit n’est pas attaché, possédé par les liens des fixations habituelles son expérience parfaite est une présence réceptive et disponible qui se vit naturellement. Cette présence est le lieu de l’action juste : en elle la situation se vit pleinement et sans obstacle. Cette présence est la danse libre et spontanée de l’énergie authentique présente en la situation. Cette présence de réceptivité-disponibilité est la nature de la compassion et de l’amour véritables ; la compassion étant alors plus particulièrement la réceptivité, la capacité à compatir, à participer à l’expérience de l’autre en l’accueillant, et l’amour étant alors la disponibilité à donner, à offrir, à être disponible dans une réponse bienveillante, juste et harmonieuse. Cet état de sensitivité est le nirmanakaya, le corps de manifestation.

Le quatrième corps : les trois en un !

L’état des trois corps dans sa globalité est le svabhavikakaya, le quatrième corps ou « corps d’ainsité », l’union indissociable des trois premiers.

La pratique de la méditation consiste à faire confiance à ces trois qualités d’ouverture, de clarté et de sensitivité qui sont le fond de notre expérience, le fond de notre personne, notre « personne authentique », c’est-à-dire la présence de la nature de Bouddha en notre vie.

Personne : personne-personne

Le bouddhisme est quelquefois présenté par ceux qui le connaissent mal ou par ses détracteurs occidentaux comme une voie qui nie la personne. Bien au contraire, le dharma nous invite à dépasser la personne illusoire qu’est l’individualité égotique pour découvrir la personne authentique dont la nature est cet état ouvert, clair et sensitif qui habite au cœur de notre vie et qui est en soi le cœur de l’intelligence et de l’amour-compassion.

Dans cette perspective la plénitude de la personne authentique est notre personne vidée de la personnalité individuelle et égotique habituelle. Elle est Personne car elle n’est personne, elle n’est plus quelqu’un. La Personne authentique est la réalisation du non-ego, du non-soi (anatman).

La méditation comme incorporation

Une autre erreur consiste à penser que méditer est s’abstraire du monde : le méditant sortirait du monde pour devenir une sorte d’être éthéré coupé de celui-ci ! Le méditant se décorporerait pour partir dans l’au-delà de quelques sphères célestes. Nous savons bien que certaines images allégoriques de la tradition, imparfaitement comprises, peuvent suggérer ce type d’interprétation à un esprit enclin à les faire, mais la pratique profonde de la méditation est à l’opposé de cette attitude de coupure et de décorporation : c’est une expérience d’incorporation. Il s’agit de  « faire corps » avec le présent, d’« être un » avec la vie. C’est une expérience directe, immédiate – d’immédiateté –. Il ne s’agit pas même de se mettre en retrait, de prendre des distances. Se distancier, prendre du recul augmente la dualité, augmente la séparation entre l’ici et le là, le sujet et l’objet, l’observateur et l’observé. La pratique profonde de la méditation n’est jamais l’augmentation de la distance entre l’observateur et l’observé mais, bien au contraire, la diminution de celle-ci. Il ne s’agit pas de « prendre du recul » pour observer l’altérité tout autour, gardant ses distances, se protégeant. Cela serait une pratique de dissociation, de séparation et d’entretien du fossé entre ici et là, entre moi et l’autre ; ce serait finalement entretenir la dualité.

Le cœur de la pratique de la méditation est l’immédiateté, dans le double sens d’instantané et de sans intermédiaire. C’est le présent direct, la présence immédiate ou l’instantanéité présente. Cette immédiateté est la vie qui se vit en soi sans passer par le mental et ses concepts. C’est l’expérience avant la « co-naissance » dualiste dans la conception. En effet, notre expérience, notre monde et nous, l’observateur-expérimentateur, « co-naissons dans la conception » ; à vrai dire le sujet co-naît avec son objet dans la conception qui les fait naître simultanément. La co-naissance est la « conscientisation » habituelle.

En fait la méditation, l’apprentissage de l’expérience d’immédiateté, est une question d’incorporation. Il s’agit de faire corps avec son corps physique, de faire corps avec le corps de son environnement et de faire corps avec le corps des pensées, émotions et relations de tout type. Le dharma distingue ainsi trois corps ou mandalas : le corps physique, le corps d’environnement et le corps des expériences ou relations entre les deux premiers. Le corps physique est le mandala intérieur, le corps d’environnement est le mandala extérieur et le corps d’expérience est le mandala intermédiaire. La réunion des trois mandalas en cette présence est l’éveil en les trois corps de Bouddha.

La pratique de la méditation consiste en la présence de l’esprit à ces trois corps-mandalas. Quand l’esprit « fait corps » ou « est un-non-deux » avec le corps physique, le corps d’environnement et le corps d’expérience, dans cette « incorporation » l’extérieur, l’intérieur et l’intermédiaire cessent d’être trois. C’est la disparition de la dualité. Cette pratique est celle de la présence : présence au corps physique, présence à l’environnement et présence aux pensées et émotions naissant entre eux deux. C’est une triple présence qui dans sa globalité est présence totale. Cette présence est celle de l’incorporation de l’esprit.

L’observateur abstrait

Une compréhension ou expérience superficielle de l’incorporation pourrait laisser croire que cet état est comparable à celui de quelqu’un complètement identifié à son corps ou à ses émotions. Ce serait là l’erreur la plus complète. La juste pratique de l’incorporation est au contraire celle de la désidentification, du lâcher-prise, de la non-fixation et de la dépossession totale. La dépossession consiste en le relâchement, la relaxation-libération du possesseur-observateur. C’est ainsi qu’au cœur de l’apprentissage de la méditation-incorporation est celui de ce qui est nommé « l’observateur abstrait » qui est en fait un nom pour la vigilance, la pratique de l’attention comprise comme « a-tension », sans intention. Il est aussi possible d’en parler comme d’une « vision nue » ou d’un « témoin neutre ». La pratique de l’observateur abstrait consiste en deux étapes successives bien qu’en continuité dans le sens de la désidentification.

• La première est l’apprentissage de la simple vision-observation ou plus généralement, d’une expérience d’observation non-identifiée à son objet. C’est le passage de l’acteur identifié à son action à celui d’observateur non-identifié. Il y a dans cette expérience un détachement, l’acteur cesse d’être collé à son action, le sujet cesse d’être « collé » à son objet ; le sujet acteur cesse de posséder et par là même d’être possédé. C’est l’état de vigilance, de l’observateur qui reste « simplement vigile » sans être pris, possédé par l’action et ses objets. Cette « simple vigilance » est la qualité « abstraite » de l’observateur par contraste avec ce que serait un observateur « concret » observant solidement, collant à l’observé, fixé sur celui-ci. L’observateur abstrait est un observateur dégagé, désengagé, un observateur désidentifié, déjà libéré, dans une certaine mesure, des fixations-attachements.

• La deuxième étape de l’observateur abstrait suit naturellement la première sans discontinuité. Dans sa pratique, l’observateur abstrait, se désidentifie, progressivement sa polarité se décharge et sa dissolution révèle l’absence d’identité, d’identificateur. C’est l’absence d’observateur ; l’observateur est alors abstrait au sens d’absent. Observateur et observé ne sont plus deux, c’est l’incorporation authentique dont nous parlions précédemment.

Tout ceci n’est pas de l’ordre de la compréhension intellectuelle et n’a ici d’intérêt que pour suggérer la direction en laquelle la pratique de la méditation-vigilance-incorporation se développe. L’expérimentation nécessite les directives d’un instructeur qualifié. Pratiquer la méditation, la vigilance de l’observateur abstrait, c’est découvrir l’espace, vivre l’espace… et vivant l’espace, atterrir, incorporer la base de toute expérience : la terre. La vie fondamentale, l’éveil, se vit lorsque les trois mandalas dont nous parlions précédemment sont dans leur perfection absolue, les trois corps d’un Bouddha, le trikaya.

L’incorporation comme ouverture

Le ciel est l’espace, la terre est la base. Le Bouddha en signe de son éveil prit la terre à témoin : il a touché terre. Au départ il peut sembler y avoir une contradiction entre l’espace, le ciel et la terre, entre l’esprit et le corps. Nous voudrions monter de plus en plus dans l’espace et plus nous serions haut, plus la terre et ses misères seraient loins. Le cœur de la méditation est le contraire : c’est découvrir, comprendre et expérimenter, comment l’ouverture, c’est-à-dire la plongée dans l’espace, amène sur terre, fait être un avec la réalité.

L’ouverture permet l’incorporation. Non incorporé à notre expérience, nous la vivons habituellement comme autre et nous en sommes alors l’habitant, l’observateur, le spectateur et l’acteur. Habituellement nous ne faisons corps ni avec notre corps physique ni avec notre expérience ni avec nos émotions. Ne faisant pas corps il n’y a pas « accord » et il y a même désaccord, dysharmonie. Faire corps est synchronisation, l’absence de dysharmonie, c’est vivre en accord et dans la synchronicité des harmoniques de ces accords, c’est la vie et l’œuvre éveillée, non intentionnelle….

Vivre l’espace

Méditer l’intelligence primordiale, la prajñaparamita, est vivre l’espace disent les sutras. En fait, l’espace de l’ouverture réduit la séparation entre l’habitant que nous sommes et son expérience. La découverte de l’espace est l’ouverture de l’observateur à son environnement ; c’est la relaxation-libération de l’observateur-habitant dans l’espace et l’environnement que celui-ci contient ; c’est aussi l’incorporation du sujet dans l’objet. Prenons une goutte d’eau comme image : l’observateur est la goutte et son ouverture est comme l’expansion de celle-ci. L’expansion d’une goutte est sa dilatation, son évaporation. Une goutte qui s’ouvre à l’espace est une goutte qui s’évapore ; et lorsqu’elle s’est évaporée, elle est dans tout l’espace ! – C’est physique. – Nous pouvons dire que la goutte d’eau a disparu ou bien qu’elle emplit tout l’espace. Nous pourrions même peut-être aller jusqu’à dire que l’espace est entré dans la goutte d’eau ? L’ouverture de cette goutte d’eau, son évaporation est une image pour l’ouverture de l’observateur. Lorsque l’observateur s’ouvre, il se dissout, s’évapore, notre expérience d’observateur et l’environnement « font corps », sont incorporés. Cette incorporation dans sa perfection absolue étant les trois corps du Bouddha ou de l’éveil : le trikaya, auquel nous faisions allusion précédemment.

Question : Est-ce que le corps est une représentation de l’esprit ?

Lama Denys : D’une certaine façon oui. L’expérience de notre corps, l’image que nous avons de nous-même comme corps, est une représentation mentale, celle d’un certain schéma corporel qui est une fabrication, une représentation de l’esprit. Mais l’esprit, à son tour, émerge du corps. Le corps est un épiphénomène de l’esprit et l’esprit est un épiphénomène du corps, ils sont interdépendants. La pratique de la méditation est l’apprentissage de la réunion du corps et de l’esprit. C’est l’incorporation de l’esprit. Lorsque l’esprit fait corps avec l’expérience, l’esprit est le corps de l’expérience, l’esprit et l’expérience ne sont pas deux. L’incorporation ultime, absolue, est celle de l’esprit habituel dans les trois corps du Bouddha, c’est l’éveil.

Pourriez-vous revenir sur cette notion d’incorporation ?

L’incorporation est s’incorporer à la vie. Cela peut s’exprimer de différentes façons : « être un avec l’expérience », « vivre sans être deux » ; c’est ne pas être séparé de son vécu, de la vie, ne pas être deux en termes d’expérience et d’expérimentateur, d’observateur et d’observé.

Incorporé à notre vécu, nous n’en sommes pas différent : la vie se vit mais l’observateur n’est plus là pour la vivre. Il n’y a plus que la vie : la vie simple, immédiate, la vie sans observateur, sans témoin, sans moi. Il est possible d’avoir une intuition de ce dont il s’agit dans le souvenir de certains moments où, à un niveau peut-être superficiel mais quand même réel, l’expérience que nous avons de nous-même s’était suspendue. Ce dont je parle est une expérience de ravissement, au sens littéral : lorsque, devant la beauté, la magnificence d’un spectacle, d’une œuvre d’art ou quoi que ce soit de ravissant, le moi se suspend, « est ravi » ; dans un tel moment on touche de près un vécu total, simple, immédiat et très intense. Cette expérience est aussi présente entre deux pensées, lorsque l’on éternue, lorsque l’on bâille, dans l’orgasme ou au moment de l’endormissement… mais habituellement nous ne la reconnaissons pas. Cette expérience est un instant d’incorporation où nous faisons complètement corps avec notre vécu, où nous sommes vie tout simplement. C’est l’état d’observateur ou d’expérimentateur abstrait, c’est-à-dire absent.

Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par ravissement ?

• Il y a deux types de ravissement. Le premier est un transport : une émotion nous mobilise, nous émeut, met le moi en mouvement, en émoi. C’est un transport du moi, de l’émotionnel. Mais, à un niveau fondamental, le ravissement consiste à « être ravi » par l’expérience ; elle peut nous ravir complètement lorsque faisant corps avec elle, esprit et expérience n’étant pas deux, nous sommes absent en tant qu’observateur. Ce ravissement est une expérience d’incorporation. Nous en parlons aussi comme d’une « présence d’absence » : faire corps avec son expérience est présence mais l’observateur-ego n’étant pas là, c’est aussi une absence. L’expérience d’observateur abstrait est cette présence d’absence. Elle est concomitante avec une présence complète à l’expérience. C’est le cœur, le fondement de « la méditation en action » et c’est une expérience que nous pouvons faire n’importe où et n’importe quand : aussi bien en épluchant les pommes de terre qu’en faisant la vaisselle… en toute activité sans aucune exception.

Vous avez dit tout à l’heure que la pratique de la méditation n’aboutissait pas à l’absence d’émotions. Dans mon idée, un des objectifs de la méditation est de créer une conscience témoin des émotions, c’est ce qui nous permet de ne plus être pris dans l’émotion…

• La « conscience témoin » dont vous parlez peut être synonyme de ce que nous appelons observateur abstrait et que nous avions signalé avoir aussi le sens de « témoin neutre ». Mais attention, « conscience témoin » recouvre deux notions très différentes qui peuvent même être opposées. La conscience-témoin peut être le positionnement d’une conscience observatrice dans le sens du durcissement, de la solidification de l’observateur : le développement d’un observateur concret essayant d’être un témoin inaffecté par l’émotion, restant immuable, indépendant, impassible… C’est une impasse et une erreur. Par contre la conscience témoin au sens d’observateur abstrait est une intelligence neutre, la neutralité d’observation qui amène douceur et transparence ; c’est alors le témoin transparent, léger… et en ce sens abstrait. C’est la pratique juste de la méditation. Il s’agit de la présence d’absence qui voit « simplement », « tout en légèreté ». Cet observateur abstrait lorsqu’il s’approfondit amène, comme nous le disions, à l’incorporation.

L’observateur devient de plus en plus abstrait jusqu’au moment où il est véritablement abstrait, c’est-à-dire où il a été fait abstraction de celui-ci. Lorsqu’il n’y a plus d’observateur, c’est l’incorporation ultime : il n’y a plus que l’expérience de l’émotion qui se vit en elle-même, sans possesseur ni possession ni possédé. La matière première qu’est l’énergie émotionnelle ne disparaît pas, l’énergie reste, mais cette énergie qui était initialement conflictuelle, duelle, dualiste, devient immédiate, et dans son immédiateté, au-delà d’un possesseur et d’un possédé, cette énergie devient celle de l’éveil, une énergie d’intelligence et d’amour. L’énergie même de l’émotion se trouve transformée en énergie d’immédiateté par la présence non dualiste au mandala intermédiaire, ce que la tradition des tantra nomme la transmutation des émotions.

 

<<Retour à la revue