L’Alchimie du corps – Une approche du Vajrayana

Rangdjoung Dordjé Karmapa III

Le Profond Sens Intérieur a été composé par le 3e Karmapa, Rangdjoung Dordje. Il a la particularité d’avoir appartenu aussi bien à la Lignée Kagyu qu’à la Lignée Nyingma, aussi bien à la Lignée Mahâmûdra que Dzogchen. Djamgoeun Kontrul Rinpoché écrivit un commentaire de cet ouvrage : Le traité du sens profond.. Cet article est extrait d’une explication orale par Lama Denys Rinpoché de ces deux textes racines.

La nature intérieure de l’esprit est le Tathagathagarba, la nature de Bouddha, qui s’appelle aussi l’immédiateté innée, ce avec quoi l’on naît ; entendu que c’est l’intelligence immédiate, immanente et innée qui est la base de notre personne, de notre expérience, donc de l’esprit.

Le corps qui est alors comme une émanation, une irradiation de l’esprit est envisagé comme « support ». On entend le corps-support en tant que corps physique et ce qui est supporté, c’est-à-dire ce qui l’habite, est la conscience. Le corps est connecté aux différents éléments qui le constituent dans sa réalité subtile que sont les canaux, les souffles et les gouttes (nadi, prana et bindu en Sanscrit ; tsa, loung et tiglé en tibétain).

Ce traité va considérer les différentes étapes du corps-esprit :

Il explique la nature intérieure du corps-esprit : il est dit être comme un flambeau qui dissipe l’obscurité ou comme la clef du coffre d’un trésor. Le flambeau nous revèle la nature de bouddha. La clef nous offre la possibilité d’accéder au trésor de Dharmata, au trésor des qualités éveillées.

Nous sommes au début dans un état de pauvreté, dans le corps-esprit habituel et cette clef, ce flambeau, révélant le trésor, nous donne accès à celui-ci.

C’est l’approche spécifique du Vajrayana que de considérer cette continuité entre le corps et l’esprit, l’intérieur et l’extérieur, la base-la voie-le fruit, et aussi la relation entre l’esprit et le souffle ; le souffle étant considéré ici comme élément intermédiaire entre le corps et l’esprit.

Toutes nos expériences habituelles sont incluses dans la conscience et donc l’expérience et le vécu de la conscience sont un dynamisme qui est animé par les souffles. On parle ainsi des souffles de la conscience comme d’une « énergie ». De ce point de vue, toute expérience de la conscience est l’opération des souffles et de leur dynamisme énergétique.

Nous allons petit à petit voir comment cette conscience-esprit se constitue et comment elle est en interraction avec le corps. Il n’y a pas de corps sans esprit et il n’y a pas d’esprit sans corps : « Il n’y a pas d’esprit sans corps » est une vue matérialiste, une vue nihiliste. « Il n’y a pas de corps sans esprit » est une vue spiritualiste, éternaliste et souvent finalement théiste.

Le Dharma du Bouddha est une voie médiane, une voie du milieu. C’est pourquoi il est dit qu’il n’y a pas de « corps sans esprit et pas d’esprit sans corps ». C’est une façon d’exprimer que le corps et l’esprit sont interdépendants. Ils existent l’un par rapport à l’autre et réciproquement, en dépendance mutuelle.

Donc il n’y a pas de corps sans esprit et pas d’esprit sans corps. Il serait souvent intéressant, lorsqu’on parle d’un corps de demander mais quel est l’esprit de ce corps ?

Et lorsqu’on parle d’un esprit, de demander quel est le corps de cet esprit, puisque dans l’interdépendance ils n’existent que l’un par rapport à l’autre. Chaque corps a un esprit, chaque esprit a un corps.

Une autre clef importante est de comprendre l’indissociation du souffle et de l’esprit.

En effet, souffle et esprit sont indissociables et quand on dit : « on a une tasse avec de l’eau et du lait », le lait et l’eau sont indissociables. Quand on dit que le souffle et l’esprit sont indissociables, il y a une étape de plus.

Le souffle est esprit et l’esprit est souffle. Ils ne sont pas deux. Il n’est d’esprit que souffle.

Nous savons que le corps et l’esprit sont interdépendants et maintenant nous rajoutons que l’esprit et le souffle sont indissociables. Qu’en est-il du corps ? Quel est le corps de cet esprit indifférenciable du souffle ? C’est le corps subtil.

On appelle « corps subtil » ce souffle-esprit tel qu’il est vécu par l’individu.

Selon le Tantra, le corps physique est sous-tendu par un corps subtil ou corps-vajra. Celui-ci est constitué de nadi : les canaux, de prana : les souffles ou énergies, et de bindu : les gouttes.

Le corps physique est le support des nadi. Les nadi sont le support des prâna. Les prana sont le support de l’esprit.

Les émotions ou états mentaux affectent les prana. Ceux-ci affectent les nadi qui affectent à leur tour le corps physique.

La pratique vise donc à purifier les nadi, prana et bindu, afin de réaliser l’éveil.

On catégorise aussi deux sortes de souffles : les souffles extérieurs et les souffles intérieurs.

Les souffles extérieurs sont ceux qui opèrent par la respiration dans les échanges gazeux avec l’environnement extérieur.

Et les souffles intérieurs sont les souffles sustantateurs de la conscience, de l’expérience que l’on a de soi.

Ces souffles intérieurs structurent le corps subtil qui est un corps fait de souffles, le « corps de conscience ».

C’est ce corps subtil qui est composé de ces trois éléments qui sont nadi, prana et bindu.

Il y a donc dans le corps certaines gouttes ou certains grains (bindu) qu’on peut appeler « principiels » qui sont une condensation des souffles (prana), une condensation de cette énergie qui est animatrice de l’esprit, de la conscience et de l’expérience.

La notion de condensation des souffles est assez utile. Il y a les souffles, donc souffles-énergie, avec les trajets qu’emploient ces souffles : les canaux et, à certains endroits, il y a des accumulateurs, des condensateurs d’énergie.

Nous pourrions ici utiliser l’image de la pile, bien qu’elle ait ses limites, mais les canaux sont comme des fils, l’énergie électrique sont les souffles et la pile, et le condensateur sont les gouttes.

Il y a aussi ce qu’on appelle les chakra qui sont des ramifications de canaux. Chakra signifie « roue », « carrefour ». Ce sont des lieux où se ramifie un nombre important de canaux. Ce sont des sources ou des points de condensation du souffle.

Les correspondances entre le corps-vajra intérieur et le monde extérieur

Il y a une idée très importante qui est la correspondance entre les souffles intérieurs et extérieurs. Il y a un rythme microcosmique du corps et un rythme macrocosmique, cosmique.

Il y a aussi, entre ces rythmes microcosmiques et macrocosmiques ce qu’on pourrait appeler, dans un langage contemporain, des bio-rythmes. Le rythme corporel a une certaine fréquence et le rythme macrocosmique aussi. Il y a alors des harmonisations, des concordances de fréquences qui peuvent amener des harmoniques : s’harmoniser avec la nature, l’harmonie ultime n’étant autre que l’éveil.

Ces correspondances entre les rythmes micro et macrocosmiques partent toutes d’une seule unité de base qui est celle de la respiration : c’est « l’unité de souffle ».

En l’absence de parasitage du rythme microcosmique celui-ci va être en harmonie avec le macrocosme. Ce qui vient perturber le rythme microcosmique naturel sont les souffles perturbateurs, les souffles des passions, les souffles dualistes. En l’absence de ces éléments parasites l’harmonisation se fait naturellement.

Nos souffles et la manière dont nous respirons sont alors, dans cette perspective, révélateurs de nos blocages. Les maladies physiques et les blocages de nature psychologique ou spirituel naissent des souffles et se traduisent aussi par l’état de notre souffle extérieur, notre respiration.

Il y a donc une harmonie fondamentale entre la pulsation macrocosmique et la pulsation microcosmique qui là aussi vient de ce que l’un procède de l’autre. Ce n’est que secondairement qu’arrivent des interférences qui sont celles de l’esprit, cette fois-ci au sens du mental, de l’esprit conceptuel.

Le principe de ces correspondances est simplement la continuité de la vie ou la continuité de l’esprit ; toute expérience étant la manifestation de l’esprit qui reproduit sa structure.

En fait la structure de l’esprit et la structure de l’expérience ne sont pas deux choses séparées. En d’autres termes on peut dire aussi que la structure de l’esprit, la structure du monde extérieur et du monde intérieur sont en continuité dans une procession analogique.

Donc il y a une correspondance entre le corps vajra, c’est-à-dire le corps fait de canaux, souffles et bindu, le corps grossier et notre expérience du monde extérieur.

L’opération de la pratique, du cheminement est une transformation ou une transmutation des souffles de la conscience dualiste en souffles d’immédiateté, en expérience d’immédiateté. C’est le passage de vijnana à jnana mais en terme de souffles. Ces souffles d’immédiateté, jnana, sont souffle-esprit éveillé et c’est aussi la nature de Bouddha. C’est le « fondement de l’intelligence immédiate » qui est la base pure de toute expérience et, qui, méconnue, devient l’Alaya-Vijnana, la base de toute la confusion.

La pratique de la méditation, de la non-fixation, de la vigilance, arrête les interférences, les brouillages, les facteurs de disharmonie et en l’absence de ces facteurs s’établit naturellement un équilibre harmonique qui est la vie qui se vit en elle-même sans interférence. C’est la réincorporation : l’incorporation dans les trois corps, c’est faire corps avec les trois corps.

 

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