Kalachakra – Mandala Extérieur, Mandala Intérieur

Sylvie Crossman – Jean Pierre Barou

« L’initiation de Kalachakra est l’une des plus importantes du bouddhisme car elle prend tout en compte : le corps et l’esprit humain, l’aspect extérieur total – cosmique et astrologique. Par sa pratique complète, il est possible de réaliser l’Éveil en une seule vie.
Nous croyons fermement en son pouvoir de réduire les tensions, nous l’estimons apte à créer la paix, la paix de l’esprit et par conséquent la paix dans le monde. »
(Tenzin Gyamtso, XIVe Dalaï Lama, 1993.)

Le mandala est le miroir du cosmos, non seulement dans sa forme extérieure, il est aussi le miroir d’un autre microcosme : l’homme. Le mandala repose sur la présomption de relations très étroites entre l’univers, le cercle mandalique lui-même et l’être humain.

Ainsi va la sagesse de la tradition Kalachakra : la répétition à l’infini des structures oscillant sans cesse du macrocosme vers le microcosme et vice-versa.

Analogie entre l’homme et le cosmos

La théorie des relations structurelles entre les choses, voire leur interaction, particulièrement entre l’univers, le mandala et le corps humain, fait l’objet d’un développement très élaboré dans le Tantra de Kalachakra.

Le tantra de Kalachakra ou « tantra de la Roue du temps », parle de trois plans étroitement imbriqués les uns dans les autres : le plan extérieur, le plan intérieur et le plan alternatif ou « l’autre Roue du temps ». La Roue du temps extérieure se compose des manifestations extérieures de tout l’environnement humain, c’est à dire de l’univers avec ses disques d’éléments, du Mont Mérou*, des vents. Le Kalachakra intérieur est constitué par ceux qui vivent dans cet environnement : les hommes. Ils correspondent très exactement à la roue du temps extérieure, dans leur structure, leur construction et leur périodicité intérieures. Le Kalachakra alternatif enfin est l’enseignement de ces analogies et de ces corrélations ainsi que des pratiques qui en découlent : le yoga. On se sert simultanément des forces de la Roue du temps intérieure et de celle de la Roue du temps extérieure, au lieu de les opposer.

Le Kalachakra extérieur et le Kalachakra intérieur concordent en bien des points. La forme de la tête* que l’on remarque dans la partie supérieure du cosmos selon Kalachakra ressemble à s’y méprendre à une tête humaine.

Si on projette l’image d’un homme sur une représentation de l’univers Kalachakra, on constate que le mont Mérou se superpose à la colonne vertébrale humaine. Quant aux pistes des vents, les orbites des étoiles et des planètes, elles correspondent aux souffles qui circulent dans le torse humain, et qui, selon le tantrisme et le rituel du mandala, doivent être sans cesse purifiés et contrôlés.

D’autres corrélations existent entre le corps humain et la mandala de Kalachakra. Si on projette l’image d’un homme sur la représentation graphique d’un palais – soit la partie centrale dans un mandala de Kalachakra –, la partie inférieure du palais, le mandala du corps, correspond aux jambes, la partie médiane, mandala de la parole, à la poitrine (surtout aux poumons et au thorax) et le mandala de l’esprit correspond à la tête. De plus, on voit distinctement que la distance entre les deux épaules est en corrélation avec l’envergure de la sphère de l’esprit, la distance entre les coudes est en corrélation avec la sphère de la parole, et la distance entre le bout des doigts à droite et le bout des doigts à gauche est en corrélation avec la sphère du corps. Il est particulièrement important de souligner que le point entre les deux sourcils – qui peut jouer un rôle essentiel dans certains exercices de méditation – correspond très exactement au centre du mandala de l’esprit. Il s’agit de l’endroit où résident les plus hautes déités du mandala : Kalachakra et Vishvamata.

D’autres analogies apparaissent quand on superpose l’image de l’univers et celle du palais dans le mandala. Les quatre disques des éléments (le cinquième élément, l’éther, n’apparaît pas) correspondent au mandala du corps ; le mont Mérou et les autres vents qui tournent autour de lui ainsi que les planètes correspondent au mandala de la parole ; la « tête cosmique » avec les cieux, enfin, correspond au mandala de l’esprit.

La même chose est valable pour le disque inférieur du cosmos (air) et le mandala du corps, pour le disque de feu et socle du mandala du corps, pour le disque de l’eau et le mandala de la parole, alors que le disque de la terre correspond au mandala de l’esprit. Le diamètre supérieur du mont Mérou, enfin correspond à la largeur intérieure du mandala de l’esprit.

L’homme comme Mandala

L’univers et le corps humain sont en totale correspondance dans la tradition de Kalachakra. Non seulement extérieurement, dans leur constitution, mais aussi sur d’autres plans. Le palais dans le mandala se compose de plusieurs niveaux : le niveau du corps, de la parole et de l’esprit. Ce dernier niveau est lui-même subdivisé en deux. Cette structure est aussi celle de l’homme.

Le Corps

Pour les bouddhistes, le corps de chaque individu est composé de cinq agrégats (skandha) éphémères qui sont eux-mêmes en corrélation. Ce sont : l’agrégat de la forme, l’agrégat des sensations, l’agrégat des perceptions, l’agrégat des formations mentales ainsi que l’agrégat de la conscience. La tradition Kalachakra rajoute un skandha supplémentaire : l’agrégat de la sagesse. En outre on cite, parmi les constituants de l’homme, les cinq éléments : l’éther, l’air, le feu, l’eau, la terre, ajoutant quelquefois un sixième élément : la connaissance infinie. Les agrégats, comme les éléments, appartiennent au niveau du corps. Dans le mandala de Kalachakra et dans les initiations liées à cette tradition, les agrégats et les éléments, désignés par des symboles et orientés selon les quatre points cardinaux, révèlent que le corps humain peut être considéré comme un mandala en soi.

La Parole

Selon la conception tantrique, l’homme serait parcouru par 72000 canaux invisibles (nadi, rtsa) et par des souffles chargés d’énergie (prana, rlung). Les souffles et les canaux chargés d’énergie comptent parmi les composantes essentielles d’un homme sur le plan de la parole. Deux des trois canaux principaux se trouvent à droite et à gauche de la colonne vertébrale et le troisième, celui du milieu, légèrement en avant de cette colonne. Le canal central (ouma) passe par les parties génitales, par le milieu du corps jusqu’au sommet de la tête où il se courbe légèrement vers l’avant pour finir entre les yeux. Le canal de gauche, ou canal blanc (kyangma) s’étend de la narine gauche jusqu’à une largeur de doigt en deçà du bout inférieur du canal central, tandis que le canal de droite ou canal rouge (roma), part de la même façon de la narine droite et descend à travers le corps. Le canal de gauche est en rapport avec la lune, le canal de droite avec le soleil.

A certains endroits du nadi central se trouvent les six chakra, appelés aussi “ fleurs de lotus ” (padma). Chacun de ces centres énergétiques se trouve, selon la tradition Kalachakra, au même niveau que les organes sexuels, le nombril, le cœur, la gorge, le front et le sommet de la tête. Les chakra sont généralement représentés par des fleurs de lotus. Le nombre de pétales de la fleur dépend des canaux d’énergie qui débouchent dans le chakra correspondant.

Le canal du souffle situé à gauche s’enroule autour du canal central, dans le sens des aiguilles d’une montre et à hauteur des chakra ; le canal du souffle situé à droite fait de même, mais dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Ceci entrave sérieusement la libre circulation des souffles mais ne l’empêche pas tout à fait, selon la tradition Kalachakra. Si on suit les descriptions laissées par le premier Dalaï Lama, les trois canaux principaux semblent former en eux-mêmes un mandala et se décomposent en deux catégories : une catégorie supérieure, allant du nombril au sommet de la tête et une catégorie inférieure, allant du nombril jusqu’aux organes sexuels. Si on respecte les couleurs mentionnées par le premier Dalaï Lama, on obtient un dessin qui prouve que dans le bouddhisme tantrique même le corps humain et ses différentes parties sont considérées comme un mandala en soi. (…)

Dans le bouddhisme tantrique les vents ou souffles, considérés comme des causes de la vie, contiennent aussi la semence de l’Eveil. C’est pour cette raison que le rituel du mandala insiste sur la signification des vents, sur leur purification et sur leur utilisation positive pour atteindre l’Eveil.

Selon le système Kalachakra, l’être humain comporte dix souffles essentiels qui sont en corrélation avec les éléments et les points cardinaux et qui sont disposés dans le corps humain d’après l’ordre du mandala.

Les concordances entre monde extérieur (univers) et monde intérieur (homme) vont bien plus loin : les douze cercles respiratoires accomplis en vingt-quatre heures de la vie humaine correspondent aux douze mois de l’année. De même qu’il existe des mois où les jours augmentent, c’est-à-dire deviennent plus longs, et des mois où les jours diminuent, il existe selon la conception tantrique, des changements de rythme identiques dans les mouvements respiratoires au cours d’une même journée, la respiration passe avant tout dans la narine droite, puis dans la deuxième moitié, surtout dans la narine gauche. De cette manière, l’air respiré pénètre tantôt dans le canal d’énergie situé à droite – soit celui en corrélation avec le Soleil –, tantôt dans celui de gauche, en corrélation avec la Lune.

Outre les actions intérieures, les vents déclenchent aussi des actions extérieures. Tandis que les vents extérieurs se forment à partir du karma collectif, les souffles intérieurs se forment à partir du karma individuel. Les dix vents principaux qui circulent à travers les vingt-sept constellations dans le canal droit ou le canal gauche correspondent dans le Kalachakra extérieur aux vents qui soufflent autour du mont Mérou, là où les dix planètes traversent les vingt-sept constellations des zodiaques du nord et du sud.

L’Esprit

Selon le bouddhisme tantrique, l’homme ne possède pas seulement un corps et une parole, il possède aussi d’autres facultés, celles de l’esprit : six sens ainsi que six objets des sens, six facultés pour des actions diverses et six actions auxquelles correspondent des instruments rituels et qui à leur tour peuvent former un mandala. Il existe enfin un quatrième domaine de l’esprit, un « sur-esprit » : c’est celui de la « Félicité Suprême » et de la « Conscience primordiale ».

Martin Brauen

Un palais, cinq niveaux

La roue du temps est un palais divin où résident sept cent vingt-deux déités. Tout au cœur, sur une fleur de lotus, un Bouddha : Kalachakra.

Ce palais compte cinq étages, matérialisés par cinq carrés imbriqués les uns dans les autres. Cinq mandalas, en vérité, ou supports d’instruction et de méditation : le mandala du corps, le mandala de la parole, le mandala de l’esprit, le mandala de la conscience primordiale, enfin au centre, avec son lotus, le mandala de la « félicité suprême », but de ce parcours initiatique.

Ce palais s’inscrit dans l’univers : les six grands cercles extérieurs.

Si la tradition tibétaine accorde une place à part à cette roue du temps, c’est justement parce qu’elle prend tout en compte et met l’accent sur les correspondances reliant l’être humain au monde extérieur. On parle d’ailleurs de Kalachakra externe – l’astronomie, l’astrologie, les mathématiques -, de Kalachakra interne – la structure du corps humain, son système d’énergies – et de Kalachakra alternatif – l’étude et la pratique menant de l’état ordinaire à l’état de Bouddha.

Faire un Kalachakra, c’est favoriser la paix en chacun et sur terre.

Les couleurs renvoient aux quatre points cardinaux : noir, l’est ; rouge, le sud ; jaune, l’ouest ; blanc, le nord. Un cinquième, le vert, rythme cette figure qui, même réalisée sur une surface plane avec des poudres colorées, reste une figure en trois dimensions ; ainsi, le cœur de la fleur de lotus, tout au centre, est-il constitué par cinq couches de couleurs superposées qui coïncident avec les cinq niveaux de ce palais.

Un vajra bleu, sur le cœur, représente Kalachakra, le vajra – ou « diamant », ou « foudre ».

L’enseignement du Kalachakra a toujours lieu à la pleine lune. Empreints de compassion et guidés par un maître, les pratiquants pénètrent peu à peu mentalement dans ce palais en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre et après s’être présentés à la porte Est du mandala du corps.

Atteindre la chambre centrale, c’est rejoindre Kalachakra – qui lui, a accompli ce parcours avec succès –, tenant dans ses bras Vishvamata, sa partenaire féminine. Un point jaune-orangé, à droite du vajra bleu, la représente. Dans la cosmologie tibétaine, Kalachakra s’apparente à la Lune, Vishvamata au Soleil ; leur étreinte symbolise l’union de la compassion et de la sagesse absolue dans laquelle le pratiquant doit se dissoudre pour renaître, purifié, au-delà du monde des phénomènes, forme vide, immuable, essence pure.

On dit qu’un simple coup d’œil jeté sur le mandala de Kalachakra peut semer des « graines » dans le mental du spectateur, lesquelles mûriront et se révéleront positives.

Mais ne dit-on pas, aussi, que l’éclat de ce mandala est cent fois supérieur à celui du Soleil ?

* Ce qu’on peut noter, à propos de la conception du monde selon Kalachakra, c’est que l’univers, au-delà du Mont Mérou, prend la forme d’une tête invisible à nos yeux humains. Une tête avec un cou, un menton, un nez, un front et une proéminence en forme de cheveux noués ensemble. Dans cette tête invisible au regard humain sont contenus vingt-quatre des cieux de l’univers Kalachakra : une manière d’exprimer qu’il existe une relation particulière entre la silhouette d’un homme et celle d’une déité.

Extrait de Tibet, la roue du Temps © Ed. Actes Sud

 

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