La Terre de la Confiance

Nèldjorma Wangmo

Comment s’établir dans la confiance ?
La pratique assise est la découverte de cette terre qu’est la confiance.
Bien posé, bien ancré sur le coussin,
nous nous adressons à la totalité de ce que nous sommes.
S’asseoir est déjà un acte de confiance en ce sens que nous cessons d’être coupé :
d’un côté le corps, de l’autre l’esprit.
Ici nous entrons en présence du corps-esprit,
dans une expérience sensitive et vigilante qui est celle de l’attention au souffle.
Bien ancré sur la terre du coussin, nous pouvons accomplir cet abandon,
cette ouverture à l’ici sans rien attendre, sans rien espérer, sans rien craindre.

Habituellement ce que nous appelons confiance est une « confiance de conditions » reposant sur des attentes et donc inévitablement amenant des déceptions. Que l’on attende de l’autre ou de la situation, finalement nous sommes surtout dépendant de notre attente. Ce n’est pas ce que nous entendons par confiance. Ici il s’agirait plutôt d’une confiance en rien, en rien de particulier, c’est-à-dire en tous possibles, en tous les possibles que nous propose la vie, en tous les visages qu’elle peut prendre, y compris celui des Trois Joyaux vers lesquels nous nous tournons, en lesquels nous prenons refuge, Bouddha, Dharma et sangha.

La nature de Bouddha n’ayant pas de formes peut prendre toutes les formes. La véritable confiance n’est pas d’avoir des garanties même du Bouddha mais de lâcher toute garantie et dans le geste de lâcher trouver le seul appui qui soit. Il ne tient qu’à nous de faire l’expérience de cet appui du non-appui qui est représenté par notre coussin. Nous nous asseyons et par ce geste d’une simplicité extrême nous retrouvons nos vraies racines, nous entrons en contact avec la vie en nous, le souffle. Nous affirmons notre nature de Bouddha spontanément par la posture, par l’union mille et une fois répétée : le corps et l’esprit s’assoient ensemble.

La pratique assise est le cœur de la voie, mais pratique assise ne signifie pas de considérer un lieu particulier, des conditions spéciales. La pratique assise concerne aussi toutes nos actions, tous nos mouvements, tout ce que nous faisons dans l’assise intérieure, dans cette stabilité de la vraie confiance.

Ainsi nous apprenons sur le coussin comment laisser se dissoudre les tensions, les fixations pour qu’en toutes situations, celles de la vie quotidienne, nous soyons dans l’assise sans être déstabilisé par nos émotions ni emporté par l’événement.

Trouver son assise intérieure commence par l’acte de s’asseoir. Plutôt que de fuir ou d’être dérangé par notre propre négativité, par l’ombre qui est en nous, nous acceptons de l’accueillir, nous acceptons de nous y ouvrir et ainsi de découvrir les ressources dont nous disposons : celle d’être vivant, de notre capacité à sentir et ressentir, celle du souffle qui comme un fil nous relie à la présence de l’instant. Entrer en amitié avec soi c’est entrer en la confiance de ses ressources indépendamment de ce que nous croyons être, indépendamment de nos échecs et de nos blessures. Retrouver la véritable confiance c’est d’abord comprendre que ce que nous appelons habituellement confiance est un terrain miné par la peur, le doute et l’attente. Tant que nous avons confiance en quelque chose qui nous est autre, nous sommes en une position fondamentalement insécurisante.

Tant que nous refusons ce qui est, tant que nous voulons que les choses soient autrement que ce qu’elles sont, alors nous sommes dans ce processus duel qui nous rend étranger à nous-même et fait de tout autre l’élément angoissant et déstabilisant.

La confiance est l’acte qui relie. A quoi ? A rien et donc à tout. C’est­ ­l’acte qui abolit le sentiment de séparation, l’appréhension dualiste de moi et des autres. L’enfant qui accepte de quitter les bras de sa mère pour d’autres bras, celui-là a suffisamment de confiance, a reçu suffisamment de cet amour inconditionné qui est source de la vraie confiance. Un amour d’ouverture, sans attente et sans crainte, sans calcul ni jugement, sans intention, c’est l’expression même de la vie, de la Grande Mère, mère de tous les Bouddhas.

Par une compréhension juste, nous pouvons entrer dans une expérience juste. Car la confiance est avant tout un fait très concret et très présent au quotidien, rien que nous ne fassions qui ne suppose implicitement ou explicitement une bonne dose de confiance. Par la pratique il s’agit d’expérimenter l’ouverture qu’est la confiance, et dans cette ouverture, la sensitivité qui en est l’énergie. En effet qui peut dans sa vie réussir sans confiance ? Lorsque l’on cède à la peur, au doute, on est méfiant, divisé et non plus dans l’union, dans la reliaison à ce que nous sommes.

Seule l’expérience peut nous mettre en contact direct avec la confiance dont nous parle l’enseignement. Certes l’exemple des Anciens, du Bouddha lui-même ou de Milarépa nous permet d’expérimenter ce que traditionnellement on appelle la «confiance de l’inspiration ». Les biographies des êtres réalisés nous racontent l’histoire de leurs difficultés, de leur motivation, pour tout dire, de leur humanité et c’est ce qui nous touche. Etant touchés par ces récits, nous nous sentons proche en tant qu’être humain du Bouddha ou de Milarépa. Nous pouvons par le suivi de leurs pérégrinations rentrer au coeur de nous-même, rentrer chez nous, trouver la voie, en avoir l’inspiration, retrouver la source de leur souffle et de leur courage.

C’est ainsi que nous acceptons de faire l’expérience millénaire que d’autres ont fait avant nous et dont ils sont les témoins vivants, cette expérience est celle de l’assise et de la respiration ; étant inspirés nous sommes aspirés. C’est la « confiance de l’aspiration » : nous entendons parler des qualités de l’éveil et cela éveille en nous une énergie, celle de notre vraie nature qui aspire à se connaître elle-même.

Par la pratique régulière ainsi que par la compréhension et l’expérience justes, il est possible de développer «la confiance de la certitude » : compréhension et expérience ne sont plus séparées mais deviennent une seule et même intelligence, une intelligence directe, immédiate, a-conceptuelle.

Mais avant d’accéder à cette intelligence, et une fois que nous avons compris le vrai sens de la confiance, celui d’une confiance qui nous relie à ce qui est, amour inconditionné, sensitivité dans l’ouverture, nous nous apercevons qu’essentiellement nous manquons d’amour, que nous sommes pauvres, que nous vivons dans l’attente. Par rapport à cette attitude de pauvreté, l’enseignement du Bouddha met l’accent sur les souhaits du cœur, le souhait du cœur ultime étant que tous les êtres s’éveillent.

Chaque pratique et en général toute action positive que nous faisons, nous les dédions, dédicaçons à tous les êtres, nous en distribuons les bénéfices, nous dépossédant ainsi de l’habitude à accaparer ce qui est bon sans nous soucier d’autrui. La pratique des souhaits ainsi répétée est magique, au sens où elle dissout l’illusion d’un moi solide et révèle dans cette dissolution la nature même de la réalité habituellement voilée et déformée. Ainsi le crapaud des contes de fées devient-il prince charmant parce qu’il l’a toujours été, que c’est là sa véritable nature, même si un enchantement illusoire nous fait percevoir momentanément le contraire. Si ce n’était déjà le cas alors comment la transformation serait-elle possible ?

Ainsi, en récitant des souhaits et en exprimant la profonde impression de notre cœur, y accédons-nous comme par miracle. Le miracle étant juste de dissoudre les voiles pour qu’apparaisse la vraie nature de la réalité, pour qu’opère l’alchimie du souhait.

Cheminer sur une voie est déjà le résultat d’une forme de confiance. Nous sommes ouvert à l’expérience et acceptons de la faire, de tester par nous-même mais cela n’exclut pas, bien sûr, que nous ayons encore des doutes.

L’expérience de la confiance est une expérience qui s’approfondit dans la pratique assise directement et dans la pratique des souhaits souterrainement. Si nous sommes vigilant à entretenir cette discipline des souhaits, alors lorsque nous rencontrerons des moments difficiles sur la voie, des nuits obscures, la richesse et la magie des souhaits nous permettront d’avoir la patience de faire la traversée du désert.

En acceptant de nous asseoir et, quelles que soient les circonstances, d’entrer en amitié avec ce que nous sommes, nous développons une véritable stabilité, une vraie force qui ne dépendent pas de conditions extérieures ou imaginaires mais d’une présence à ce qui est.

Nèldjorma Wangmo

Philosophe de formation, Nèldjorma Wangmo est disciple de Lama Denys Teundroup et a accompli la traditionnelle retraite de trois ans. Elle enseigne aujourd’hui régulièrement dans un langage claire et simple, rendant ainsi la profondeur de l’enseignement accessible à tout un chacun.

 

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