La foi est absolue tranquillité

Dainin Katagiri

Vous ne pouvez pas faire de différence entre vous et la foi, entre vous et Zazen.
On ne sait ni qui est assis ni ce qui se passe, ni ce qui devrait être connu et par qui. C’est juste comme un poisson qui nage dans l’eau.
L’eau ne fait qu’un avec le poisson aussi le poisson est-il l’eau et l’eau le poisson.
Sans eau le poisson ne peut nager.
Il est très difficile d’expliquer exactement cet état d’unité.
C’est un mouvement dynamique entre l’eau et le poisson.
C’est la même chose pour la foi, la foi tout entière comme corps…

Dôgen Zenji dit que seul celui qui a la vraie foi peut pénétrer la vérité ou le Dharma du Bouddha. Il utilise l’expression « la foi tout entière comme corps », ce qui veut dire que votre corps et votre esprit tout entiers sont exactement la foi.

La foi n’est pas avidité spirituelle, elle est libre d’elle-même comme des autres, ce n’est pas un chose donnée par quelqu’un ; ce n’est pas une chose qui vient de vous. D’où vient la foi ? Qu’est-ce que la foi ? La foi n’appelle aucun commentaire. En japonais la foi se dit jakujo, absolue tranquillité. Jaku veut dire qu’il n’y a personne avec qui discuter ; jo veut dire sérénité ou imperturbabilité. L’imperturbabilité est quelque chose qui s’insinue dans chaque recoin de la vie quotidienne, de la racine des cheveux jusqu’aux bouts des orteils. La sérénité est quelque chose de vivant, c’est un état dans lequel la vie humaine est toujours prête à s’adapter à toutes les circonstances puis à agir. Mais s’adapter à toutes les circonstances et agir, ce n’est pas agir de manière téméraire. Si notre tête n’est pas imperturbable, nous ne pouvons pas être prêts à l’action. Si le moindre bout d’orteil est dans la confusion, nous ne pouvons pas être prêts. Aussi notre corps tout entier doit être imperturbable et tranquille. Il faut en avoir clairement conscience.

Selon Dôgen, rien ne peut nous persuader ni nous pousser ni nous forcer à créer la foi. La foi signifie absolue tranquillité et l’absolue tranquillité est la source de notre nature et de notre existence. Il n’est pas nécessaire de parler de tranquillité ou de non-tranquillité ni dans notre vie ni dans notre Zazen. Chacun est déjà parfaitement tranquille. (…)

Nous devons toujours rester conscients que notre nature originelle est parfaitement tranquille, parce que la vie quotidienne nous accapare tellement que nous pourrions l’oublier ou l’ignorer…

Nous devons avoir confiance en cette tranquillité, rester proche de la nature originelle de la tranquillité. Alors nous devenons capables d’améliorer considérablement notre pratique de la tranquillité. Si nous nous conduisons de manière à laisser surgir l’imperturbabilité, elle apparaît réellement. Si nous ne nous comportons pas ainsi, nous n’avons aucune chance de prendre conscience que nous possédons déjà cette imperturbabilité. Zazen c’est ajuster exactement notre corps et notre esprit à l’imperturbabilité, de sorte que celle-ci jaillisse naturellement. Zazen est absolument identique à la nature originelle de l’existence qui est appelée tranquillité, imperturbabilité. (…)

Tranquillité ne veut pas dire inactivité. En d’autres termes ce n’est pas quelque chose que l’on peut conserver en se tenant loin de la société des hommes ; ce doit être quelque chose de vivant dans notre vie. Si nous nous isolons complètement de la société des hommes, où que nous puissions aller, notre vie ne fonctionne pas. S’en aller vivre au cœur de la montagne semble un moyen de gagner la tranquillité. Là il nous semble que nous pouvons maîtriser les choses et les circonstances à notre gré, mais en réalité il n’en est rien. Si la tranquillité dont nous jouissons ne s’exprime pas dans notre vie de tous les jours, ce n’est qu’une tranquillité isolée, un forme limitée de tranquillité. Par conséquent elle se traduit par l’impossibilité de la partager. Nous ne voulons que la garder pour nous-mêmes parce qu’elle nous est agréable. Quand nous restons à la maison nous trouvons cela agréable parce que personne ne vient nous interrompre. Mais c’est juste comme une grenouille qui nage dans une petite fontaine. Ce n’est pas la condition réelle de la vie humaine. La tranquillité doit reposer sur l’inconditionné ; l’inconditionné est pureté, joie, paix ; une vie quotidienne pure mais également exempte de régression. Non-régression, ou non-retrait, veulent dire parfaite stabilité ou sécurité religieuse.

Aussi où que nous nous trouvions la tranquillité doit s’appuyer sur l’inconditionné. Alors notre vie porte l’empreinte de l’univers et pas seulement du petit moi. Si notre vie porte l’empreinte du petit moi, nous ne pouvons pas connaître la tranquillité et, très naturellement, nous sommes irrités et sans repos. Nous voulons faire plein de choses nouvelles. C’est amusant mais cela ne fait pas disparaître le sentiment d’irritation et d’agitation. Ce n’est pas la foi. Ce n’est ni soulagement religieux ni certitude religieuse.

Soulagement et certitude signifient non-régression ; où que nous puissions aller rien ne peut nous faire renoncer. La foi est omniprésente. Il est alors très naturel de pouvoir comprendre ce qu’est la vie humaine.

Dans le bouddhisme, la foi consiste à avoir confiance en la parfaite tranquillité, ce qui veut dire confiance en quelque chose de plus vaste que notre capacité à conceptualiser. Nous développons graduellement cette foi en écoutant et en pratiquant les enseignements du Bouddha. Ainsi en premier lieu y a-t-il la confiance.

Mais il ne s’agit pas d’avoir confiance sans rien faire.

Que doit-on faire ? Écouter, contempler et pratiquer l’enseignement du Bouddha.

C’est la vraie manifestation de l’honnêteté. Si, par exemple, nous avons confiance en quelqu’un, nous l’exprimons d’une manière concrète en faisant gassho, en nous inclinant, en ouvrant notre cœur ou en parlant. Nous pouvons dire notre souffrance à celui en qui nous avons vraiment confiance. Ainsi ne s’agit-il pas seulement de faire confiance à quelqu’un de manière abstraite mais de lui manifester pratiquement cette confiance. C’est la vraie tranquillité et elle jaillit comme une source de la terre parce qu’elle est déjà présente souterrainement en nous, que nous en soyons conscients ou non.

Si nous avons confiance en cette tranquillité, si nous la pratiquons elle vivifie notre vie qui devient très naturellement joyeuse et paisible ; nous pouvons partager notre vie avec les autres parce que nous savons comment vivre avec eux. Nous ressentons alors intensément certitude et soulagement, où que nous allions. Parfois, pourtant, quand nous regardons le monde humain et les quantités de misérables événements qui s’y produisent, nous sommes tentés de nous demander à quoi bon pratiquer pour fonder un monde de paix. Cela nous parait inutile.

Mais le résultat immédiat de cette question c’est que nous perdons notre tranquillité. Nous ne devons pas perdre cette tranquillité au milieu du monde. Nous devons rester tranquille et partager notre vie avec les autres. Nous ne devons pas nous retirer du monde, mais écouter, contempler et pratiquer sans cesse l’enseignement du Bouddha. Finalement nous pouvons toucher le cœur de la vie humaine. Nous devons seulement faire un signe de tête et dire « Oui, c’est bien. » Alors la compréhension jaillit de notre cœur et ne peut que nous aider à aimer tous les êtres.

C’est la foi.

C’est exprimer à quel point on apprécie la vie humaine et transmettre cette vision aux générations futures.

Avoir confiance, qu’est-ce que cela veut dire ? Écoutez l’enseignement du Bouddha. Mettez tout votre cœur à vivre en paix et en harmonie avec tous les êtres. Quand vous faites Zazen, faites zazen. Quand vous faites zazen, faites-le de tout votre cœur, parce que l’occasion vous en est offerte. C’est l’univers, nous devons nous jeter dans l’univers. Alors très naturellement magnanimité, compassion et illumination jailliront.

Si nous ne le faisons pas, comment vivre en paix et en harmonie avec nos semblables ?

C’est impossible…

Extrait de Retour au Silence de Dainin Katagiri © Ed. Du Seuil – Coll. Points Sagesses

Dainin Katagiri

Né à Osaka en 1928. Après trois ans de formation monastique sous la direction du roshi Eko Hashimoto, au monastère de Eiheiji, il a suivi des cours à l’université de Komazawa. Il séjourne aux Etats Unis à partir de 1963, d’abord à Los Angeles puis au centre Zen de San Francisco où il est l’assistant du roshi Shunryu Suzuki. En 1972 il devient le premier abbé du Centre de méditation Zen du Minnesota, ainsi que du lieu de retraite spirituelle, Hokyoji.

 

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