Entretien avec Namkhai Norbou Rinpoché

Nous avons suivi une retraite de cinq jours, du 14 au 19 juillet, en Italie près d’Arcidosso à Mérigar, le centre de Namkhai Norbou Rinpoché, un grand maître de la tradition Dzogchen. Nous avons pu assister et participer aux chants et danses vajra, aux gana puja. Parmi une assemblée de quatre cent personnes venues du monde entier, Rinpoché a dispensé enseignements et bénédictions, et dans une ambiance pleine de joie et de solidarité, il a lui-même présidé une loterie aux bénéfices des différentes associations qu’il parraine.

Nous avons passé un excellent séjour dans cet endroit spacieux au ciel découvert et changeant ; les repas et le vin furent généreux, l’accueil chaleureux, aussi nous remercions l’ensemble de la communauté Dzogchen et nous espérons que nos futurs échanges seront fructueux.

Malgré un emploi du temps chargé, de nombreuses sollicitations, Rinpoché a eu la gentillesse de nous accorder un entretien pour la revue Dharma. Nous le remercions encore vivement pour ses enseignements et nous renouvelons nos souhaits de l’accueillir bientôt en France.

Question : Rinpoché, qu’appelle-t-on la qualité spacieuse de l’esprit?

– Namkhai Norbou Rinpoché : La qualité spacieuse de l’esprit est ce que l’on appelle la dimension de l’esprit. Cela signifie la dimension du monde parce que l’esprit correspond à notre existence, à notre condition dans son ensemble.

Ainsi, par exemple, que nous éprouvions quelque chose de bon ou que nous soyons dans un état confus, tous les problèmes qui apparaissent naissent en fait des attitudes de l’esprit.

Ce que l’on appelle dimension est, en général, réduit à la dimension extérieure, c’est-à-dire la situation globale des individus, leur situation et conditions. Mais si nous parlons plus particulièrement au niveau de chaque individu, alors cette dimension individuelle et extérieure devient le corps physique, celui qui définit les limites pour chacun d’entre nous.

Dans l’expérience des grands pratiquants, l’intégration est essentielle et alors dans ce cas nous pouvons affirmer qu’ils vont au-delà de cette dimension et de ses limitations, au-delà de toutes formes de limitations, telles qu’« extérieur » ou « intérieur » ; ces discriminations deviennent égales.

Dans quelle mesure le positionnement du regard peut nous aider à faire l’expérience de l’espace?

– Cela dépend si vous êtes en train de regarder ou de vous fixer sur quelque chose.

Par exemple, si vous regardez dans l’espace, le ciel représente l’immensité et la vacuité, et vous pouvez ainsi en avoir une certaine expérience.

Mais si vous vous fixez sur un objet, peut-être rendrez-vous votre esprit immobile ou libre de pensées, mais vous serez toujours concentré, focalisé sur cet objet, et dans ce cas votre expérience sera différente.

Dans les pratiques Dzogchen, on utilise beaucoup la lettre A et sa récitation, quelles sont les qualités de la lettre A ?

– Cette lettre représente la racine de tous les sons. Par exemple, dans l’alphabet occidental, on commence aussi par A, dans ABCD etc. C’est un peu comme un son tissé dans toutes les dimensions, toutes les conditions.

C’est pourquoi nous considérons que le A représente quelque chose comme la nature ou la condition réelle de tout dharma, de tout phénomène.

C’est pour cette raison que nous l’utilisons dans notre pratique ; cela n’existe pas seulement dans le Dzogchen traditionnel : il y en a aussi une explication dans un sutra, où A est considéré comme le symbole de la Prajñaparamita.

Parmi les retraites de la tradition Dzogchen, certaines sont faites dans le noir, quelle est leur utilité ?

– Il s’agit pour un individu qui fait une telle pratique d’expérimenter sa nature réelle, comment celle-ci se manifeste.

En général, nous vivons dans la confusion. Nous sommes toujours conditionnés par la vision dualiste. En particulier, nos sens se fixent sur le sujet et l’objet et nous les suivons. Tandis que si nous vivons dans le noir, il n’y a pas une telle vision et nous pouvons facilement expérimenter comment le sujet et l’objet se divisent en intérieur et extérieur.

Et puis il n’y a pas de lumière, juste le noir et encore le noir.

Habituellement, nous considérons le noir comme une sorte de dimension contraire à la vie, mais dans notre véritable nature, la lumière n’est pas seulement la lumière extérieure, elle existe aussi dans notre esprit.

C’est pourquoi, quand nous pratiquons ou faisons quelque chose dans l’obscurité, l’opportunité nous est offerte de faire cette expérience de la lumière intérieure. C’est là l’objectif essentiel de ces retraites dans le noir.

Propos recueillis par Lama Wangmo et Tchaméla.

 

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