La nature de l’univers

Rigdzin Shikpo

L’idée de l’immensité du cosmos et de ses galaxies et l’idée de l’immensité du monde des atomes nous sont très familières. Nous pouvons accepter l’immensité des microcosmes et des macrocosmes, non pas parce que nous en avons une expérience personnelle mais à cause de l’énorme charisme que la science détient à notre époque.

Qui serions-nous pour nier ce que la science confirme ?

Nous ne ressentons pourtant pas réellement la relation entre cette immensité cosmique et notre vie personnelle actuelle. Nous n’avons pas l’impression d’être des participants très signifiants dans cette immense histoire de l’univers. Peut-être pouvons-nous avoir un effet limité sur lui en utilisant notre corps pour déplacer physiquement quelques objets ou en utilisant notre esprit pour en concevoir l’immensité, mais c’est tout.

Cependant plus que jamais les scientifiques commencent à reconnaître que la façon dont l’observateur regarde l’univers affecte la manière dont le monde se manifeste. Mais la notion qu’en effet notre esprit, en tant que distinct du corps, peut directement affecter l’univers, tel que le changer, le créer ou le détruire est étrangère au monde scientifique. Étant donné que nous considérons l’univers comme comprenant tout, et les qualités de conscience – joie et amour – de notre cœur et de notre esprit comme étant une partie infime de cet univers, cela semble logique de penser qu’à la mort, quand le corps disparaît, nous disparaissons de la scène et n’avons plus aucun effet sur l’univers. L’immensité de l’univers accentue le manque d’importance que nous y avons. En fait, si nous y réfléchissons trop, cela pourrait miner l’impression que nous avons de notre valeur humaine.

Ainsi, notre société éprouve un profond sentiment de déconnexion entre l’univers et l’homme. (…)

Si l’on se réfère à la perspective mahayana, un individu n’est pas seulement un corps physique avec un esprit plus ou moins efficace mais est une personne, une présence vivante qui s’interpénètre avec l’ensemble de l’univers.

En ce qui concerne l’univers, la pensée du mahayana est incomparablement plus large que la vision scientifique de l’espace et du temps. Surtout lorsque l’on considère que l’immensité possède une qualité humaine et vivante. Le cosmos n’est pas sans âme et inhumain, ce n’est pas simplement une substance matérielle ; c’est vivant avec les qualités de l’être du cœur et de l’esprit humain.

Ainsi l’espace n’est pas ce que l’on considère habituellement comme espace physique. Le sens ordinaire de l’espace est un symbole, une représentation de ce que l’on pourrait appeler l’espace réel. Cette effroyable vision d’un espace immense et infini est au cœur des enseignements des sutras du Mahayana, la mise en scène en quelque sorte.

Les qualités vivantes de l’univers sont de loin plus vastes et stupéfiantes dans leur splendeur et leur perfection qu’aucune des expériences que nous ayons eues jusqu’à maintenant. Quelle que soit l’expérience de sagesse, compassion, amour, ouverture, vacuité, infini, clarté, beauté, bien-être, que nous connaissons, cela reste toujours un peu limité. Bien que ces qualités d’expérience dans leur véritable expression soient non conceptuelles et inimaginables, afin d’ouvrir notre esprit et notre cœur à cet infini et de s’en émerveiller, les sutras utilisent des concepts comme symboles.

Les bouddhas sont décrits comme vivant des laps de temps incommensurables, expérimentant des distances gigantesques. Lorsqu’on écoute le récit de cette vastitude évoquée dans les sutras, ces chiffres si grands, ces événements surprenants peuvent donner un aperçu ou un flash de l’infini et de la splendeur dont on parle ici.

Par exemple, essayez d’imaginer l’espace en expansion continue jusqu’à ses limites les plus lointaines. Imaginez le plus loin possible et encore plus loin que cela. En fait cet infini que vous imaginez n’est rien comparé à l’espace qui se trouve au-delà. De plus cet espace n’est ni vide ni ennuyeux, mais empli de vie, de clarté, de luminosité ; il manifeste sans fin des formes et des qualités.

Nous avons tendance à expérimenter notre monde comme étant lourd, fermé, et d’une certaine manière sans vie. Nous ne le voyons pas clair, spacieux et lumineux et nous pensons que le monde est comme cela. Les sutras du Mahayana enseignent que c’est notre vision confuse qui crée cette impression et qu’il n’y a pas vraiment d’obstruction à voir l’univers d’une façon infinie, claire et lumineuse.

Bien que nous soyons si tristes et illusionnés, que nous n’ayons pas cette vision grandiose de l’univers, on nous dit que nous n’en sommes pas vraiment séparés, parce que nous sommes intimement connectés à lui depuis notre origine. Nous en venons mais avons l’impression d’en être séparés ; pourtant nous ne l’avons jamais vraiment quitté. Ceci introduit l’idée d’une base primordiale, le Dharmadathu, dont on parle souvent dans les sutras. Cette base primordiale est neutre en elle-même. C’est seulement la réalité telle qu’elle est. Mais la réalité inclut la possibilité de l’illusion. Il y a un processus par lequel l’illusion apparaît, s’intensifie jusqu’à ce que toute possibilité de retourner à la réalité devienne de plus en plus inaccessible. Il y a cependant dans cette réalité la possibilité de défaire l’illusion et de retourner en soi-même. Ce processus de l’illusion qui s’intensifie est appelé le samsara et le processus de s’en défaire est celui des bouddhas et bodhisattvas se manifestant dans le monde de l’illusion pour mener les êtres vers l’éveil. Ce processus-là continue à tout moment. Il y a toujours des êtres vivant dans l’illusion et toujours des bouddhas travaillant à leur libération. Ce n’est pas quelque chose qui peut arriver une fois dans un univers existant indépendamment. En fait ce processus de l’illusion et du retour à la réalité est ce que l’univers est fondamentalement. Il n’y a pas d’univers en dehors de ce processus.

Ce n’est pas comme si l’univers était un énorme champ de bataille entre les forces opposées du bien et du mal. Il y a seulement un unique pouvoir dans l’univers et c’est celui de la base primordiale elle-même. Cependant à l’intérieur de cette base primordiale une forme subtile de ce que l’on pourrait appeler une erreur apparaît.

Il y a l’histoire d’un maître bouddhiste qui voyait une femme pleurer ou rire alternativement lorsqu’il passait devant chez elle. Lorsqu’il lui demanda pourquoi elle pleurait et riait : « Je rie parce que depuis le début nous sommes tous des bouddhas ; je pleure qu’à cause d’une si petite erreur autant de souffrance soit créée. » La petite erreur est de saisir un changement apparent comme si c’était la réalité. Ce que je veux dire est que cette erreur est un aspect naturel et essentiel de la réalité elle-même, la réalité n’étant aucun des concepts que nous pouvons en avoir. D’elle naissent les êtres dans l’illusion et le chemin qui fait sortir de l’illusion. Ce chemin est le mahayana et existe seulement à cause de cette petite erreur.

Cela ne signifie pas que la souffrance est un jeu ou une plaisanterie – quand ça se passe c’est réel. Cependant, même au cœur des plus intenses souffrances, même si cela dure très longtemps, il y a toujours en nous quelque chose qui nous incite à retourner vers l’état d’éveil. Ce mouvement de retour est là, présent dans toutes les situations, mais comment va-t-il se manifester ? Les êtres illusionnés, bien que l’état d’éveil leur soit intrinsèque, ne le verrons pas parce qu’ils regardent dans la direction opposée. C’est comme un homme pauvre avec un trésor caché sous le plancher de sa maison et qui, ne le sachant pas, cherche la fortune ailleurs. Pour cette raison, la qualité éveillée de l’univers doit sembler nous approcher de l’extérieur et cela se fait sous la forme d’êtres que nous appelons Bouddha et Bodhisattva.

© Rigdzin Shikpo

Rigdzin Shikpo

Rigdzin Shikpo est le guide spirituel est le principal enseignant de la Longchen Fondation. Disciple de Chögyam Trungpa Rinpoché, il est l’auteur de Openess, Clarity and Sensitivity.

 

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