Nous en remettre aux trois joyaux… et nous diriger avec confiance vers l’éveil

Lama Guendune Rinpoché

Pour avoir une motivation forte, il est important de comprendre les qualités de l’éveil. L’étude est nécessaire car elle permet de comprendre les qualités de l’éveil, de la cessation de la souffrance et du bienfait pour les autres. Grâce à cette compréhension, une aspiration s’élève, base de notre action qui constitue en elle-même une progression vers l’éveil.

Si nous établissons cette confiance et cet engagement de façon définitive, la progression est alors très simple et nous avançons avec aisance au travers des difficultés.

À l’heure actuelle, nous sommes à la croisée des chemins et, en terme de vie spirituelle, il n’existe que deux possibilités : l’une vers l’évolution, l’autre vers l’involution ou la dégénérescence. En tant qu’êtres humains nous avons la liberté de choisir entre nous diriger vers l’éveil ou retourner à la confusion, celle-ci étant synonyme de souffrance. Il faut donc faire ce choix en conscience, prendre un engagement et nous y tenir. C’est un choix personnel qu’aucune autre personne ne peut faire à notre place.

Le problème surgit si nous n’avons pas pris une décision profonde. Nous sommes à un carrefour délicat, nous avançons dans une direction mais nous nous disons : « Ce n’était quand même pas mal de l’autre côté ! ». Nous revenons alors en arrière pour nous dire peu après : « Oui, mais c’est quand même douloureux. Cela ira mieux là-bas ». Dans ce mouvement de va-et-vient entre l’éveil et le monde, nous sommes écartelés et déchirés et c’est là que naît la souffrance. Là se trouve la difficulté. Dès que notre esprit s’oriente vers l’éveil, conscient de sa valeur, nous progressons naturellement. Le choix et l’engagement sont donc essentiels.

Lorsque nous voulons progresser, il est nécessaire de développer la confiance dans les qualités de l’état d’éveil et dans les moyens qui nous y conduisent : éveil et état de bouddha recouvrant la même réalité. Il s’agit tout d’abord de la purification, de la libération de l’esprit de toutes les formes de voiles et d’obscurcissements. Les voiles proviennent du karma, des émotions perturbatrices, des tendances habituelles, ainsi que de la vue dualiste, perception altérée de la réalité. Une fois ces voiles purifiés, les qualités éveillées se manifestent à nous dans ce que l’on appelle l’obtention du corps de vérité ultime ou dharmakaya. Parallèlement à cet acquis personnel, le bienfait des autres est accompli. En effet, dans cette sagesse, toutes les qualités inhérentes à l’éveil sont révélées. Ce sont toutes les vertus de l’activité compassionnée pour le bien des autres. L’éveil se manifeste donc par ce qu’on appelle les « corps formels » : le sambhogakaya – le corps de perfection des qualités de l’esprit – et le nirmanakaya – le corps de manifestation illusoire – qui permettent de guider les êtres. Ces trois modes d’être, le mode ultime, le mode d’expression des qualités et le mode de manifestation illusoire qui accomplissent ainsi le bienfait des êtres, sont l’éveil, ce à quoi nous aspirons pour nous-mêmes et tous les êtres.

Pour y parvenir, il faut bien évidemment suivre une méthode, un chemin. Ce chemin a été indiqué par le bouddha lui-même, et représente l’expression de sa compassion. Le bouddha a exposé un ensemble de méthodes et d’enseignements pour nous aider à avancer, depuis l’état où nous nous trouvons jusqu’à l’état d’éveil. Cet ensemble de méthodes est consigné dans une collection de textes. Ces derniers constituent la transmission écrite assurée par la lignée, depuis le bouddha jusqu’à nos jours. Ces textes contiennent tous les enseignements du bouddha ainsi que tous les enseignements et commentaires des maîtres successifs. Cet enseignement à été véhiculé par une lignée de transmission de maîtres à disciples qui, à chaque étape, ont réfléchi sur ces textes et ont surtout médité et obtenu une réalisation équivalente à celle de leur propre maître. Cela a permis de garantir, de préserver l’esprit de l’enseignement transmis en même temps que la lettre. C’est ce qu’on appelle le dharma.

Pour véhiculer cet enseignement, il fallait une institution, elle s’appelle la sangha. Sangha signifie « congrégation », « communauté de tous ceux qui ont reçu ces enseignements, qui les ont pratiqués et qui, à un niveau ou à un autre, les ont réalisés ». Selon leur degré de maîtrise des enseignements, ces êtres sont devenus des guides, des enseignants, ou des compagnons sur la voie et, à ce titre, ils nous sont très précieux.

Nous aspirons donc à l’éveil. Pour y arriver, nous avons besoin d’avoir une méthodologie et de progresser sur la voie qu’est le dharma. Pour recevoir ces enseignements, l’institution de la sangha qui maintient cet enseignement vivant, est nécessaire. Ces trois aspects sont essentiels pour l’obtention de l’éveil. Bien que celui-ci soit notre seule motivation, le dharma et la sangha sont indispensables et, à ce titre, dignes de respect. C’est pourquoi nous prenons refuge en ces trois aspects.

Les trois joyaux sont vraiment très précieux, car ils sont à la fois le but et le moyen. Tous les bouddhas et les bodhisattvas du passé ont suivi ce chemin : ils ont tous pris refuge et se sont appuyés sur la sangha pour mettre en œuvre le dharma afin de réaliser l’état de bouddha. Il n’y a personne qui ait fait son chemin seul, sans indication et sans méthode. De plus, dans le futur, tous les bodhisattvas et les bouddhas à venir emprunteront le même chemin, parce qu’il n’y a pas d’autre possibilité. Il faut une méthode pour avancer, depuis l’état de confusion où nous nous trouvons, vers l’état de sagesse qu’est l’éveil, de même qu’il est indispensable d’avoir des guides et des compagnons. Cette structure des trois joyaux est donc une structure universelle et immuable. Sans elle, nous n’arrivons pas à progresser et nous nous égarons. Il est nécessaire de comprendre les qualités des trois joyaux, afin de pouvoir avancer sans peine.

Ayant compris les qualités de l’éveil et des trois joyaux, nous prenons refuge, nous offrons notre énergie du corps, de la parole et de l’esprit pour que tous les êtres puissent obtenir l’éveil et nous nous appliquons à pratiquer. Nous purifions progressivement tous les voiles et les émotions et nous nous en débarrassons. Ce faisant, nous réalisons que les trois modes de manifestation dont nous parlions précédemment sont en fait en nous. Il s’agit, rappelons-le, du mode sans forme ou dharmakaya et des deux corps formels appelés sambhogakaya et nirmanakaya. Ils sont l’expression de notre propre corps, de notre propre parole et de notre propre esprit, mais nous les ignorons, car ils sont voilés. Au fur et à mesure que nous pratiquons, les voiles du corps disparaissent. Nous finissons par réaliser que le corps n’est qu’une manifestation illusoire, sans réalité, qui n’a finalement pour but que de servir et d’aider les autres. Nous comprenons donc que notre corps est le nirmanakaya. Lorsque nous progressons dans la purification, la parole est dégagée de tous ses voiles. Nous réalisons qu’elle est le sambhogakaya, la communication des qualités de l’esprit. Lorsque l’esprit est peu à peu débarrassé de ses voiles, nous nous rendons compte qu’il est vacuité et sagesse. En ce sens c’est le dharmakaya, ou corps de vérité ultime. Au terme de cette réalisation, mais aussi au cours du chemin, nous comprenons qu’il ne faut pas chercher à acquérir l’éveil comme si nous en étions dépourvus. C’est plutôt un travail de mise à nu, d’épuration. L’expression de ces trois kaya est à trouver en nous-mêmes, au travers de la voie et des pratiques qui y sont appropriées.

La conduite juste est une attitude de confiance et d’abandon. Nous nous en remettons à la bénédiction des trois joyaux, parce que nous avons compris qu’elle a la qualité de l’éveil et qu’elle nous conduira dans cette direction, pour peu que nous renoncions à notre vision narcissique. Si nous imaginons que nous sommes le maître d’œuvre de cette activité, que nous dirigeons les choses, I’égocentrisme n’est pas vaincu. Si, en revanche, nous nous ouvrons à l’influence spirituelle des trois joyaux, sans espoir et sans crainte, et que nous faisons l’effort adéquat, les voiles se dissipent petit à petit. Les choses deviennent très claires et limpides. L’esprit est dans un état de joie et de pacification naturelle. Il est très vif et précis. Il sait exactement ce qu’il a à faire, sans aucune volonté égotiste. Les voiles et les émotions disparaissent et, à leur place, la compréhension, la confiance et la joie s’installent.

Extrait de Maître et disciple – Lama Guendune Rinpoché © Editions Dzambala, 1996.

Lama Guendune

Lama Guendune est né en 1918 au Tibet oriental. Eminent yogi et moine pleinement ordonné, il effectua pendant plus de trente années de nombreuses retraites solitaires. Choisi par le Gyalwa Karmapa pour aller en Europe afin d’y implanter le Dharma, il y déploie depuis 1975 une activité inlassable afin d’en assurer la pérennité et le développement.

 

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