Colloque Trinité-Trikaya

Père de Give

L’atmosphère de ce Colloque*, empreinte d’amitié, de respect mutuel et de sérieux dans la recherche de la vérité, réunissait les conditions optimales pour engager le dialogue et permettait à chacun d’exposer paisiblement ses convictions. Il était clair que les intervenants, comme le public, s’étaient bien préparés à cette rencontre. La pertinence des questions posées indiquait l’abondante littérature sur la spiritualité chrétienne et bouddhique connue en Europe comme aux aux États Unis.

Le thème choisi pourrait sembler étrange ; il est en tout cas nouveau et inattendu. Le chrétien occidental n’a sans doute jamais entendu ce terme de Trikaya et l’on peut augurer que bien des bouddhistes auraient de la peine à dire ce que signifie la Trinité dans le christianisme. Et pourtant chacun verra vite, en toute hypothèse, qu’on ne traite pas ici d’une matière marginale ou d’un aspect secondaire, mais qu’on se trouve engagé, de part et d’autre, au cœur même, au foyer central de l’une et l’autre religion.

Les trois corps du Bouddha

Le mahayana a développé la perspective de l’éveil dans les trois Corps du Bouddha qui jouent un rôle très important dans le tantrayana. Ils sont trois facettes, indissociables et concomitantes, de la réalisation de la vacuité, sunyata, dans sa perspective de plénitude. Ce sont :

• Le dharmakaya,

« Corps absolu », ou « Corps de vacuité » : c’est le Corps-Esprit d’un Bouddha qui, libéré de toute détermination conceptuelle, que ce soit de temps, d’espace, ou autres, est sans centre ni périphérie, sans passé, présent ni futur : omniprésent et éternel, ce qui signifie pour le Dharma : atemporel. Il est essentiel de remarquer que la vacuité des déterminations conceptuelles a pour corollaire la plénitude des qualités éveillées, cette simultanéité étant exprimée dans la notion de vacuité-plénitude. L’absolu du dharmakaya n’est pas « l’Etre Absolu », car il est au– delà de la distinction de l’être et du non-être.

• Le nirmanakaya,

« Corps d’émanation », inséparable du dharmakaya et de son expérience éveillée, le sambhogakaya, est la présence d’amour et de compassion d’un Bouddha, telle qu’elle se manifeste perpétuellement dans le monde, sous une apparence perçue par les êtres comme étant localisée et temporelle.

• Le sambhogakaya,

« Corps d’expérience parfaite », est la rencontre continuelle de l’omniprésence éternelle du dharmakaya et de la présence historique du nirmanakaya. C’est la perfection de l’expérience et de l’expression non dualiste d’un Bouddha.

Les trois états du Corps du Christ et les trois Corps du Bouddha

On pourrait faire une comparaison entre les trois états du Christ et les trois états de l’éveil suivant ce schéma :

• Jésus de Nazareth correspondrait à Gautama Sakyamuni, nirmanakaya,

• le Christ pascal au sambhogakaya,

• le Christ éternel et cosmique au dharmakaya.

Pour revenir brièvement à chacun de ces états, rappelons ce qui vient d’être dit :

• le nirmanakaya, le corps d’émanation, est la présence d’amour et de compassion d’un Bouddha telle qu’elle se manifeste perpétuellement dans le monde sous une apparence perçue par les êtres comme étant localisée et temporelle. Ne peut-on pas dire la même chose du Verbe fait chair ? Il a habité parmi nous (Jean, 1, 14), bien situé dans l’espace et le temps. Il a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux que le diable tenait asservis (Actes, 10, 38).

• le sambhogakaya, Corps d’expérience parfaite, est la rencontre continuelle de l’omniprésence éternelle du dharmakaya et de la présence historique du nirmanakaya. On l’appelle parfois corps de jouissance (ou de gloire). On remarquera qu’il n’est pas perceptible par tous ; de même le Christ ressuscité, du jour de Pâques, ne fut pas reconnu aisément.

• Quant au Christ glorifié, à la droite du Père, qu’exaltent les Pères grecs et chez nous Teilhard de Chardin, n’a-t-il pas ces propriétés du dharmakaya : omniprésent et éternel, libéré de toute détermination conceptuelle, ayant la plénitude des qualités éveillées, qu’on peut exprimer comme vacuité– plénitude ?

Il me semble qu’on pourrait, en songeant aux trois états du Christ, relire ce paragraphe de conclusion de Lama Denys sur le Trikaya (3) :

« Ces trois Corps-Esprits réunissent dans leur présentation :

• la nature divine d’un Bouddha dont le Corps-Esprit est omniprésent et éternel,

• la nature humaine de son Corps–Esprit, présent et agissant dans le monde,

• la nature d’expérience – expression parfaite de son Corps – Esprit de connaissance et d’amour éveillés ».

Tout ceci étant suggéré à l’examen. Le colloque est là pour en juger le bien – fondé. De même pour le rapprochement suivant, thème principal du Colloque :

Dharmakaya – Corps du Dharma, absolu : Père, Christ cosmique à la droite du Père

Sambhogakaya – Corps d’expérience parfaite : Esprit, Christ pascal

Nirmanakaya – Corps d’émanation : Fils, Jésus de Nazareth

Svabhavikakaya – Corps d’essence même : Essence Divine

Les trois Personnes divines et les trois Corps du Bouddha

Sans écarter le parallèle entre le schème christologique et le Trikaya, la comparaison qui semble la plus pertinente est celle du Trikaya avec la Trinité.

Nous suivons le schème latin de Saint Augustin, car la convergence avec la doctrine du Vajrayana paraît s’y montrer davantage. Pour lui, l’Esprit est l’amour jaillissant du Père et du Fils, procédant de leur union. Si l’on fait une comparaison, le Père correspond au dharmakaya, le Fils au nirmanakaya, et l’Esprit, qui procède des deux, au sambhogakaya.

Rappelons, en effet, ce qui vient d’être dit : « le Sambhogakaya, Corps d’expérience parfaite, est la rencontre continuelle de l’omniprésence éternelle du dharmakaya et de la présence historique du nirmanakaya ».

Dans le christianisme, l’essence divine n’est pas à confondre avec les trois Personnes de la Trinité. Et de leur côté les bouddhistes parlent aussi de svabhavikakaya, le Corps essentiel, ce qui nous semble correspondre à l’essence divine du christianisme latin.

Je termine ici mon introduction au colloque, mon rôle se limitant à ouvrir des perspectives. Approfondir ces questions sous différents éclairages sera le travail des orateurs et des intervenants. Aux uns et aux autres, je souhaite des échanges féconds. »

* à Karma Ling, du 15 au 17 novembre 1996.

Ce texte est la présentation par le Père Bernard de Give, moine trappiste, du colloque Trinité-Trikaya qui eut lieu en novembre 1996 à l’Institut Karma Ling. Cette rencontre, forte de beauté et de profondeur, s’est inscrite dans la lignée d’un travail d’échanges ininterrompus depuis des années.

La richesse, de même que la qualité des interventions, ont contribué à la réussite d’un dialogue qui, par-delà les inéluctables divergences, s’est avéré être une rencontre du cœur à la grande satisfaction des nombreuses personnes attirées par l’intérêt du dialogue interreligieux.

 

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