Rencontre Inter-Traditions

Le dialogue inter-religieux

« Tu m’as fait connaître à des amis que je ne connaissais pas
Tu m’as fait asseoir à des foyers qui n’étaient pas le mien.
Celui qui était loin, tu l’as rendu tout proche,et tu as fait un frère de l’étranger.
Pour celui qui te connaît, nul n’est plus étrange ou hostile.
Plus une porte n’est fermée.
Oh ! Accorde moi cette grâce : que je ne perde jamais cette joie
de rencontrer l’unique parmi les jeux de la diversité. »

Rabindranath Tagore

Si le XXIe siècle doit être spirituel, il sera surtout et avant tout un siècle de dialogue. Les religions monothéistes issues d’Abraham – le judaïsme, le christianisme et l’islam – ainsi que l’hindouisme et le bouddhisme, communiquent aujourd’hui dans un dialogue inter-religieux de plus en plus fécond qui œuvre activement au développement de la paix et à la promotion de valeurs universelles.

Depuis plusieurs siècles les esprits d’ouverture et de tolérance ont cherché à se rencontrer par-delà les différences de culture, de tradition ou de croyance… Certains pionniers du dialogue inter-religieux allaient jusqu’à s’installer dans d’autres pays, étudier et découvrir d’autres religions, utiliser certaines pratiques pour approfondir les leurs, expliquer leur foi sans prosélytisme.

Rencontre Inter-Traditions « L’Esprit d’Assise »

Mais les rencontres inter-religions ne se sont véritablement multipliées et institutionnalisées que depuis la rencontre d’Assise, initiée le 27 octobre 1986 par le Pape Jean Paul II. Ce jour-là, tous les regards de la planète se sont tournés vers ces responsables religieux venus des quatre coins du monde pour jeûner, prier, méditer, faire silence afin que les armes se taisent à leur tour.

Depuis rencontres, journées, colloques, sessions, séminaires, parlements des religions font vivre « l’esprit d’Assise », en référence à cette rencontre, premier petit pas officiel d’un dialogue pour la paix, la compréhension de l’autre, le respect mutuel.

« Des rencontres pour la Paix »

On observe aujourd’hui que ce dialogue – dépassant la peur du syncrétisme ou la volonté à tout prix d’un œcuménisme impossible – a cessé d’être un bégaiement : au-delà des premiers désirs de cohabitation et de tolérance, l’on aborde aujourd’hui les questions profondes de compréhension et de coopération.

En novembre 1993, à Lourdes, les responsables des principales religions présentes en France autour de Sa Sainteté le Dalaï Lama, déclaraient :

« Nous affirmons que les religions peuvent trouver en elles, dans les exigences de vérité, de justice et d’amour qui les inspirent, l’appel le plus urgent à travailler ensemble à l’édification d’une paix véritable et plus juste pour tous. »

Sa Sainteté Jean Paul II constatait à l’occasion du Xe anniversaire d’Assise :

« Au long de ce chemin de dix ans, tant de croyants ont appris à mieux se connaître, à utiliser un langage de solidarité, à répandre le message de la paix dans leur milieux. »

Dans un ouvrage récent, le Dalaï Lama reprenait en écho :

« J’ai appris que la méthode la plus efficace pour dépasser les conflits est le contact étroit et l’échange entre les tenants de croyances différentes, pas seulement à un niveau intellectuel, mais aussi par des expériences spirituelles profondes. C’est là une méthode puissante pour développer la compréhension et le respect mutuel. C’est au cours d’un échange que peut s’établir une base solide pour construire une harmonie véritable. » n

Comment se rencontrer ?

« Comme je crois fortement que l’harmonie entre les religions est de la plus haute importance et de la plus haute nécessité, je voudrais maintenant proposer quelques idées sur les moyens de la réaliser :
• Je suggère d’abord d’encourager les rencontres entre savants de divers horizons religieux pour discuter des divergences et des similitudes de leurs traditions, pour favoriser l’empathie et améliorer notre connaissance mutuelle.
• En second lieu, je suggère que nous encouragions les rencontres entre les fidèles des différentes religions qui ont une certaine expérience dans la vie spirituelle – ces personnes n’ont pas besoin d’être des savants, mais des pratiquants authentiques qui se réunissent pour partager les lumières qui leur sont venues de la pratique religieuse. Selon ma propre expérience, c’est un moyen efficace et puissant de s’éveiller réciproquement d’une manière directe et profonde. (…)
• Outre les rencontres entre savants et pratiquants expérimentés, il nous paraît important également, surtout aux yeux du public, que les leaders des diverses religions se réunissent de temps en temps pour prier, comme lors de la rencontre d’Assise en 1986. C’est un troisième moyen, simple et malgré tout efficace, de promouvoir la tolérance et la compréhension.
• Un quatrième moyen consiste pour les adeptes de religions différentes à partir ensemble en pèlerinage et à visiter des lieux saints des uns et des autres. »

Sa Sainteté le Dalaï Lama,
Le Dalaï Lama parle de Jésus, p. 30 à 32. (Brepols – 96)

Les rencontres entre les Églises chrétiennes et les grandes religions – comme fut définie avec l’accord de tous la rencontre d’Assise – s’appellent généralement « rencontres inter-religions ». Mais depuis dix ans les échanges de plus en plus fréquents et ouverts à d’autres religions nécessitent une terminologie mieux adaptée. Même pour parler de l’enseignement du Bouddha, le terme de « tradition » convient mieux que celui de « religion » qui est lié au monothéisme et à l’histoire de l’Occident.

« Toutes les traditions spirituelles, bouddhiques et non bouddhiques, diffèrent dans leurs formes pour s’adapter à la réceptivité et aux facultés de personnes variées ; mais toutes œuvrent pour établir les êtres sur le chemin des existences supérieures et de la libération. Etant toutes issues de l’activité du parfait éveil, sans exception, elles méritent notre confiance. »

Kyabdjé Kalou Rinpoché

La diversité comme richesse

Fortes des multiples rencontres précédentes, la semaine de rencontre et la journée du 30 avril à Karma Ling ne sauraient être réduites à un accord religieux minimum consenti pour répondre aux aspirations de tant d’hommes en quête d’unité.

Pour qu’un authentique esprit de partage puisse s’épanouir et s’appuyer sur de réelles connaissances des autres, il est nécessaire de reconnaître les différences fondamentales entre les traditions, de ne pas chercher à tenter vainement d’unifier les religions du monde en une seule. L’unité de foi, la possibilité d’un langage commun dans la prière ne sont pas à l’ordre du jour.

La diversité des religions permet de répondre à la diversité des aspirations, aux besoins différents des individus, aux approches qui leur correspondent, aux dispositions qui sont les leurs. Les diverses inclinations spirituelles des peuples du monde ont besoin du pluralisme des traditions. Accepter la valeur de toutes les traditions permet d’apprécier cette diversité comme une richesse.

Des valeurs universelles

Les principales religions de ce monde prennent racine dans les mêmes idéaux d’amour. Le Christ, Bouddha, Confucius, Zoroastre ont avant tout enseigné l’amour. L’hindouisme, l’islam, le jaïnisme, le judaïsme, la loi sikh, le taoïsme… poursuivent un but identique : toutes les traditions spirituelles ont pour objectif la progression bénéfique de l’Etre humain et de l’humanité.

« Toutes les traditions, qu’elles soient chrétienne, hindouiste, judaïque, musulmane, bouddhique… enseignent que la compréhension de ce que nous sommes au niveau le plus profond est le point essentiel : cette compréhension de la nature de l’esprit éclaire de l’intérieur et illumine les enseignements de toutes les traditions. Dans chacune d’elles, quiconque parvient à la compréhension intime de l’esprit et en fait l’expérience immédiate aboutit à une vision essentielle, sans commune mesure avec celle qu’il pouvait avoir avant cette expérience directe. La connaissance de la nature de l’esprit est la clef qui ouvre la compréhension de tous les enseignements. Elle éclaire ce que nous sommes, la nature de toutes nos expériences et révèle la forme la plus profonde d’amour et de compassion. »

Kyabdjé Kalou Rinpoché

Pourquoi une telle rencontre ?

• De nombreuses rencontres inter-traditions et transdisciplinaires ont lieu régulièrement à Karma Ling. Dès sa fondation, une des spécificités de l’Institut fut d’être un lieu de rencontre et de dialogue entre le Dharma et l’environnement contemporain. La nature du Dharma recouvre les domaines : de la religion-tradition, de la science de l’esprit gnoséologie et de l’humanisme-philosophie

Ces trois champs ont inspirés l’ouverture de cette rencontre.

Cette polyvalence du Dharma le situe naturellement comme lieu de dialogue, de rencontre et de convergence inter-traditions et entre science et tradition.

Le Dharma est foncièrement une science de l’expérience humaine. Sa vision réunifie le clivage occidental entre religion, philosophie d’une part et science d’autre part. Aujourd’hui les nouveaux paradigmes scientifiques convergent avec celle-ci.

• Sa Sainteté le Dalaï Lama soutient, initie et participe souvent à des rencontres entre religions, cultures ou disciplines…

Lama Denys, directeur spirituel de l’Institut Karma Ling initia le projet de cette rencontre Inter-Traditions qui fut présenté à Sa Sainteté le Dalaï Lama qui en perçut immédiatement les enjeux :

« D’après ma propre expérience, je pense qu’une telle rencontre doit avoir deux objectifs majeurs : le premier est que les principales traditions mondiales considèrent comment participer à l’amélioration du monde et de l’humanité en général, par la promotion de valeurs humaines fondamentales telles que la compassion et l’éthique séculière. Le second objectif est que chacune de ces grandes traditions mondiales considère comment contribuer à la préservation des différentes traditions anciennes qui œuvrent pour le maintien et la survie de leur propre communauté. »

« Respecter et apprécier la diversité des traditions comme une richesse ;
Contribuer à leur union de cœur et d’esprit pour qu’elles œuvrent en harmonie et synergie, solidairement, pour le bien de l’humanité et du monde.
Voilà le souhait, l’inspiration, le symbole et l’apport de cette rencontre. »

L’ouverture de la rencontre

L’urgence d’une responsabilité universelle

De graves et urgentes questions se posent aujourd’hui sur l’équilibre planétaire : surpopulation, diminution des ressources naturelles, crise de l’environnement qui menace notre air, notre eau, nos arbres et déstructuration des modes de vie dans nos sociétés modernes.

La résurgence des préoccupations éthiques, observée depuis quelques dizaines d’années, est liée à ces multiples défis auxquels l’homme n’avait jamais été confronté, mêlant sa survie et celle de la planète. A ces questions planétaires, les réponses sont elles aussi planétaires.

Car au-delà de la remise en cause du fondement des certitudes qui sont à l’origine de notre époque troublée, c’est une nouvelle approche de nos rapports au monde et à nous-mêmes qui impose l’évidence de sa nécessité et révèle la véracité d’autres conceptions. n

« Je crois que pour relever le défi de notre époque, les êtres humains devront développer un plus grand sens de la responsabilité universelle. Chacun de nous doit apprendre à ne plus travailler uniquement pour son propre bénéfice, celui de sa famille ou de sa nation, mais pour le bien de toute l’humanité. Seule la responsabilité universelle sera la clé de la survie humaine. Elle est la meilleure base pour établir la paix dans le monde, pour un partage équitable des ressources naturelles et pour amener, par égard pour les générations futures, un véritable respect de l’environnement »

Sa Sainteté le Dalaï Lama
Extrait du discours au Sommet de la Terre organisé par les Nations Unies à Rio (1992)

L’ouverture aux traditions premières

L’apport des traditions premières

Cette rencontre est une première ; elle a voulu s’ouvrir aux traditions dites « premières » ou « autochtones ».

Bien moins connues que les grandes religions, les traditions premières sont étroitement liées à leur milieu d’origine. Leur sagesse ancestrale expose une vision holistique de l’écosystème constitué par l’habitant et son habitacle, l’homme et son univers-environnement. Cette sagesse « écologique », peut-être entre autres une importante source d’inspiration pour un changement des mentalités.

Elles peuvent contribuer à remédier aux déséquilibres sociaux et écologiques, participer à une réflexion sur le spirituel, la quête du sens, le devenir de l’homme, du monde. Par exemple, les Six Nations Iroquoises, « les Hau-de-no-sau-nee », ont toujours eu comme principe d’agir en songeant constamment au bien-être des sept générations à venir.

Aider les traditions premières à survivre

Alors qu’elles commencent à peine à échapper à leur sort de victimes, ces traditions autochtones sont en train de comprendre que leur survie dépend grandement de la position qu’elles tiendront au sein du monde global. Elles ont donc besoin d’être protégées et de trouver leur place parmi les autres.

Une décennie Internationale pour les Populations Autochtones

L’ONU a décrété en 1995 une « Décennie Internationale pour les populations autochtones ». Car ces populations colonisées, exterminées, maltraitées, ignorées sont en danger. Cette décennie veut faire connaître la richesse de ces traditions et prendre en compte certaines de leurs valeurs qui contribuent à la diversité culturelle et spirituelle dont notre monde en voie d’homogénéisation a le plus besoin : valeurs de paix, de lien et de respect à la terre, rôle de la méditation et du rêve, sens de l’existence de l’autre…

Un très important travail a été fait au sein de l’ONU et de sa commission Droits de l’Homme pour que soient reconnus et pris en compte les droits des populations autochtones dans le cadre général de la déclaration universelle des Droits de l’Homme.

La rencontre Inter Tradition de Karma Ling est une contribution à la décennie internationale pour les populations autochtones.

L’ouverture aux traditions scientifiques, philosophiques et humanistes

Dans une perspective de responsabilité universelle, les religions et traditions n’ont certainement pas le monopole des questions sur le bien de l’Homme et du monde. Aussi, des humanistes agnostiques, des scientifiques, ou des philosophes ainsi que des représentants d’organismes internationaux comme l’ONU, l’Unesco ou d’ONG sont invités à la Rencontre.

Car dans une telle rencontre c’est bien de solidarité dans une perspective de responsabilité universelle et de développement des valeurs humaines fondamentales dont il s’agit…

Depuis plusieurs siècles, l’Occident a développé une vision dualiste. Il est aujourd’hui urgent d’avoir une vision du monde globale, qualitative, éthique, et aussi transdisciplinaire.

Une convergence science et tradition

L’Unesco a organisé en 1995 un colloque à Tokyo réunissant scientifiques, intellectuels et philosophes du monde entier. La rencontre de Karma Ling se situe dans l’esprit du message qu’ils ont délivré :

« Réunis à Tokyo en ce mois de septembre 1995, nous voulons faire savoir que le temps est venu d’instaurer une nouvelle ère des Lumières où les valeurs humaines universelles uniront et guideront de nouveau les efforts de l’humanité.(…) Au cœur de ce thème des Lumières se trouve la complémentarité paradoxale de l’unité dans la diversité. Contrairement à la tolérance, l’hostilité à l’égard de la différence – ethnique, religieuse, raciale ou autre –engendre non pas l’unité mais le désespoir. Les préceptes holistiques qui découlent naturellement des nouvelles connaissances scientifiques, associés à une remise en honneur de certaines conceptions traditionnelles, pourraient servir de base à l’instauration d’une paix perpétuelle. (…) Notre message se situe ainsi dans le droit-fil des enseignements du bouddhisme Mahayana qui offrent une vision holistique prégnante de l’avenir de l’existence humaine au sein de la nature. »

 

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