La connaissance transcendante

La connaissance transcendante

Kyabdjé Kalou Rinpoché

Vacuité

Vacuité du sujet

L’examen de la nature de l’esprit conduit à reconnaître la vacuité du sujet

Quand on a pris les vœux de bodhisattva (c’est-à-dire quand on a engendré bodhicitta), on examine la nature de l’esprit. Si l’on suit le mode le plus développé enseigné dans les directives de méditation et les écritures, on arrive à la conclusion indubitable que toute entité subjective est indéfinissable.

D’une façon succincte, ce qu’on appelle esprit n’est ni oblong, ni sphérique, ni prismatique … Il n’a pas de forme. Ni long ni court, ni fin ni épais, il n’a pas de dimension. Il n’a pas non plus de couleur, n’étant ni blanc, ni jaune, ni rouge, ni vert, ni bleu, ni noir, ni multicolore … Comme il ne consiste en rien de tout cela, ni en rien d’autre, il n’est que vacuité. Cette vacuité n’ayant ni dimension, ni centre, ni périphérie, ni aucune caractéristique, n’est pas définissable. Cependant, si nous en venions à penser que l’esprit est vide — en ce sens qu’il ne serait rien du tout — il nous faudrait reconsidérer cet esprit qui connaît toute chose et qui produit la variété des pensées, qu’elles soient de désir, d’aversion, de bonheur ou de souffrance, de confiance ou de compassion, etc. Au moyen d’investigations et d’examens, on arrive à une conclusion indubitable sur la nature de l’esprit, et on médite sur celle-ci.

Vacuité des objets

Tous les objets extérieurs, intérieurs, sont comme apparences vides s’élevant dans l’esprit

L’univers extérieur et les êtres qu’il contient, tout ce qui apparaît en tant que forme, son, goût, contact ou objet de connaissance de l’esprit, s’élève en tant qu’exercice (des potentialités intrinsèques) de cet esprit qui est vacuité.

En résumé, toute chose est semblable à une illusion, à un rêve, à la lune dans l’eau, à un arc-en-ciel, à une ombre, à un mirage, à une image dans un miroir, à un écho. En dehors de la simple apparence résultant du libre jeu d’éléments connexes, rien n’existe par soi-même.

La Prajnaparamita est la perfection de la connaissance, l’intelligence de la vacuité

On arrive ainsi à la conclusion certaine de l’absence d’entité dans tout objet de connaissance (dharma). Reconnaissant la double absence d’entité dans le sujet et dans les objets, on demeure absorbé dans la vérité de la Prajñaparamita, la perfection de la connaissance transcendante, et l’on médite ainsi.

Compassion

Comprenant que les êtres souffrent par ignorance de leur nature, on développe bodhicitta

Tous les êtres qui ne réalisent pas le sens de ces absences d’entité ont été nos parents, nos proches, nos enfants, ceux qui veillèrent sur nous avec beaucoup d’attachement et ne nous firent que du bien. Tous, aveuglés par l’ignorance (la non-reconnaissance de la vraie nature de l’esprit) ont cette propension fondamentale de l’esprit qui fait saisir le je là où il n’y en a pas et appréhender comme entité ce qui n’en est pas une.

A cette tendance fondamentale s’adjoignent toutes les émotions perturbatrices de l’esprit sous l’emprise desquelles les êtres accomplissent d’innombrables actes nuisibles qui les feront errer sans fin dans le cycle des existences, éprouvant, comme conséquences de leurs actes, la variété des souffrances des six classes d’êtres.

Aucun de ces êtres ne désire la souffrance, et pourtant ils n’accomplissent que les actions négatives qui causent la souffrance. Ils ne désirent que le bonheur, mais sont impuissants à l’obtenir, ne sachant pas que sa cause est la pratique de la vertu. L’esprit imprégné de ces réflexions, empli de compassion pour les êtres, on développe l’amour et la compassion de la Bodhicitta.

Conjonction de la vacuité et de la compassion

Méditer sur la vacuité et la compassion conjointes est le cœur des pratiques du Mahayana

Quand on médite sur la conjonction de la vacuité et de la compassion, on accomplit encore et encore le don et la prise en charge (mentalement, on donne à autrui toute vertu et tout bonheur et on prend en charge toutes le peines, tous les maux dont il souffre). C’est le cœur des pratiques du mahayana, la voie sans erreur qui conduit à l’état de bouddha.

La perfection de connaissance transcendante

Reconnaître la nature illusoire des objets délivre de leur saisie et de l’attachement à eux

Tous les objets de connaissance sont des manifestations illusoires de la vérité relative d’apparence : ils sont vacuité parce qu’ils n’ont pas de réalité essentielle. Ils sont aussi clarté lucide car, bien que vides, ils apparaissent dans toute la variété de leurs aspects. Bien qu’ils se manifestent, pareils aux huit ou douze exemples d’illusion, ils ont la nature fugace de ce qui est impermanent et changeant.

Si on les reconnaît ainsi, on transcende la saisie qui les tenait pour réels et ils ne sont plus l’objet d’attachement.

Reconnaître que la nature de l’esprit connaissant est vacuité, comme l’espace céleste

Dans l’ultime vérité, le connaissant, celui-ci même qui fait ainsi tout apparaître, n’a ni origine, ni fin, ni localisation. Il transcende tout objet de connaissance caractérisé (forme, couleur, etc.) et ne peut être identifié par aucune détermination d’un ou de multiple ; sa disposition essentielle est donc vacuité, semblable à l’espace céleste.

La prajnaparamita est la perfection de la connaissance transcendante,

Reconnaître ainsi la nature des apparences illusoires et de l’esprit connaissant qui les fait apparaître est la perfection de la connaissance transcendante, la prajnaparamita. Mais encore faut-il rendre sa réalisation stable, en demeurant l’esprit concentré en elle ; simplement la reconnaître n’a pas le pouvoir de nous libérer.

 

Pratiquer des cinq premières paramita aide à développer prajna, la connaissance directe

L’oisillon qui vient de naître n’a pas le pouvoir de voler. Il doit, pour l’acquérir, se préserver des dangers par une conduite disciplinée, vivifier ses forces par le don, rester au nid de la méditation, préserver la continuité de sa diligence, avec endurance garder sa chaleur : ce n’est qu’après avoir achevé les exercices de la connaissance transcendante qu’il peut enfin s’envoler. Si, de même que cet oisillon qui met tout en œuvre pour pouvoir s’envoler, on s’aide des cinq autres vertus pour développer prajna, on gagnera une réalisation stable et on obtiendra l’état de Bouddha.

Sans la réalisation stable du sens de la prajnaparamita, on ne peut se libérer

Sans la réalisation du sens de la prajnaparamita, on est comme un oiseau sans ailes : il peut avoir toutes ses forces (les cinq premières vertus) et ainsi marcher jusqu’aux existences des trois classes d’êtres supérieures, il sera incapable de s’envoler au firmament du nirvana.

Sans la connaissance transcendante supramondaine de la profonde vacuité, on a beau avoir don, conduite éthique, patience, endurance, méditation, ces cinq vertus ne peuvent être nommées paramita car elles n’en ont pas le sens.

C’est en effet lorsque prajna (c’est-à-dire la compréhension du caractère illusoire du sujet, de l’objet et de l’acte) imprègne les autres vertus qu’elles deviennent paramita, transcendantes ; elles sont alors la cause de l’obtention de l’état de Bouddha.

 

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