La voie graduelle des trois types d’êtres

Taranatha

(Traduction de l’exercice 53, introductif au chapitre sur la connaissance transcendante)

Deux types de méditation sur la connaissance transcendante : analytique et contemplatif

Voici quelques exemples de méditation sur la connaissance transcendante. Il en existe deux principaux types : la méditation dite analytique qui fait appel à la réflexion et à des considérations intellectuelles et les méditations dites contemplatives qui visent à développer une expérience immédiate dans le silence du mental. Le texte qui suit est du premier type, des exemples du second se trouvent à la fin de la traduction du chapitre XVII du Dhagpo Thargyèn.

L’extrait choisi provient d’un texte de base du Mahayana composé par Djetsun Taranatha

L’extrait que nous avons choisi provient de « La voie graduelle des trois types d’êtres » (skyé-pou soum gui lam rim) composé par Djétsun Taranatha (1575-1634), qui est l’un des plus éminents représentants des lignées djonangpa et changpa-kagyu. Ce texte est une présentation éminemment pratique des enseignements de base du mahayana. Il prend la forme de chapitres fragmentés en séries de courts exercices de méditation.

Cet exercice n’est qu’un aspect très fragmentaire d’un travail spirituel dirigé par un guide

Le chapitre sur la connaissance transcendante comprend douze exercices fondamentaux parmi lesquels nous avons choisi de traduire le premier qui est le cinquante-troisième de l’ouvrage. Il doit donc être bien évident que cet exemple n’est qu’un aspect très fragmentaire d’un travail spirituel progressif qui s’appuie sur des préliminaires et qui doit être dirigé par les instructions orales directes d’un guide qualifié.

Exercice 53

La posture en sept points, trois respirations nasales profondes puis respiration naturelle

Nous nous asseyons, les jambes croisées, les mains [dans le mudra] de l’équanimité, la colonne vertébrale droite, le menton rentré, le buste dégagé, les dents et les lèvres reposant naturellement, la pointe de la langue touchant le palais et les yeux dirigés dans la direction de la pointe du nez.

Nous faisons trois profondes expirations par le nez, puis laissons la respiration telle qu’elle vient d’elle-même.

Développer un sentiment de renoncement jusqu’à aspirer à l’éveil

Nous méditons jusqu’à développer avec quelque intensité un sentiment de renoncement et de désillusion (vis-à-vis des situations du samsara) jusqu’à ce que l’amour et la compassion transforment notre attitude intérieure.

Considérer l’absence d’existence de l’ego au niveau du mode d’être essentiel

Puis, dirigeant l’esprit vers notre propre corps, parole, et esprit, nous les examinons :

Nous considérons que depuis les temps sans commencement du cycle des existences nous avons constamment l’impression que « je suis », ce qui est dû aux habitudes de la saisie de l’ego. Mais ce que nous appelons « ego » (1) n’est qu’un sentiment qui n’a jamais eu aucune existence véritable au niveau du mode d’être essentiel.

Cette considération constitue la base de l’exercice, nous allons examiner maintenant plus précisément :

L’EXISTENCE DE L’EGO INDIVIDUEL

L’ego individuel est inexistant en soi, mais la saisie de l’ego l’appréhende comme existant

Si l’ego existait au niveau du mode d’être fondamental, il serait ce qu’il est convenu d’appeler « l’ego individuel » (gang zag gi bdag). Mais comme un tel [ego individuel] n’a jamais eu d’existence en tant que quelque chose, il ne peut pas être mis en évidence à un niveau essentiel. Néanmoins, bien qu’il n’existe pas véritablement, la saisie de l’ego l’appréhende comme existant et, dans son mode d’appréhension abusif, le saisit comme étant permanent et autonome.

Ainsi l’ego est appréhendé comme permanent, intègre, autonome

1°) Permanent : Lorsque l’on se dit « hier j’ai fait ceci, maintenant je fais cela » et que l’on a le sentiment que l’ego d’hier est l’ego présent et que cet ego se perpétue, c’est ce que l’on appelle l’appréhension de l’ego comme permanent.

2°) Intègre : Lorsque l’on a le sentiment de l’ego, son apparence d’être une chose en soi qui a sa propre essence se suffisant à elle-même, sans être associé à n’importe quelle autre chose d’extérieur ou d’intérieur, est ce que l’on appelle l’appréhension de l’ego comme autosuffisant.

3°) Autonome : L’impression que [l’ego] existe comme étant celui qui s’approprie n’importe quel bien, objet ou personne de son environnement, est ce qu’on appelle l’appréhension de l’ego comme autonome et indépendant.

Si l’ego était permanent son expérience de bonheur ou souffrance devrait durer toujours

Bien qu’on le saisisse ainsi, dans ces modes d’appréhension l’ego n’a aucune existence véritable comme tel. En effet, s’il y a avait un ego qui soit permanent, ayant une fois fait l’expérience du bonheur il devrait être heureux pour toujours et [corollairement] ayant une fois expérimenté la souffrance, il devrait être malheureux à jamais.

De plus, ayant fait l’expérience su samsara, il lui serait impossible de s’en libérer

De plus, ayant initialement été lié au samsara, il serait impossible qu’il s’en libère ultérieurement et [corollairement] pour pouvoir ensuite s’en libérer, il faudrait qu’il n’en ait jamais fait l’expérience antérieurement.

L’alternance des expériences de l’ego est contradictoire avec sa permanence

[La notion d’un ego stable et permanent s’avère ainsi] logiquement absurde. L’alternance de joie et de bonheur et l’expérience des différentes situations de conditionnement et de liberté [étant contradictoires avec sa permanence], on peut conclure à l’inexistence d’un ego permanent.

Si chacun des agrégats le constituant étaient l’ego, celui-ci deviendrait multiple

L’autosuffisance de l’ego n’est pas non plus soutenable. En effet, ce qu’on appelle ego semble exister dans les agrégats (skandha) constituants notre corps et notre esprit mais les yeux ne sont pas l’ego, ni les oreilles, ni le nez, ni la langue ; pas plus que le corps ou le mental. D’ailleurs, si chacun de ces éléments était l’ego, celui-ci deviendrait multiple [et, par là même], ne serait plus une entité autosuffisante.

[En fait], s’il n’y a pas d’ego dans chacun de [ces agrégats] l’ego reste introuvable.

Si l’ego était les agrégats sa permanence serait absurde tout composé étant impermanent

D’autre part, si l’ego était les agrégats, sa permanence deviendrait absurdité. [En effet, les agrégats composants le corps-esprit sont fondamentalement impermanents comme l’expose la première des caractéristiques de l’enseignement du bouddha « Tout ce qui est composé est impermanent ».]

Si l’ego était indépendant des agrégats, il ne pourrait avoir de perceptions

Maintenant, si l’ego était autre chose que les agrégats, [il serait indépendant de ceux-ci et] il serait alors contradictoire qu’il ait des perceptions, c’est-à-dire, [par exemple], que l’ego voit ce que voit la connaissance visuelle ou qu’il ressente ce que sentent les perceptions tactiles du corps. [Il ne devrait, dans ce cas, y avoir aucun contact entre l’agrégat des perceptions et l’ego].

Pour ces raisons, un ego qui aurait une nature autosuffisante est inexistant.

Sans existence autosuffisante, pas d’existence autonome et indépendante

L’ego n’ayant pas d’existence autosuffisante, il n’a pas non plus d’existence autonome et indépendante.

Cela est reconnu comme lorsqu’on voit que, dans toute activité, agent et agi dépendent de facteurs. Un ego [agent-sujet] autonome et indépendant s’avère donc être une impossibilité.

Ainsi l’ego n’existe pas à l’extérieur des agrégats, l’ego ne demeure pas à l’intérieur de ceux-ci, chacun d’eux n’est pas celui-ci et il n’y a pas non plus d’ego dans ce qui reste lorsque les agrégats ont été enlevés, de même qu’il n’y a d’ego [ayant une existence véritable] dans [la structure constituée par] l’ensemble des agrégats, car il n’existe pas d’ensemble qui soit, [fondamentalement], autre chose que ce que sont chacun des éléments qui le constitue.

L’ego s’avère n’être qu’une désignation conceptuelle foncièrement illusoire et inexistante

Pour toutes ces différentes raisons, ce qu’on appelle l’ego [s’avère] n’être qu’une représentation mentale ou une désignation conceptuelle.

On médite qu’il n’est fondamentalement qu’une illusion, une erreur complète.

On médite en considérant que son existence est contradictoire au plan essentiel on médite ainsi sur son inexistence [fondamentale].

(1) Afin de faciliter la lecture du texte, nous avons choisi de traduire le terme tibétain « da » (sanscrit atman), simplement par ego, bien que ce terme signifie aussi moi-je ou même entité. Dans le contexte des exercices, l’ego est l’expérience de « moi-je » comme entité.

 

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