Les aiguilles de pin

Compagnons du Dharma !

Lorsqu’il était encore enfant, par un jour de grande chaleur où les cigales chantaient par milliers,

Nan Shan couché sur un tapis d’aiguilles s’éveilla d’une sieste sous un pin. Au-dessus de sa tête devant ses yeux, l’arbre étendait une branche dont les ramilles portaient des touffes d’aiguilles vert sombre qui se détachaient intensément sur le bleu du ciel. Au réveil, alors que les cris des cigales emplissaient sa tête, qu’il ne se rappelait pas encore où il était, que son esprit était encore vide, Nan Shan lorsqu’il vit les aiguilles de pin sur le ciel saisit quelque chose.

Ce que Nan Shan vit dans son enfance, il le voit quand il regarde dans la cour le grand pin cultivé en pot, près de la porte ronde, mais il le reconnaît aussi sur les tableaux de certains maîtres figurant des bambous. Qu’est cela ?

Quelquefois naturelles, quelquefois apprêtées, les œuvres de la nature ouvrent l’esprit au mystère insondable de notre propre cœur. C’est là la part que les mots ne savent épuiser, mais où les arts excellent. Celui qui en montrant ce qui est ainsi montre aussi le fond de son cœur, il a retourné son sac, Nan Shan n’a plus rien à lui apprendre !

Certains grands maîtres du Chan sont célèbres pour avoir pratiqué le Gong Fu ou la calligraphie, la peinture ou l’art du thé, suscitant souvent par leurs œuvres d’un naturel et d’une austérité sublime l’admiration des experts.

Peu importe ! La vérité du Tathâgata est partout visible dans ce monde de poussière : ouvrez les yeux !

Karuna

Compagnons du Dharma !

Celui qui après avoir fait son chemin s’éveille à la nature de Bouddha, le voilà reconnaissant spontanément son identité aux herbes et aux oiseaux comme à tout homme, il a compris dans son cœur que le Tathâgatagarbha est la matrice de toute chose. Il est comme un guerrier qui a jeté sa cuirasse et son armure aux orties, comme un dragon au printemps, qui vient de quitter sa mue.

La compassion, en vérité, pour celui-ci, est purement naturelle, il ne fait que suivre son penchant. Ce faisant, il reste parfaitement à l’écoute de soi, équitable pour lui-même. Ayant rompu avec l’avidité, avec la frustration, avec le manque, avec la peur, il rencontre les autres êtres sentants de plain-pied.

Parmi ceux qui ont entendu parler de la compassion des bouddhas sans avoir étudié les sutras avec persévérance, sans avoir suffisamment fait souffrir leurs genoux face au mur, sans avoir eu un maître possédant l’efficience de la transmission, il en est de ceux qui veulent se montrer bon enfant, qui veulent faire plaisir aux maîtres, de ceux qui se voient naïvement en saints ou en bodhisattvas, de ceux qui par une démarche mentale inconsciente cherchent à s’aimer, à se sauver eux-mêmes en sauvant les autres, de ceux qui obéissent à une motivation trouble, à un mauvais karma, qui cherchent à agir sur des songes et des fantômes, de ceux qui agissent par perversion, cherchant une forme de pouvoir cachée, de ceux qui, diaboliquement, cherchent à faire le mal sous un masque.

Compagnons du Dharma !

Quand vient l’envie de compassion, soyez vigilants.

Quand le moment est de donner, donnez !

Textes extrait du « Recueil de la colline du sud » de Nan Shan – © Editions Les deux océans

 

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