Se sentir vivant

Michael Hookham

Se sentir vivant, c’est entrer profondément en relation avec ce que nous sommes, nos émotions – positives ou négatives – et alors notre vision du monde s’élargit et s’ouvre à une compréhension claire et compatissante. On finit par ne plus dissocier notre insatisfaction et notre misère personnelles de celles des autres… C’est plonger à l’intérieur de soi pour percevoir clairement ce qui nous est autre.

La sensitivité est la qualité de se sentir vivant. Cela ne revient pas seulement à expérimenter le bien-être ou la joie, mais aussi la souffrance et le chagrin. Et pour cette raison, nous pourrions de temps en temps vouloir isoler notre sensitivité et développer une sorte de protection, comme une « peau d’éléphant » !

Cette qualité de se sentir en vie suppose une attention et une empathie pour les autres. Dans sa dimension la plus intense, c’est la compassion infinie du Bouddha. A savoir que plus nous nous ouvrons à notre expérience, plus nous commençons également à ressentir de façon très précise le bonheur et la peine d’autrui. Et cette empathie nous rend finalement désireux de supprimer la souffrance de l’autre aussi intensément que nous souhaiterions supprimer la nôtre.

Puis au fur et à mesure que cette sensitivité s’approfondit, l’ouverture et la clarté de notre esprit et de notre cœur en font autant. Et nous ne pouvons plus dissocier notre insatisfaction et notre misère personnelles de celles des autres. Cela peut sembler un peu lourd et oppressant, mais lorsque nous cesserons de nous concentrer sur notre ego, cette vision plus large deviendra une grande inspiration.

Certaines sensations de négativité ou de souffrance peuvent cependant apparaître et nous conduire à l’inaction – on se sent figé, incapable de faire quoi que ce soit. Le remède en est l’ouverture, une conscience plus vaste de l’espace. Il n’y a pas de limite à ce qu’un esprit et un cœur ouverts peuvent recevoir, concilier et accepter.

La sensitivité mène alors à l’action. Développer la bonne façon de répondre aux situations peut se faire seulement si nous sommes suffisamment ouverts et conscients pour en ressentir les circonstances et leur nature d’une façon précise et claire. Si nous sommes conscients des différentes notes émotionnelles impliquées, si nous connaissons les relations et les inter-connexions présentes à ce moment précis, non seulement à l’intérieur de nous-mêmes mais aussi chez l’autre, alors nous pourrons réagir d’une façon plus appropriée.

Il est donc important de vouloir savoir comment les émotions fonctionnent réellement, comment elles créent le monde dans lequel nous vivons et évoluons et quelle est la relation qui existe entre nos sentiments et la façon dont nous percevons le monde. Essayons d’observer comment nos émotions semblent se projeter d’une certaine manière « là-bas/dehors ». Cela aide à se centrer davantage sur le « ici/dedans » et non plus uniquement sur le « là-bas/dehors ». Si par exemple nous sommes en colère, ce sentiment de colère peut sembler provenir d’une personne ou d’une situation ; c’est comme si elles étaient la source de notre colère et que si nous les supprimions, notre émotion serait éliminée elle aussi. En fait la colère est dans notre esprit et notre corps. La personne ou la situation que nous associons à la colère n’est qu’extérieure à nous et ne peut pas réellement nous faire éprouver quoi que ce soit. Ce sont nos pensées et nos sentiments qui créent cette sensation de colère. Quelquefois, le seul fait d’observer cette attitude peut produire une d’ouverture, voir une impression de bien-être.

Ce n’est pas que nous ayons à apprendre à contrôler nos émotions – il y a tellement de mauvaises connotations à cette notion. Il s’agit davantage de commencer à reconnaître en nous-même une puissance connectée à nos sentiments, de manière à ne plus se sentir complètement à leur merci. Ce n’est pas une puissance manipulatrice, c’est plutôt l’énergie d’avoir confiance en nous-mêmes et en ce que nous sommes fondamentalement.

Il y a différentes sortes de thérapies qui proposent de se sentir plus en relation avec nos émotions, mais la puissance de la confiance à laquelle je me réfère est bien davantage. Et ce serait trop faible de dire que nous nous sentons de plus en plus reliés à nos émotions. C’est plus exactement ce que Trungpa Rinpoché évoquait lorsqu’il disait que nous commençons à devenir amis avec nos émotions négatives. Nous commençons à les connaître, à les apprécier de façon authentique, c’est comme entrer en relation. C’est comme si elles pouvaient nous dire quelque chose ou

nous apprendre à propos de nous-mêmes, plutôt que d’être seulement un problème. A un degré ultime et dans un sens très profond, elles ne sont pas quelque chose de dangereux que nous ayons à modifier, manipuler ou rendre inoffensifs de quelque façon que ce soit. Elles sont en fait l’énergie pure de notre être. Cette énergie peut se déformer, se bloquer ou être perturbée d’une manière quelconque, mais elle n’en est pas moins rien d’autre que l’espace, la clarté et la sensitivité de la nature de l’esprit, et il est important de toujours garder cela à l’esprit…

Extrait de « Openness Clarity Sensitivity » © Michael Hookham

Michael Hookham est le guide spirituel et le principal enseignant de la Longchen Fondation. Disciple de Trungpa Rinpoché, il est l’auteur de « Openess, Clarity and sensitivity » dont l’article ci-dessus est extrait.

 

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