Zones de paix

Tenzin Gyatso, XIVème Dalaï Lama

… un sanctuaire neutre, démilitarisé, où les armes seront bannies et les gens vivront en harmonie avec la nature.

Que cela nous plaise ou non, nous .sommes tous nés sur cette terre comme membres d’une même grande famille. Riche ou pauvre, éduqué ou non, appartenant à une nation, religion, idéologie ou autre, finalement chacun d’entre nous n’est qu’un être humain pareil à un autre. Tous nous voulons le bonheur, et pas la souffrance. Plus encore, chacun d’entre nous a les mêmes droits de poursuivre ces buts.

Le monde d’aujourd’hui requiert que nous acceptions l’unicité de l’humanité. Dans le passé, des communautés isolées pouvaient se permettre de penser qu’elle étaient chacune fondamentalement différentes et qu’elles pouvaient même exister dans l’isolement total. Aujourd’hui cependant, des événements survenant dans un coin du monde finissent par affecter toute la planète. Si bien qu’il nous faut d’emblée traiter le moindre problème majeur local en termes globaux. Nous ne pouvons plus invoquer les barrières nationales, raciales ou idéologiques qui nous séparent sans répercussions destructrices. Dans ce contexte de nouvelle interdépendance, prendre en compte les intérêts des autres est à l’évidence la meilleure manière de servir nos propres intérêts.

J’y vois une source d’espoir. La nécessité de coopérer ne peut que renforcer l’ humanité, car cela nous aide à reconnaître que le fondement le plus sûr du nouvel ordre mondial n’est pas simplement constitué par des alliances politiques et économiques élargies, mais réside bien davantage dans une authentique pratique individuelle de l’amour et de la compassion. Pour un avenir meilleur, plus heureux, plus stable et plus civilisé, chacun de nous doit développer un réel sentiment sincère de fraternité et de sororité. (… )

Au sein de cette Communauté asiatique, je vois le rôle du Tibet, en ce que j’ai déjà appelé une « zone de paix : un sanctuaire neutre, démilitarisé, où les armes seront bannies et les gens vivront en harmonie avec la nature.

Ce n’est pas seulement un rêve – c’est précisément comme cela que les Tibétains se sont efforcés de vivre un millier d’années durant, avant que notre pays ne soit envahi. Chacun sait qu’au Tibet, toutes les formes de vie sauvage étaient strictement protégées conformément aux principes bouddhistes. De même, au cours des trois derniers siècles au moins, nous n’avions pratiquement pas d’armées. Le Tibet a renoncé à la guerre en tant qu’instrument de sa politique nationale dès le VI e et VII e siècles, après les règnes de nos trois grands rois religieux.

Pour en revenir à la relation entre le développement de communautés régionales et le désarmement, j’aimerais suggérer qu’au « coeur « de chaque communauté se trouvent une ou plusieurs nations ayant décidé de devenir des zones de paix où les forces militaires sont interdites. Une fois encore, il ne s’agit pas d’un rêve. Il y a plus de quatre décennies, en décembre 1948, le Costa Rica a dissous son armée. Récemment, 37% de la population suisse a voté en faveur d’une initiative analogue. Le nouveau gouvernement de Prague a décidé d’arrêter la production et l’exportation de toutes les armes. Si son peuple en décide ainsi, une nation peut prendre des mesures radicales en de modifier sa nature profonde.

Les zones de paix au sein des communautés régionales serviront d’oasis de stabilité. Tout en participant équitablement aux frais de maintien de toute force collective créée par l’ensemble de la communauté, elles seraient à la fois les pionniers et les points de repère d’un monde entièrement pacifique, et seraient exemptées de tout engagement dans un conflit. Si des communautés régionales se mettent en place en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique, et si le désarmement progresse de manière à aboutir à la création d’une force internationale dans toutes les régions, ces zones de paix pourront s’agrandir tout en répandant la tranquillité à mesure de leur croissance.

Il ne faut pas croire que nos plans visent un futur lointain tandis que nous étudions telle ou telle proposition en vue d’un monde nouveau plus coopératif dans les domaines politique, économique ou militaire. Ainsi ragaillardis, les 48 membres de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe ont d’ores et déjà posé les jalons d’une alliance non seulement entre les pays d’Europe de l’Est et de l’Ouest, mais également entre ceux de la CEI et des Etats-Unis. Ces événements remarquables ont virtuellement éliminé le risque d’un conflit majeur entre ces deux superpuissances.

Je n’ai pas parlé ici des Nations Unies, car leur rôle délicat dans la création d’un monde meilleur et leur grand potentiel d’y contribuer sont de notoriété publique. Par définition, l’ONU doit se trouver au coeur de tout changement majeur. Néanmoins, il conviendrait peut-être à l’avenir de modifier ses structures. J’ai toujours nourri les plus grands espoirs à son propos, et sans la moindre intention critique, je voudrais simplement souligner que le climat a changé depuis que sa charte a été conçue à la fin de la seconde guerre mondiale. Avec ces changements, le temps est venu de démocratiser davantage les Nations Unies, en particulier leur Conseil de sécurité quelque peu exclusif de cinq membres, qui devrait devenir plus représentatif.

Les changements rapides de notre attitude envers la terre sont également une source d’espoir. Il y a dix ou quinze ans à peine, nous dévorions sans souci les ressources du monde, comme si elles étaient infinies. Maintenant, tant les individus que les gouvernements sont en quête d’un nouvel ordre écologique. Souvent il m’arrive de plaisanter en disant que la lune et les étoiles sont bien belles, mais que si quelques-uns d’entre nous s’essayaient à y vivre, nous nous sentirions misérables.

Cette planète bleue qui est la nôtre est l’habitat le plus délicieux que nous connaissions. Sa vie est la nôtre, son avenir – le nôtre. Et même si je ne crois pas que la terre en elle-même soit un être sensible, elle agit en fait comme une mère pour nous tous, et, comme des enfants, nous dépendons d’elle. Maintenant, mère nature nous dit de coopérer. Devant des problèmes aussi globaux que l’effet de serre et l’amenuisement de la couche d’ozone, des organisations individuelles et des nations seules sont impuissantes. A moins de nous y mettre tous ensemble, impossible de trouver la solution. Notre mère la terre nous donne une leçon de responsabilité universelle.

Extrait de « Communauté globale et nécessité de la responsabilité universelle » © Ed. Olizane. (Suisse) Traduction de Claude B. Levenson.

 

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