Vers un système universel de normes éthiques : le rôle du bouddhisme

Docteur Ananda W. P. Guruge, président de l‘Union Bouddhiste Européenne

Une action urgente est aujourd’hui nécessaire et même vitale si l’on considère les dégâts engendrés par la civilisation humaine. Mais la complexité du problème due à l’interdépendance grandissante nous mène à une réflexion approfondie quant aux valeurs éthiques qu’il est nécessaire d’intégrer dans nos vies. Le bouddhisme nous propose d’apprendre que le problème est à résoudre en nous-mêmes.

L’histoire du vingtième siècle témoigne de la réduction de l’échelle planétaire à un village global. L’humanité dans son ensemble est directement affectée par ce qui arrive dans chaque partie du globe car nous avons développé des moyens de communication des plus sophistiqués. Plus nous en savons et plus nous expérimentons rapidement l’impact de chaque évènement, et plus nous en sommes perturbés. Nous entendons si peu de choses positives et encourageantes. Au contraire, nous sommes inondés par des informations sur la violence et la destruction, le crime et l’inhumanité, l’injustice et la négligence ou encore nous sentons la menace de la possibilité de l’annihilation des masses, si ce n’est d’un holocauste nucléaire soudain, d’un réchauffement lent et généralisé, et d’une détérioration globale de l’environnement.

Nous n’ignorons pas que la source de tout ce qui est destructeur et menaçant grandit en nous-mêmes. L’avidité, la haine et la stupidité n’existent pas en dehors de nous. Non contenu par la maîtrise de soi et la sagesse, notre seul but –la recherche du confort, de la luxure et du bien-être– nous transforme en d’impitoyables spoliateurs de tout ce qui se présente. Nos désirs insatiables évoluent vers la jalousie et l’envie envers tous ceux qui sont mieux lotis. La compétition pour les ressources rares s’intensifie en une rivalité insensée aboutissant invariablement à de la rancœur et de la haine, à une violence sournoise mais évidente. Au cœur de nos préoccupations, la souffrance de la moitié de la population –les pauvres et les défavorisés, les malades et les laissés-pour-compte– est soigneusement mise de côté. Nous oublions même les générations à venir –nos propres progénitures– parce que nous polluons l’air et l’eau, épuisons nos irremplaçables ressources et mettons en danger la terre en y rejetant nos déchets empoisonnés. Qu’est-ce qui pourrait stopper cette tendance ? Comment l’humanité pourrait-elle être freinée dans sa folie ? Y’a-il un espoir, ou avons-nous été trop loin jusqu’au point de non-retour ? Voici les questions qui nous préoccupent.

Elles nous préoccupent parce que certains d’entre nous (toujours) et tous (parfois) sont concernés par le sort de l’humanité. La conscience et la capacité d’adaptation ont été les plus grands avantages du genre humain ou peut-être seulement un mécanisme de défense. Ainsi dans la recherche des solutions pour enrayer la menace qui pèse sur l’avenir de l’humanité, un consensus s’élabore sur la nécessité vitale d’un système universel de normes éthiques pour guider nos pensées et nos actions.

Si le XIX e siècle fût marqué par à la fois la dissension religieuse et la bigoterie, le Xx e siècle a vu progresser la compréhension entre les différentes religions et le développement de leur coopération. La religion, heureusement, a cessé rapidement de diviser et d’être discursive. Un climat de communauté et de justice a pu se créer grâce à une collaboration plus étroite par des efforts communs pour réduire progressivement et pour éventuellement éliminer la misère humaine, l’ignorance et l’exploitation. Nous pouvons donc dire que nous envisageons le XXI e siècle avec l’espoir et la vision d’un mouvement inter religieux qui permettrait le développement d’un système de normes éthiques universelles, ce qui devrait non seulement être possible, mais être adopté de façon urgente.

Nous croyons fermement et non sans préoccupation que les problèmes les plus pressants de l’humanité ne peuvent être résolus tant que nous ne mettrons pas en commun toutes les ressources disponibles au cœur la richesse et la diversité des accomplissements de l’homme. En ce qui concerne la notion d’éthique universelle, les ressources sont à notre disposition au sein du fabuleux héritage religieux et spirituel –et pas seulement dans les cinq ou six grandes religions du monde mais dans les centaines de confessions qui inspirent de plus ou moins grandes communautés d’hommes. À chaque étape de l’évolution de la civilisation humaine et dans chaque type de société, qui varie de la plus primitive à la plus complexe et sophistiquée, les religions avec leurs rites et leurs pratiques, leurs préceptes et leurs commandements, leur méthode de contemplation et leur système de valeur, ont exercé leur très grande influence.

Ce que chaque religion met en avant et offre peut varier. Mais finalement, chaque organisation religieuse a survécu et grandi parce qu’elle est pertinente pour ceux qui l’ont embrassée.

Quand nous envisageons le problème de l’éthique universelle d’un point de vue global, à ce moment crucial de notre passage dans le nouveau millénaire, les limites de notre expérience religieuse deviennent très nettes. Dans une société qui serait moins complexe, le commandement : Tu ne dois pas tuer et le vœu : Je m’engage dans la discipline de ne priver de sa vie aucun être sensible ont une signification évidente, sans détour. Dans la société actuelle, l’acte de tuer impliquent des considérations éthiques importantes, qu’il s’agisse de génocide, de meurtre, d’homicide, de terrorisme, de guerres chimiques et bactériologiques, d’euthanasie, de suicide ou de droits des animaux. Si « voler » signifiait autrefois larcin, cambriolage ou attaque à main armée, sa définition s’étend aujourd’hui aux fraudes de l’administration, l’espionnage industriel, la violation de la propriété intellectuelle, le droit au vol de l’identité de quiconque et même de son sperme, de ses ovaires, de ses gênes et de ses organes. Considérant la mauvaise conduite sexuelle et d’autre part, les valeurs de la famille, ce qui émerge a compliqué l’ordre moral au point de nous mener à une attitude très confuse de permissivité. Considérant le mensonge, l’expression : « Qu’est-ce que la vérité ? » est devenue un sujet incitant au cynisme. Enfin, l’expression «La transparence dans la publicité», et par ailleurs la diffamation par de subtiles et fines insinuations des mass media puis le double langage dans les affaires publiques, la vérité est souvent sacrifiée. D’autres formes de nuisances verbales ont ainsi proliféré de la même façon. Les questions d’éthique dans le domaine des drogues et des intoxicants sont également compliquées. Auparavant le problème était envisagé sous l’angle de la souffrance engendrée par la dépendance ; aujourd’hui les retombées de son impact sont de nature à remettre en question les composantes de la santé et du bien-être de l’humanité. Quant aux manœuvres biotechnologiques comme le clonage, l’implant d’organe, les manipulations génétiques, ces questions exigent des réponses satisfaisantes. D’autres exemples pourraient montrer combien dans chaque domaine, la complexité des questions éthiques s’est développée de façon exponentielle.

Cette complexité même appelle la nécessité d’une action urgente. Ce qui est souhaitable est une action collective menée par tous ceux qui estiment que la religion peut résoudre efficacement ces questions éthiques. Mais l’action saurait-elle être reportée à plus tard ? Ce serait comme de blâmer la négativité sans se donner les moyens de rétablir le bon ordre. C’est la raison pour laquelle l’Union Bouddhiste Européenne a pris la décision de se concentrer sur ces questions durant le Symposium qui sera tenu en novembre 2000 à l’UNESCO pour célébrer le XXVe anniversaire de sa fondation. Le bouddhisme a une immense contribution à apporter au développement d’un système de normes éthiques universelles. C’est une religion qui a eu une très grande expérience de l’adaptation de ses formes aux besoins des différents peuples à différents moments de l’histoire. Il est gratifiant que Lama Denys, en tant qu’organisateur du Symposium, ait su faire valoir que la diversité des traditions bouddhistes et l’unité qui les sous-tend sont le reflet de la richesse de l’idéal éthique du Bouddha. C’est une occasion idéale pour les bouddhistes –pas seulement en Europe mais dans le monde entier– de se rallier auprès de l’Union Bouddhiste Européenne pour marquer une étape qui serait sûrement significative.

 

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