Responsabilité

Tarthang Tulkou

Reconnaître nos responsabilités personnelles est quelque chose de simple: nous avons tous certains devoirs à remplir, certaines obligations. Celles-ci sont claires pour nous. Mais nos responsabilités ne se limitent pas à ces devoirs personnels, car dans un sens bien plus profond, nous sommes responsables de l’ensemble de ce que nous vivons: de notre relation avec le monde en général .

La vraie responsabilité, c’est un intérêt actif et une capacité de réponse à tout ce qui nous entoure, une disponibilité à faire tout ce qu’il faut Ceci signifie que nous assumons la responsabilité non seulement de certaines obligations, mais de chaque aspect de la vie, répondant à chaque expérience avec une bonne volonté dynamique, une ouverture à la vie dont la source est un soin, un intérêt, profonds.

Pour développer le sens de la responsabilité, nous avons besoin de l’attention vigilante, de savoir comment sont réellement les choses. Ceci signifie être conscients : conscients de nos actions et nos pensées. Conscients de leurs effets sur les autres, et même conscients de leurs conséquences à un niveau global. Cette conscience nous permet de répondre toujours aux situations de façon appropriée, de nous ouvrir aux vrais besoins de ceux qui nous entourent, et d’agir spontanément d’une manière qui crée l’harmonie et l’équilibre.

Chacun de nous possède cette capacité de réponse et de conscience, mais à la plupart, on n’a pas enseigné à la développer. Traditionnellement, I’enseignement consistait en un processus d’apprentissage de la connaissance et des compétences permettant de prendre vraiment place avec responsabilité dans le monde. Mais aujourd’hui, I’enseignement ne fournit habituellement que des informations, il ne parvient pas à nous apprendre à bien les utiliser dans notre vie. Nous ne connaissons pas la vraie nature et l’étendue de notre responsabilité en tant qu’êtres humains.

Nous avons besoin de développer un “ enseignement supérieur ” , enraciné dans l’intérêt attentif et fondé sur le respect envers la connaissance et l’expérience. Bien qu’il ne soit pas facile de trouver de nos jours une telle éducation, nous pouvons nous tourner vers les valeurs traditionnelles du passé, car elles transmettent la sagesse accumulée par tous ceux qui nous ont précédés. C’est le trésor dont nous héritons ; si nous apprenons à en faire bon usage, il nous montrera comment agir avec efficacité dans le monde.

Le travail nous donne l’occasion de nous éduquer, d’intégrer des valeurs élevées à notre expérience quotidienne. En nous intéressant avec soin à notre travail, en y répondant pleinement, nous pouvons commencer à comprendre la nature de notre responsabilité en tant qu’êtres humains. Car nous avons la responsabilité de travailler, d’exercer nos talents et nos aptitudes, d’apporter à la vie la contribution de notre énergie. Notre nature est créatrice; en l’exprimant, nous engendrons constamment plus d’enthousiasme et de créativité, stimulant un processus continu de bien-être joyeux dans le monde autour de nous. Travailler avec bonne volonté, avec notre plénitude d’énergie et d’enthousiasme, est notre manière de contribuer à la vie.

N’importe quel travail peut être un plaisir. Même de simples tâches ménagères peuvent être l’occasion d’exercer et développer en nous l’intérêt attentif, la capacité de réponse. A mesure que nous répondons à tout travail avec un intérêt attentif et une vue large, nous développons notre capacité de répondre pleinement à tout dans la vie. Chaque acte engendre de l’énergie positive qui peut être partagée avec d’autres. Ces qualités d’intérêt attentif et de réponse sont le plus grand cadeau que nous puissions offrir.

Quand nous ne répondons pas au travail avec toute notre énergie, nous limitons notre potentiel et nions notre vraie nature. Au lieu de contribuer pleinement à la vie, d’assumer la responsabilité de notre nature créatrice, nous fixons des limites à ce que nous pouvons faire. Quand notre travail ne marche pas bien, nous prétendons peut-être que nous avons une responsabilité trop lourde, ou qu’on nous l’a imposée; nous pouvons essayer de reporter sur notre manque d’expérience le blâme de notre inefficacité. En plus, comme nous ne nous sommes pas assez souciés de consacrer toute notre énergie à ce travail, nous ne nous considérons pas vraiment responsables des résultats que nous produisons.

Quand nous ne participons pas pleinement à notre travail, nous privons notre famille, notre société et notre monde de la pleine expression de notre énergie. Cette résistance à notre responsabilité en tant qu’êtres humains peut prendre bien des formes. Nous pouvons penser qu’ayant assez d’argent pour vivre, nous n’avons pas besoin de travailler. Nous pouvons aborder le travail comme une tâche, une obligation pénible dont nous nous acquittons contre notre gré. Nous pouvons travailler seulement pour l’argent. Dans tous les cas, quand nous considérons notre travail comme une chose à laquelle opposer de la résistance plutôt qu’une occasion dont tirer pleinement parti, nous abusons de tous les autres êtres de l’univers; nous abusons de la vie même. Nous avons le don de la vie, et si nous ne l’utilisons pas pleinement, nous créons un déséquilibre dans le monde, car les autres ont à nous soutenir avec leur énergie.

L’histoire de notre époque montre clairement les effets de l’action égocentrique, irresponsable. Accords rompus, conflits sociaux, désastres écologiques, tout indique un échec à assumer une responsabilité véritable, un échec à répondre complètement et avec connaissance aux exigences de la vie. Nous avons tous rencontré des gens qui en ont entraîné d’autres dans des difficultés ou des dangers, puis ont refusé d’accepter la responsabilité de leurs actes. Ceux qui suivent sont responsables aussi, tout de même, car meneurs ou menés, nous sommes responsables de ce qui est fait. Si nous n’insistons pas pour que ceux qui nous guident prouvent leur intégrité ou se montrent responsables dans leurs actes, nous préparons pour l’avenir le chemin à des directives dénuées de réflexion. Quand nous écoutons ceux qui nous promettent ce que nous voulons entendre, et non ceux qui ont la connaissance et l’expérience nécessaires pour bien nous guider, nous engendrons un manque général de réponse et d’intérêt attentif à bien faire.

Si nous voulons agir avec responsabilité, nous avons besoin de renforcer en nous le sentiment d’intérêt attentif. Nous pouvons alors faire un effort pour envisager notre situation avec une perspective plus large. Quand nous sommes plus sensibles à ceux qui nous entourent, à notre travail, à ceux qui travaillent avec nous, nous acquérons un sens plus lucide des effets possibles de nos actes. A mesure que notre conscience et notre capacité de réponse augmentent, nous constatons que nous sommes aptes à assumer complètement la responsabilité du bien-être futur de nos enfants, de notre société, et de notre monde.

Regarder notre passé personnel peut nous aider à développer la capacité d’intérêt attentif, de soin. Nous pouvons tous nous rappeler une circonstance où nous avons répondu complètement, avec ouverture, à une autre personne, en considérant ses besoins comme les nôtres. Prenez le temps de vous rappeler les détails de ce souvenir: ce qui s’est passé, ce que vous avez ressenti envers la personne, ce que vous avez fait.

Puis tournez votre attention vers le souvenir d’une circonstance où vous n’avez pas agi avec cet intérêt attentif, où vos paroles ou bien vos actes ont blessé quelqu’un. Revoyez soigneusement la situation, en examinant vos motifs et vos actes, votre attitude en réponse à cette personne. Rappelez-vous si, avant d’agir, vous avez pensé à ses sentiments; notez tout ce qui vous importait. Quand vous avez passé en revue cette situation le plus à fond possible, imaginez-vous en train d’y répondre avec toute la force de votre intérêt attentif à cette personne, et laissez vos sentiments positifs se renforcer dans votre cœur.

Agir de façon responsable stimule une croissance intérieure saine, des attitudes positives, et donne par conséquent un dessein à notre vie. Nous menons une vie naturelle, en harmonie avec les rythmes de l’univers, animés d’un soin profond pour tout ce que nous faisons. A mesure que nous comprenons mieux la nature de l’existence, nous voyons qu’en fin de compte, c’est de la vérité que nous sommes responsables. Même si nous sommes parfois dans une position solitaire, c’est la vérité qui nous libérera de l’égoïsme, du ressentiment, de la peur et de l’anxiété. Quand nous prenons dans notre vie la responsabilité de rechercher la vérité et de l’assumer, notre existence s’en trouve fortifiée. La vérité clarifie notre perspective, elle nous dirige sur un chemin sain de développement intérieur et de satisfaction. Avec le sens de la responsabilité comme fondement, le temps et la connaissance nous ouvrent aux possibilités infinies de l’existence. Même si nous vacillons au début, continuons à nous encourager nous-mêmes et nous atteindrons la vraie liberté.

L’action responsable vient naturellement une fois qu’elle a été développée. Nous n’avons pas un sentiment pesant de devoir ou d’obligation ; nous agissons de façon responsable parce que c’est l’attitude naturelle, saine. Nous vivons selon une relation avec le monde faite d’intérêt attentif et de réponse adéquate. Cette aptitude à la réponse est aussi complète que la réponse du soleil à la terre, un accord continu rempli sans hésitation.

Extrait de « L’art intérieur du travail » Tarthang Tulkou. © Ed Dervy.

Tarthang Tulkou

Tarthang Tulkou est un lama tibétain réfugié aux Etats-Unis. Enseignant le bouddhisme à l’université depuis plus de vingt ans, il a su allier sa formation traditionnelle avec l’expérience acquise en travaillant avec les occidentaux. Ses deux livres L’ouverture de l’esprit et l’Art intérieur du travail sont inscrits dans de nombreux programmes universitaires.

 

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