Aperçu sur Mahamudra

Très Vénérable Kalou Rinpotché

Les enseignements de mahamudra sont le coeur ou la quintessence de tous les enseignements du dharma, de même que le beurre est la quintessence du lait.

Les deux développements

Dissiper les voiles de l’esprit

Notre esprit, depuis des temps sans commencement, a été obscurci, voilé par différentes enveloppes : par le voile de l’ignorance, celui des tendances fondamentales, celui des émotions perturbatrices et celui du karma. Toutes ces enveloppes nous empêchent de voir clairement la nature de l’esprit telle qu’elle est.

Pour prendre une image, cette nature de l’esprit pourrait être comparée au ciel, ouverte et lumineux, mais comme si le ciel était assombri par des nuages et de la brume, elle nous est voilée, les voiles de notre esprit nous cachent sa nature réelle.

Il nous est donc nécessaire de dissiper ces différentes enveloppes. Il nous faut, pour cela, développer bienfaits et connaissance primordiale.

Recevoir l’influence spirituelle de la lignée

C’est ce à quoi visent toutes les pratiques de la méditation et tout particulièrement les pratiques de préparation à mahamudra (ngöndro) : le refuge, les prosternations, la purification de Dordjé Sempa, puis l’offrande de mandala et le yoga du lama. Cette dernière pratique vise spécifiquement à nous faire entrer dans l’inspiration de la lignée, elle nous permet de recevoir son influence spirituelle transmise de maître à disciple.

Il a été enseigné par le Bouddha que sans regrouper les deux développements, sans dissiper les voiles, sans recevoir l’influence spirituelle de son lama, il était extrêmement difficile de comprendre la nature de notre esprit. Recevoir l’influence spirituelle de la lignée est particulièrement important dans le vajrayana, qui enseigne les techniques spéciales de méditation : celles du « production » (Kyérim) et de « perfection » (Dzorim). Elles ont pour but de réaliser rapidement le sens de Mahamudra, « le grand symbole », ou le sens de Maha-Ati, « la grande perfection ».

Yidam et mahamudra

La double fixation de l’ego

Depuis le début des temps, notre esprit a été sous l’emprise de l’ignorance. Il n’a pas reconnu sa nature. Il est tombé sous l’influence d’une forte fixation qui le conduit à se manifester comme ego. En raison de cette tendance égocentrique, on considère toute forme corporelle que l’on peut acquérir dans l’une des six classes d’êtres comme étant son corps ; on pense : « mon corps », « mon existence ». On développe d’abord un fort attachement à son esprit en pensant : « mon esprit », puis ensuite à son corps, et cette double fixation est la source des nombreuses souffrances que l’on rencontre dans tout le samsara : le cycle des existences.

Le transfert de l’attachement pour soi-même

Cette tendance à se fixer sur soi-même a été développée par l’esprit depuis le début de son existence et il nous est très difficile de la purifier rapidement. Un moyen extrêmement puissant pour ce faire est la méditation d’une divinité, d’un yidam tel que dans la sadhana de Tchènrézi. Tchènrézi est l’émanation de la compassion du Bouddha. Dans cette méditation, on transfère à Tchènrézi l’attachement que l’on a pour soi-même : « mon corps est Tchènrézi ». Durant la représentation de Tchènrézi, son aspect corporel est semblable à l’arc-en-ciel ou à la réflexion de la lune sur l’eau, c’est-à-dire qu’il apparaît mais son apparence ne consiste pas en quelque chose de tangible ; c’est ce qu’on appelle une apparence vide (nangtong). Tchènrézi est la conjonction de l’apparence et de la vacuité.

L’aspect de connaissance primordiale

L’aspect ultime de Tchènrézi est appelé yéchépa, »l’aspect de connaissance primordiale », il est Tchènrézi, au niveau ultime, au-delà de notre propre méditation. La forme de Tchènrézi que nous méditons « l’aspect représenté », ou damsikpa, est le lien qui nous unit à « l’aspect de connaissance primordiale », ou yéchépa.

Quand on pratique Tchènrézi, on médite d’abord sur le damsikpa et au travers de celui-ci, on vient à percevoir, à réaliser l’aspect ultime de connaissance primordiale, le yéchépa, finalement ils deviennent indifférenciés. C’est au travers de ce processus que l’on reçoit l’influence spirituelle de Tchènrézi.

L’illusion de la réalité des expériences, source de nos souffrances

Actuellement, nous considérons toutes les formes comme étant réelles. Les sons que nous entendons, nous les considérons comme étant réels. Les pensées qui s’élèvent dans notre esprit sont aussi expérimentées comme étant vraies. Cette perception de toutes choses comme étant vraies et réelles est la source de tous les problèmes et souffrances que nous éprouvons.

Cette perception des choses avec ces fixations est comme une maladie nous faisant souffrir. Son remède est triple : au niveau des formes, au niveau des sons et au niveau des phénomènes de l’esprit.

– Au niveau des formes, on médite sur toutes celles-ci comme étant inséparables de la vacuité (nangtong) ; elles ont toutes la nature du corps de Tchènrézi.

– Au niveau des sons, on médite qu’ils sont unis à la vacuité (dratong), ils ont tous la nature du mantra de Tchènrézi.

– Au niveau de l’esprit, on médite sur tout ce qui y apparaît comme étant la conjonction de la connaissance et de la vacuité (rigtong), qui est mahamudra, la nature de l’esprit de Tchènrézi.

Ces trois niveaux de méditation sont une approche rapide pour réaliser mahamudra.

La dissolution

Ensuite, dans la pratique de Tchènrézi vient cette phase durant laquelle on pense que le monde extérieur se dissout en lui, en la lettre HRI, et en la vacuité ; c’est une méthode très rapide pour arriver à la réalisation de mahamudra.

Mahamudra

La réalisation de mahamudra

Mahamudra est la réalisation de la vacuité. En tibétain, Mahamudra se dit : « Tchaguia tchènpo ». « Tchaguia » exprime la connaissance immédiate de la vacuité ; « tchènpo » signifie ici : « ne pas aller au-delà ». Littéralement « Tchaguia » signifie « sceau », le sceau de mahamudra est la vacuité, la nature de bouddha qui marque tous phénomènes, tout dharma. Dans cette interprétation, « Tchaguia Tchènpo » indique : « l’état, ou la réalisation, qui ne quitte jamais la vacuité ».

Toutes les pratiques que l’on peut faire dans le dharma : les pratiques préliminaires, les pratiques de kyérim, dzorim (la phase de production la phase de perfection), les méditations sur l’amour, la compassion, les méditations sur la vacuité, ont pour but de nous amener à la réalisation, à la compréhension de mahamudra.

L’influence du karma dans la réalisation de la nature de mahamudra

Nous sommes tous identiques en essence, mais il y a de nombreuses différences individuelles. Des être sont des facultés de compréhension supérieures, d’autres ont des facultés de compréhension intermédiaires, et d’autres qui ont des facultés de compréhension inférieures ; à ceux qui ont des facultés de compréhension inférieures, ou même intermédiaires, il est très difficile au premier abord de reconnaître et de réaliser la nature de mahamudra.

Ce qui fait la différence entre les êtres doués de facultés supérieures, inférieures ou intermédiaires n’est pas qu’ils soient hommes ou femmes, forts ou faibles, qu’ils aient ceci ou cela … La différence fondamentale est, pour les êtres supérieurs, un développement de karma positif antérieur. Les autres n’ont développé ni bon karma ni connaissance dans les existences passées.

Une personne douée de facultés supérieures a une intelligence extrêmement vive, elle peut comprendre immédiatement tout enseignement donné, dans sa profondeur ; elle a aussi de la compassion, de la diligence, une grande confiance en son lama, et en les Trois joyaux.

La faculté de comprendre mahamudra

Mahamudra est l’essence des sutras, des tantras, de tous les enseignements bouddhiques, et de ce fait, il doit être donné avec discrimination. On ne doit pas le divulguer sans discernement. Il doit être expliqué à ceux qui peuvent le comprendre, à ceux qui ont l’intelligence nécessaire, la confiance, l’énergie, pour le pratiquer et le réaliser.

Dans le cas d’une personne qui a les facultés lui permettant de comprendre mahamudra, et qui établit une très bonne connexion avec un lama qualifié, il peut y avoir une transmission et une compréhension authentique de mahamudra ; elle pourra en tirer un immense profit.

Le danger des vues erronées

Mahamudra est par sa nature même, secret. Cependant, Rinpoché dit que peut-être il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’une personne non qualifiée écoute cet enseignement ; il ne pourra guère l’aider, mais cela ne fait rien.

Il y a néanmoins un très grave danger pour le disciple. Rinpoché dit : « s’il ne comprend pas bien l’enseignement, il risque de développer des vues erronées ou de perdre sa confiance en le Dharma ; ceci est très nuisible ».

Le désir d’aider

Ces enseignements doivent donc être donnés d’une façon correcte. Si, comme Rinpotché le fait aujourd’hui, un lama donne un enseignement sur mahamudra, celui-ci doit d’abord être compris dans son contexte, c’est-à-dire comme étant un moyen pouvant aider tous les êtres à se libérer de toutes les souffrances du cycle des existences, un moyen d’obtenir la libération, l’état de bouddha. Le lama doit avoir surtout une attitude orientée vers le bien d’autrui, avoir le désir d’aider vraiment ceux à qui il le transmet.

Le nectar de l’enseignement

D’autre part, le disciple et ceux qui écoutent doivent considérer le lama comme étant vraiment le Bouddha, et l’enseignement comme étant du nectar qui peut purifier toutes les impuretés de l’esprit. Si l’enseignement est compris, c’est qu’il devait être reçu ; s’il n’est pas compris, il faut au moins garder confiance en lui, car il est extrêmement bon, et peut aider certains êtres. Il est particulièrement important de ne pas développer de mauvaises vues et, dans ce cas, il n’y aura aucune faute.

La reconnaissance de la nature de Bouddha

Le Tathagatagarbha, la nature de bouddha est le fondement, de l’éveil, lorsqu’elle est reconnue. Si elle n’est pas reconnue, elle devient le fondement de toutes les illusions, la base du samsara. Ce qui fait la différence fondamentale entre le nirvana et le samsara est d’avoir reconnu ou non cette nature de bouddha.

« Tout tient à la reconnaissance de cette nature de bouddha. D’une façon générale, tous les enseignements du dharma sont des moyens de nous y amener ».

La méditation assise

Dans la méditation assise, les conditions favorables au niveau du corps nous aident à pratiquer ; la première de ces conditions est de se tenir droit, sans tension.

Tous les Tibétains adoptent, comme le fit le Bouddha Sakyamuni, la posture jambes croisées, (vajrasana), mais les Occidentaux ont les moyens de s’offrir des chaises, ils peuvent se donner le luxe de s’asseoir dans la posture de Maitreya, le futur Bouddha.

Gampopa dit :

« Si de l’eau n’est pas agitée, elle est claire,

Si l’esprit n’est pas contraint, il est heureux. »

Comme l’exprime cette citation, il faut laisser ensuite l’esprit sans contrainte et détendu, et naturellement il parviendra à un état heureux.

En laissant notre corps et notre esprit dans cet état, nous n’analysons pas ce que nous avons fait dans le passé, nous n’anticipons pas le futur, nous ne pensons pas : je ferai ceci ou cela, et nous laissons l’esprit tel qu’il est au moment présent. Il ne faut pas que l’esprit regarde quelque chose d’extérieur ou se fixe sur un objet intérieurement. Il nous faut le laisser « tel qu’il est ». On appelle cet état « rangbap ».

A ce moment-là, on ne regarde pas l’esprit car regarder l’esprit ou regarder la vacuité est prendre ceux-ci comme référence, ce n’est pas la véritable méditation. Il ne s’agit pas de prendre la vacuité comme un objet que l’on observe, de même pour l’esprit. Il ne s’agit pas non plus de ne pas voir, car il ne faut pas, quand on fait cette méditation, que s’interrompe le cours de notre attention, de notre vigilance. Il est donc nécessaire de toujours continuer à « voir clairement ».

Si nous laissons l’esprit ainsi, il devient transparent et ses trois aspects essentiels : vide, lucide et illimité apparaissent naturellement, il devient transparent et lumineux.

– L’ouverture de l’esprit, sa transparence, est sa vacuité.

– Sa luminosité, sa connaissance est lucidité.

– Les expériences illimitées de cet état sont son caractère illimité.

Rester ainsi à contempler la nature de l’esprit en un état « d’observateur abstrait », est ce qu’on appelle la méditation. Comprendre ce dont il s’agit fondamentalement est réaliser la vacuité, mais c’est difficile.

Nous allons maintenant méditer ensemble, en laissant l’esprit sans artifice, sans contrainte, en son état naturel.

……………… (méditation silencieuse)……………

Nous laissons le corps droit, l’esprit sans contrainte, dans un état de transparence lucide…

L’esprit ouvert, reconnaître et ne pas suivre les pensées

Quand nous sommes débutants et commençons à méditer, nous éprouvons quelques difficultés pour obtenir une méditation vraiment claire. Nous devons laisser notre esprit dans son état naturellement transparent et lucide, vigilant, ouvert, et alerte.

Comme nous sommes débutants, nous ne pouvons pas rester longtemps en cet état, et des pensées, des émotions, s’élèvent en notre esprit. Nous ne les suivons pas… Nous notons simplement qu’une pensée apparaît ; nous la reconnaissons sans la suivre, et nous maintenons l’état de vigilance. Toutes les pensées qui apparaissent dans l’esprit, les passions, sont comme des vagues à la surface de l’eau ou comme un arc-en-ciel. Elles apparaissent puis disparaissent comme les vagues retombent dans l’océan et l’arc-en-ciel s’évanouit dans l’espace.

Percevoir l’absence de limites de l’esprit

La condition d’ignorance des êtres ordinaires pourrait être comparée au ciel obscurci par des nuages. Le soleil luit par delà, mais l’espace est complètement voilé, la lumière ne peut transparaître. En méditant, un jour on commencera à percevoir la vacuité, la luminosité, et l’absence de limite de l’esprit. Cette situation est comme une toute petite percée au milieu des nuages, comme un rayon de soleil qui filtre et nous offre une éclaircie.

Si l’on peut continuer la méditation régulièrement, on comprendra de mieux en mieux la vacuité, la lucidité, et l’absence de limite. Il deviendra de plus en plus clair, de plus en plus vigilant et la méditation se développera de plus en plus.

Laisser les passions et émotions s’apaiser d’elle même

Si l’on reconnaît vraiment cette méditation, toutes les pensées, toutes les émotions qui peuvent s’élever dans l’esprit ne sont ni utiles ni nuisibles. Elles sont comme des vagues qui s’élèvent de l’océan et y retournent. De la vacuité les pensées s’élèvent et en la vacuité elles se dissolvent et sont réabsorbées.

En fait, fondamentalement, la pratique de mahamudra est quelque chose d’extrêmement simple et facile. Il n’y a pas à se représenter quoi que ce soit ni à faire d’exercices compliqués. Il suffit de laisser son esprit en son état naturel, tel qu’il est. C’est extrêmement simple.

Tous les hommes ont de nombreuses passions, de nombreuses émotions et pensées qui apparaissent en leur esprit : de colère, de haine, de jalousie, de désir, etc. Quand on fait cette pratique de mahamudra, il n’y a pas lieu d’arrêter ces pensées, ces émotions ; il n’y a pas lieu non plus de les suivre. On laisse son esprit en un état dans lequel il reconnaît ce qui s’élève en lui, sans suivre ni fuir quoi que ce soit.

Notre esprit, en ce moment est en effervescence comme un pot d’eau qui bouillonne sur le feu, si l’on cesse d’alimenter le feu, la température de l’eau décroît et le bouillonnement des pensées, des passions et des émotions s’apaise, de lui-même.

La pratique de mahamudra

La pratique de mahamudra peut se résumer en trois points essentiels : pas de distraction (mayèng), pas d’artifice (matcheu), pas de méditation (migom).

1 – Pas de distraction

On entend par distraction le fait que l’esprit soit agité ou qu’il se fixe sur des formes. Un deuxième type de distraction se produit si l’esprit perd sa vigilance, sa lucidité. L’esprit doit éviter ces deux types de distractions.

2 – Pas d’artifice

Particulièrement, il ne faut pas soumettre l’esprit à l’influence d’un artifice. Ne pas le forcer pour essayer d’améliorer son état de méditation ou pour produire quelque chose. L’esprit est naturellement vide : c’est le dharmakaya ou « corps de vacuité » du Bouddha. Il est naturellement lucide : c’est le sambhogakaya, le « corps d’expérience parfaite » du Bouddha. Il est naturellement sans limite : c’est le « corps d’émanation » du Bouddha. Donc, l’esprit étant toujours naturellement, spontanément, libre dans les trois corps de l’éveil, il n’y a rien à y ajouter ou à modifier, simplement reconnaître cette pureté fondamentale et la laisser être « tel quel ».

3 – Pas de méditation

On parle de non-méditation au sens où il n’y a aucune méditation qui soit à faire. Il s’agit seulement de laisser l’esprit en son état naturel.

Comprendre ce dont’ il s’agit

Il nous faut d’abord, avec l’aide de notre lama, reconnaître cette pratique, puis il nous faut la développer, la cultiver sans cesse dans toutes nos activités. Ainsi petit à petit, les nuages s’évaporent, le ciel s’ouvre et la gangue du joyau se dissout. La luminosité du soleil apparaît et l’éclat du joyau se révèle.

Il faut comprendre ce dont il s’agit, puis méditer autant que possible en ayant confiance en l’enseignement, en les Trois joyaux, et adressant des prières à notre lama. Ainsi, graduellement, la pratique s’améliorera et se développera.

Si nous ne parvenons pas bien à comprendre ce dont il s’agit, c’est que notre esprit est recouvert par beaucoup de voiles, d’obscurité et de passions. Il nous faut alors être actif en développant karma positif et connaissance primordiale. En purifiant les différentes enveloppes qui masquent la nature de l’esprit, nous pourrons progressivement arriver à comprendre le sens de Mahamudra.

Il y a un enseignement sur mahamudra qui a été composé par le neuvième Karmapa. Cet enseignement s’appelle « Marig Münsel » (mahamudra qui dissipe les ténèbres de l’ignorance), il a été traduit en français. Si vous pouvez avoir ce livre et l’étudier avec un lama, petit à petit vous pourrez préciser votre compréhension de ce dont il s’agit.

(Traduit oralement du tibétain par Lama D. Teundroup)

 

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