La pratique de tonglèn

Lama Denys rinpoché

La pratique de tonglen permet d’effectuer la transformation pratique de notre attitude intérieure dans l’esprit de bodhicitta. Tong signifie “donner”, et len signifie “prendre”. Donc, littéralement, tonglen signifie accepter et donner. Cette pratique est fondée sur un libre échange au travers de la frontière dualiste que l’on érige habituellement entre soi et l’autre.

Cette frontière limite notre territoire égotique. L’ego y règne, s’y défend et s’y protège. D’un côté de la barrière, à l’intérieur de son territoire, il importe ce qu’il aime et juge bon, et essaye de l’y maintenir. Et, au-delà de ses frontières, il exporte l’indésirable, tout ce qu’il juge mauvais. Ainsi agissons-nous constamment dans nos attitudes d’attraction, de possessivité et d’aversion. C’est notre mode de fonctionnement égotique habituel. L’intention initiale de l’ego était de se satisfaire, mais ses agissements le conduisent à l’insatisfaction. On souhaite le bonheur mais, en luttant pour l’obtenir, on se fabrique les causes de son propre malheur ! Cette lutte est extrêmement inintelligente. D’un point de vue personnel, elle amène l’inverse de ce à quoi nous aspirons profondément. Et, du point de vue des autres, elle crée aussi problèmes et conflits.

Une phrase célèbre d’Atisha dit :

“Toutes les souffrances de ce monde viennent du désir égoïste,
Toutes les joies et les bonheurs viennent d’une attitude altruiste.”

D’une certaine façon, on ne peut, au départ, s’empêcher d’être égoïste. Aspirons au bonheur, ce qui est une perspective relativement égoïste, mais faisons-le intelligemment, en comprenant que nous trouverons le véritable bonheur en dépassant nos attitudes égocentrées ! C’est ce que nous propose la pratique de tonglen.

Elle nous apprend à passer encore et encore au travers de cette frontière jusqu’à dissoudre cette barrière dualiste, ce mur que nous érigeons entre nous et l’autre, et nous permet de développer une relation de plus en plus transparente. C’est une pratique exigeante, car elle prend notre ego à rebrousse-poil en lui apprenant à accepter l’inacceptable et à donner ce qu’il ne voudrait pas donner. Elle nous demande d’accepter d’être exposé à l’irritation, à l’indésirable, d’accepter ce à quoi habituellement nous dirions “non”. Accepter signifie aussi bien accepter extérieurement l’irritation et l’indésirable du monde qui nous entoure, qu’accepter intérieurement les côtés obscurs de nous-mêmes que nous n’avons pas envie de reconnaître. Il faut accepter le côté pénible de la situation pour pouvoir travailler avec, plutôt que le refuser et de lutter agressivement contre celui-ci. Ce peut être l’irritation qui vient de voisins bruyants, d’une parole provocante, ce peut être aussi nos blocages, nos émotions. Au lieu de résoudre le problème, le refus et la lutte l’entretiennent et, souvent créent, un crescendo de réactions en chaîne.

Par contre, si l’on commence par accepter, sans réagir impulsivement, on introduit dans la situation une pause. Elle est un espace qui permet de mieux la sentir. C’est à partir de cette perception qu’il devient possible d’y répondre plus justement.

Cette acceptation doit être bien comprise car elle est fondamentalement différente d’une attitude complaisante qui croirait bon de rechercher la souffrance. La pratique de tonglen n’a absolument rien à voir avec le “dolorisme”. Accepter signifie abandonner la lutte, le refus, mais ce n’est pas la volonté de prendre, de capter ou de s’approprier ; en acceptant, on se laisse ainsi pénétrer par la situation à priori inacceptable ou non désirée. L’inacceptable nous pénètre jusqu’au plus profond de nous-mêmes. C’est une acceptation sans réserve : ce n’est pas un “oui, mais…”, “oui, jusqu’à un certain niveau…” C’est un oui inconditionnel, une ouverture totale. On est complètement exposé, transparent et l’on abandonne la lutte et le rejet. C’est le premier mouvement de la pratique : accepter.

Le second mouvement de la pratique de tonglen est donner. D’habitude, notre aptitude à donner est fort limitée. Nous avons, comme nous l’avons dit, une mentalité de pauvreté : nous n’avons pas tout ce que nous voudrions et avons l’impression d’avoir tellement peu que nous nous sentons déjà misérables, dépourvus. Si nous donnions le peu que nous avons, il ne nous resterait plus rien !

Donner signifie ici abandonner, accepter d’abandonner à l’autre ce que l’on a de bon, ce que l’on chérit. C’est l’apprentissage d’un don ou d’un abandon sans réserve. On y découvre que plus on accepte de donner et de dépasser sa mentalité de pauvreté, plus on se découvre de richesses et de possibilités de dons. Ce don est un rayonnement qui n’est pas limité à une ou quelques personnes, il est universel, englobant tous les êtres. C’est un don sans réserve, total.

Ainsi, la pratique de tonglen est-elle fondée sur ce double mouvement d’acceptation et de don. Dans les deux cas, il y a une attitude de lâcher prise : lâcher prise par rapport au refus, soit de recevoir, soit de donner. Le dépassement de ce refus demande une attitude de confiance et d’intrépidité. Il s’agit d’ouvrir nos frontières. La pratique de tonglen nous demande ainsi de lâcher prise par rapport à nos fixations, et même, finalement, de nous libérer des références “d’autre” et de “moi”. Le lâcher prise nous fait progressivement découvrir l’expérience d’une transparence dans notre relation à l’autre. Mais, initialement et pendant longtemps, c’est notre aptitude à renverser l’attitude égotique qui est primordiale, c’est-à-dire l’apprentissage de l’acceptation de l’inacceptable et le don du désiré.

La pratique de tonglen a de nombreux volets : nous apprenons d’abord à la faire dans le contexte de la méditation assise, en nous référant à une situation qui nous émeut, impliquant une personne chère, afin de toucher en nous un point sensible. Lorsque l’on a fait l’expérience de la compassion dans cette situation privilégiée, il est plus facile de l’étendre à d’autres situations, et, de proche en proche, à tous les êtres.

Cette pratique se fait en liaison avec le rythme respiratoire. L’inspiration est un mouvement par lequel nous absorbons l’air extérieur. Dans cette incorporation, nous accueillons l’air et également ce qu’habituellement nous n’accepterions pas. A l’expiration, notre souffle se diffuse dans l’atmosphère, et en même temps, nos dons rayonnent, nous abandonnons à l’autre ce qu’habituellement nous ne donnerions pas. On utilise le caractère répétitif de cette alternance du souffle comme support pour accepter et donner, encore et encore. Il est important que cette attitude devienne aussi naturelle que le fait même de respirer, alors la pratique de tonglen est vraiment assimilée.

Le rappel

La motivation de bodhisattva, la méditation de tonglen et la pratique des perfections n’ont de portée profonde que si elles ont la stabilité et la régularité qui permettent de les intégrer aux situations de la vie quotidienne. Cette assimilation se fait par ce qu’on appelle le “rappel”. Le rappel signifie le souvenir de l’état d’esprit de bodhisattva et de ses différentes pratiques. Il s’acquiert par un processus d’apprentissage fondé sur la répétition, l’assiduité dans la pratique, l’entraînement. Cet entraînement de l’esprit se développe d’abord dans la méditation assise régulière, on y découvre l’esprit et l’expérience de la pratique, auxquels on revient, de façon régulière. Par la force de cette répétition, une imprégnation se fait petit à petit, et le rappel devient de plus en plus fréquent. Il s’intègre petit à petit aux situations de la vie quotidienne. On peut parler alors de méditation dans l’action, et dire que le rappel est l’élément qui permet la transition entre la méditation assise et la méditation dans l’action.

L’apprentissage de bodhicitta passe par notre aptitude au rappel, que ce soit le rappel de notre motivation, ou le rappel de nos éclairs de bodhicitta ultime, ou encore le rappel de la pratique de tonglen.

La méditation assise, la pratique de samatha-vipasyana et ses qualités d’attention et de rappel sont nécessaires pour développer bodhicitta. L’attitude d’ouverture et de compassion du bodhisattva ne peut se développer profondément que sur la base de la discipline de samatha-vipasyana.

Il doit être clair que les différents aspects de bodhicitta ne peuvent trouver leur dimension profonde sans la discipline hinayana de l’attention et du rappel. Sans cette discipline, notre esprit n’a aucune stabilité, il n’est pas capable de rester sur un sujet, il est totalement versatile. Il n’a pas même la faculté d’avoir une motivation stable, d’entretenir une intention assidue, il vagabonde sans arrêt.

Dans le mahayana, il y a l’intention d’atteindre l’éveil pour le bien de tous les êtres. D’un autre côté on dit que si nous commençons d’aider les autres sans avoir vraiment la sagesse ou la compréhension nécessaires, on peut faire du mal. Comment peut-on trouver le juste milieu entre l’aspiration et ce qu’on est, ce dont on est capable ?

Il s’agit de développer une attitude d’accueil et d’ouverture, dans laquelle l’autre n’est pas un étranger dont on a peur et que l’on rejette ou dont on se protège. Lorsqu’on voit l’autre comme quelqu’un qui est porteur de la nature de bouddha, il devient possible de communiquer avec lui chaleureusement et ouvertement, comme avec un ami. Cette communication, qui est une réceptivité ou une disponibilité, est le fondement de la compassion authentique. Elle demande de ne pas être indifférent à l’autre et dans l’expérience de sa réalité de répondre de façon adéquate à ses besoins. Cette réponse commencera généralement par la première action de bodhisattva qui est le don sous ses différentes formes.

Cette communication et cette réceptivité sont déjà un certain don de soi, don de son attention, de son temps, un abandon d’une attitude protectionniste en laquelle on se renfermerait en ignorant l’autre, pour garder son confort personnel.

Dans cette communication on trouvera la possibilité de répondre à l’autre de façon positive et bienveillante. Dans cette attitude se trouvera aussi réalisé ce qui est positif et bienfaisant pour nous-mêmes. C’est ce qu’on appelle “le double bienfait”, la simultanéité de ce qui est positif pour autrui et pour nous-mêmes, fondé sur l’ouverture et le dépassement de l’ego.

Cette approche est fort différente d’une certaine compassion militante dans laquelle on peut effectivement s’engager dans toutes sortes de combats au nom de la cause d’autrui, investissant dans ceux-ci notre agressivité et notre propre confusion et créant ainsi toutes sortes de désordres, finalement négatifs tant pour autrui que pour nous-mêmes.

Comment la motivation de bodhisattva peut-elle inspirer de faire une retraite, comment ça marche ?

Le bodhisattva peut se mettre en retrait, mais ne bat pas en retraite !

Il y a une immense différence entre les deux. Battre en retraite face aux difficultés est une attitude de fuite et de démission, c’est une attitude couarde qui est le contraire du courage et de la bravoure d’un bodhisattva. Plutôt que de fuir, le bodhisattva accepte d’être exposé aux situations avec ce qu’elles peuvent avoir d’irritant, de provoquant et de difficile.

Donc un bodhisattva ne bat pas en retraite. Maintenant, faire une période de pratique intense en situation de retraite est, dans l’esprit de bodhisattva, le contraire de battre en retraite. Une telle pratique demande d’accepter de travailler avec tout ce qu’il y a en nous, avec l’autre en nous, pour ensuite mieux travailler avec les situations de la vie quotidienne. Nous sommes habituellement pris dans la réaction en chaîne des conditionnements de notre vie et souvent notre investissement dans ses distractions est une façon de battre en retraite. On s’active et s’occupe extérieurement pour fuir et éviter de s’occuper de ce qui se passe intérieurement.

Plutôt que d’accepter de travailler avec ce que l’on porte en soi, nous passons notre temps à battre en retraite en nous distrayant. C’est une façon d’éviter le problème, de contourner la difficulté. Nous trouvons alors toutes sortes de justifications, d’obligations, d’occupations, jusqu’à aller ratisser le jardin, tondre la pelouse ou n’importe quel bricolage… Cette attitude, du point de vue de l’esprit du bodhisattva, est couarde. C’est une façon de battre en retraite dans l’agitation.

Le sens d’une retraite de méditation est le contraire. C’est la pratique d’un désinvestissement par rapport aux distractions et aux activités futiles auxquelles on s’attache habituellement, dans lesquelles on se réfugie et qui nous empêchent de nous engager profondément et d’aller au fond de l’expérience d’ouverture. La situation de retraite est un abandon de tout ce à quoi l’on est accroché dans les situations extérieures. Accepter d’être ainsi exposé à tout ce que l’on porte en soi est une expression fondamentale de bravoure. C’est l’abandon de nos réticences dans l’acceptation de l’inconnu.

Une telle retraite est une plongée dans notre nature de Bouddha, une plongée courageuse qui nous demande de dépasser nos réticences et nos défenses. C’est le contraire de la fuite en laquelle on bat en retraite. Dans une telle pratique, il est essentiel que notre motivation soit la plus proche possible de la véritable motivation de bodhisattva, telle que je l’ai définie tout à l’heure. On peut en effet, lorsque l’on se met en retraite, avoir une motivation inférieure, une motivation moyenne ou une motivation supérieure. La profondeur de la pratique, la portée du travail que l’on y fera dépendra de cette motivation.

Comprenez donc globalement une pratique en retraite comme une période d’apprentissage pendant laquelle on se prépare à mieux aider autrui. Avant d’être un bon médecin, il faut faire l’apprentissage correspondant. La situation de pratique en retraite offre les conditions optimales pour le faire rapidement. Ce n’est donc pas une fuite des autres mais un raccourci pour devenir plus vite capable de les aider véritablement.

La pratique de tonglen se passe-t-elle au niveau de l’intention, nous apprenant à avoir une intention altruiste… ou est-ce vraiment réel, envoie-t-on vraiment des vibrations positives ?

Il est très important de ne pas vivre la pratique de tonglen comme une pratique de grand magicien dans laquelle on manipulerait des influences et vibrations, captant les négatives et irradiant les positives. Cette approche serait une grave déviation. Plutôt que d’essayer de manipuler volontairement de telles influences ou vibrations, on développe une aptitude de lâcher prise, de “laisser tomber”, dans laquelle on arrête de lutter contre : on accepte, tout simplement.

Et puis, lorsqu’on donne, il ne s’agit pas de se transformer en émetteur de bonnes vibrations, en se branchant haute fréquence et rayonnant à pleine puissance. Il s’agit plutôt d’arrêter de nous cramponner à ce que l’on ne veut pas donner, d’accepter de partager avec l’autre ce que l’on a de précieux, ce que l’on a de joie, de bonheur, son petit trésor. Il y a alors une ouverture qui est vécue comme cette diffusion lumineuse et claire que nous apprend la pratique.

Plutôt que de capter ou d’émettre, il s’agit d’accepter de recevoir et de laisser partir. On n’est pas en train de faire joujou avec des vibrations. L’attitude dont il s’agit est celle d’une transparence dans le dépassement des résistances par rapport à ce qui viendrait et qu’on ne voudrait pas, ou par rapport à ce qui partirait et qu’on ne voudrait pas laisser partir.

C’est en pratiquant ainsi que vous pouvez vraiment aider autrui et vous-même.

Qu’entendez-vous par transparence ?

La transparence est ici celle de ce mur dont on parlait tout à l’heure, que l’on construit entre l’autre et moi, moi et l’autre.

Cette transparence se développe d’abord en arrêtant d’avoir peur, ce qui permet de dépasser le besoin de se protéger. C’est la peur qui nous fait nous renfermer et nous engager dans le processus égotique que l’on a évoqué. Plutôt que de vivre retranché, on accepte d’être exposé courageusement, on dépasse nos réticences, on passe outre à notre peur, ce qui demande d’accepter la possibilité de l’échec, de la perte, de dépasser la peur de perdre, d’être dépossédé, d’être abandonné, de lâcher. Le dépassement de la peur fait partie du courage du bodhisattva, il nous révèle une certaine invulnérabilité : le bodhisattva qui s’est donné complètement n’a plus rien à perdre !

Peut-on pratiquer tonglen dans le cas d’une maladie ?

On peut pratiquer tonglen d’une façon générale telle que nous l’avons envisagée précédemment ou en utilisant comme support une maladie ou une situation spécifique de notre vécu. Il est important d’abord de bien se familiariser avec l’attitude d’esprit de tonglen ; ensuite il est indispensable de le pratiquer dans les situations concrètes. Vous développez alors tonglen face à un “autre” concret, un voisin, ou un compagnon de travail, ici, dans la communauté ; ou encore face à soi-même, face à sa maladie, à ses problèmes, à ses blocages…

La pratique de tonglen commence par une acceptation de l’inacceptable en nous-mêmes. Une des maximes de lodjong dit : “La séquence d’acceptation commence par soi-même”. Sans s’accepter, se réconcilier avec soi-même, avec son autre intérieur, il n’est pas véritablement possible de développer une acceptation et un accueil authentiques des autres extérieurs.

Il est important de travailler sur les deux en même temps.

Est-il nécessaire que la pensée accompagne le va-et-vient du souffle, ou est-ce qu’on peut simplement pratiquer silencieusement, sans penser ?

Le double mouvement peut se faire dans le silence de la pensée discursive, sans commentateur : on accepte, on abandonne, silencieusement et informellement. C’est un vécu, un ressenti, une expérience intérieure de lâcher prise. Ce n’est pas une idée, une pensée. Néanmoins, au début, le rappel des instructions peut nécessiter quelques pensées. C’est inévitable, mais plus la pratique est assimilée, moins vous avez besoin de vous remémorer, de vous rabâcher mentalement les instructions.

Comment peut-on développer l’acceptation de soi-même ?

Cela se fait petit à petit dans la pratique de la méditation, que ce soit la pratique de tonglen ou la pratique de samatha-vipasyana. L’acceptation de soi-même dans la méditation, ce n’est pas une démarche analytique, introspective, la recherche de ce qui, en nous, pourrait ne pas être accepté, c’est l’acceptation de ce qui vient spontanément lorsqu’on se détend, lorsqu’on se relâche, lorsqu’on médite. C’est d’abord et principalement l’acceptation de nos pensées, de nos émotions, de nos idées, de nos fantasmes. Lorsque vous vous asseyez et que vous pratiquez samatha-vipasyana, vous avez toutes sortes de pensées et d’émotions qui viennent : c’est accepter ces pensées et ces émotions plutôt que de les refuser. Lorsque vous pratiquez tonglen, c’est aussi l’acceptation de vos résistances, de vos refus.

Il n’est possible d’accepter l’autre extérieur que dans la mesure où l’on accepte l’autre intérieur, l’autre en nous, tous ces événements intérieurs dont nous sommes le témoin. L’altérité est déjà en nous : il y a moi et mes pensées, moi et mes événements mentaux, moi et mes problèmes. L’acceptation est un abandon de la lutte, une réconciliation avec soi-même, avec ce qui se passe en nous. Il s’agit d’une acceptation de l’autre en nous. L’acceptation véritable de l’altérité extérieure passe par l’acceptation de l’altérité intérieure. C’est le terrain dans lequel la compassion peut germer.

Comme moyen d’acceptation, la pratique de tonglen est très efficace. Elle peut être faite, comme nous l’avons vu ce matin, par rapport à quelqu’un, une personne extérieure ; mais aussi par rapport à une difficulté qui nous est personnelle, que nous savons avoir en nous, que nous avons rencontrée. Faire tonglen est alors s’ouvrir à cette difficulté, en acceptant de la voir, de l’assumer. Si nous avons une difficulté particulière, une peur particulière, un blocage particulier, on fait cette pratique d’acceptation, d’ouverture à elle. On pratique aussi le don qui est alors la reconnaissance et, dans une certaine mesure, l’expérience de la santé fondamentale qui est au plus profond de nous, par delà les problèmes.

Si vous êtes débutants dans la pratique de tonglen, et l’on est toujours débutant, avant d’aller regarder à l’extérieur, dans un premier temps on regarde déjà à l’intérieur. Au début d’une session, on peut d’abord faire tonglen avec “l’autre en nous”, avec nous-mêmes, puis le faire avec des situations plus spécifiquement extérieures.

Que faire avec l’agressivité ?

L’attitude du bodhisattva est non agressive, il n’impose pas la domination de son ego. La violence fondamentale de l’ego s’exprime dans ses tentatives de domination, de prise de possession ou d’expulsion. Même dans une situation désespérée, une attitude non agressive permet de limiter les dégâts.

Plutôt que de répondre à l’agression par l’agressivité, un bodhisattva apprend à répondre à l’agression par la bienveillance. Une maxime de la tradition de lodjong dit : “Les êtres supérieurs sont ceux qui savent rendre la compassion pour la colère”. Plutôt que de s’engager dans les réactions en chaîne de la violence qui s’élaborent en crescendo et finissent pas éclater en conflits et en guerres, le bodhisattva apprend à répondre par la compassion et la bienveillance. Face à l’agresseur, une attitude non agressive peut démonter l’agression. L’agression se construit sur l’agression. Il y a une petite provocation, une réponse… l’escalade se fait. Alors que, même s’il y a au départ une provocation, en l’absence de répondant l’agression peut se démonter. Mais répondre d’une façon compassionnée ne veut pas toujours dire répondre doucement ou d’une façon conventionnellement gentille, aimable. Il faut faire attention à la compassion idiote et l’éviter.

Dans la pratique de tonglen, il faut faire attention aux dangers d’auto-agression. Il ne s’agit pas de se charger de l’agressivité en la prenant sur soi, en la supportant, jusqu’à en être finalement écrasé, puis de répondre avec une sorte de bienveillance auto-destructrice en laquelle on se ferait violence. Son apprentissage est d’accepter, de recevoir aussi bien l’indésirable que de donner le désiré, mais pas dans une attitude de violence par rapport à soi-même. Plutôt que de se durcir pour encaisser le coup, puis de faire un effort surhumain pour donner, le bodhisattva développe par rapport à l’agression une attitude de lâcher prise, de transparence.

Une maxime de lodjong dit : “Etre comme fantôme”. C’est une image qui parle bien de cette transparence. Vous avez certainement vu des films de fantôme ; il a un corps transparent, très léger, qui vole, et on peut lui tirer dessus, mais son corps étant immatériel, transparent, il n’est pas touché. Plutôt que de résister à l’agressivité en se blindant, il s’agit de développer cette transparence, et, plutôt que de s’obliger à donner de façon pénible, on développe la capacité de lâcher prise, d’abandonner.

C’est une attitude de non-fixation qui donne en même temps la possibilité d’être véritablement réceptif et sensible. Plutôt que de réagir à la violence par la violence, il s’agit de pouvoir accepter, s’effacer jusqu’à disparaître complètement. Cette absence de résistance menée à son degré le plus profond est, de notre part, une absence d’existence. C’est, pratiquement, comme de mourir face à la situation. Cette acceptation totale de la situation est le lieu de la réponse juste et de la transformation de sa négativité. Il est alors possible de faire une véritable réponse de compassion, de bienveillance. Dans la mesure où nous sommes capables de le faire, d’abord un tout petit peu, dans cette mesure même, notre réponse sera déjà plus juste.

Assemblée Gésar 98, Karma Ling, ©Lama Denys

 

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