Précision, douceur et lâcher prise

Pema Chödron

Loin d’être floue et imprécise, la méditation est à la fois détente clarté et précision.
Une expérience d’accueil, de chaleur et de douceur.

La précision

La technique consiste, en premier lieu, à adopter une bonne posture et, en second lieu, à porter votre attention sur l’expiration. Il s’agit simplement de votre expiration ordinaire, ni trafiquée ni régulée en aucune façon. Soyez présent au souffle qui sort, sentez-en la sortie, touchez-le. Bon, cela paraît simple, mais être présent à cette respiration et l’être à chacune d’elles demande beaucoup de précision. Lorsque l’on s’assoit pour commencer à méditer, toujours revenir à cette respiration fait ressortir la précision, la clarté et l’exactitude de notre esprit. Rien que le fait de toujours y revenir et d’essayer, avec douceur, d’être aussi pleinement que possible présent au souffle aiguise notre esprit.

La troisième partie de la technique consiste à se dire : “Pensée”, quand on se surprend en train de penser. Bon, cela demande également beaucoup de précision. Même si on se réveille, comme après un rêve, et qu’on se rende compte qu’on était en train de penser et qu’on revienne au souffle en oubliant, par hasard, l’étiquetage, on devrait alors marquer une toute petite pause et se dire : “Pensée.” Utilisez l’étiquette, car elle est tellement précise. Reconnaissez simplement que vous étiez en train de penser, rien que cela, ni plus ni moins, rien que “pensée”. Être avec l’expiration cultive la précision de son esprit et étiqueter la met aussi en évidence ; notre esprit devient plus clair et se stabilise ; pendant que vous vous asseyez en méditation, il ne serait pas mauvais d’en être conscient.

La douceur

Si nous ne mettions l’accent que sur la précision, notre méditation pourrait devenir assez dure et militante. Elle pourrait avoir tendance à être trop dirigée vers un but. Nous insistons donc aussi sur la douceur. Il est très utile de cultiver une sensation de détente lorsqu’on pratique la méditation. Je pense que, au fur et à mesure que l’on devient plus attentif, conscient et éveillé, on commence à remarquer que son ventre a tendance à être très crispé et ses épaules très tendues. C’est une aide considérable que de s’en apercevoir et de détendre volontairement son ventre, ses épaules et son cou. Si vous avez des difficultés à vous détendre, contentez-vous de vous y appliquer petit à petit, avec douceur et patience. Quand le souffle sort, non seulement il fait mûrir la précision de notre esprit, mais il met aussi en évidence cette qualité de douceur, cette qualité de cœur ou chaleur et cette bienveillance, parce que l’attention portée au souffle est très douce. Si l’on pratiquait une technique qui dise : “Concentrez-vous sur l’expiration, portez cent pour cent de votre attention sur l’expiration”, (et il existe de telles techniques qui sont très bénéfiques), alors on cultiverait la précision mais non la douceur. Comme cette technique fait mûrir non seulement la précision mais aussi la douceur, l’instruction propose de porter seulement vingt-cinq pour cent de l’attention sur l’expiration, ce qui est vraiment très peu. La vérité dans tout ça, c’est que si l’on se concentre sur l’expiration et seulement sur elle, on n’est conscient ni de la personne assise à côté de soi, ni des lumières qui s’allument s’éteignent, ni du bruit de l’océan. Cependant, comme, dans cette technique, nous gardons les yeux ouverts, que notre regard n’est pas fixe et que l’essentiel de la pratique est l’ouverture, même si l’on est conscient de l’expiration, on ne bloque pas pour autant tout ce qui se produit d’autre. Ainsi, seulement vingt-cinq pour cent de l’attention est porté sur l’expiration. Pour le reste, I’attention est plus diffuse : c’est simplement le fait qu’on est en vie dans cette salle, avec tout ce qui s’y passe. C’est pourquoi nous donnons l’instruction : “Soyez conscient de votre expiration, suivez votre expiration”, et c’est ce que nous faisons. Mais l’instruction de ne porter que vingt-cinq pour cent de l’attention sur le souffle met en évidence l’idée qu’il ne s’agit pas d’une pratique de concentration – il y a un très léger contact avec le souffle qui sort. Touchez le souffle et détachez-vous en. Ce toucher est à la fois précision et douceur. Touchez-le très doucement et laissez-le passer.

Si l’objet de méditation était quelque chose de concret, quelque chose de solide que l’on puisse saisir – une image, une statue, un point sur le sol ou une bougie -, notre méditation serait beaucoup plus un exercice de concentration. Mais le souffle est insaisissable ; même si on voulait lui consacrer cent pour cent de son attention, ce serait difficile parce qu’il est tellement éphémère, léger, impalpable et spacieux. Comme objet de méditation il donne un sentiment de légèreté et de douceur. C’est comme être attentif à une brise légère, mais ici il s’agit de notre expiration ordinaire et naturelle. On dit de cette technique qui utilise le souffle qu’elle est sans but. On ne la fait pas pour accomplir autre chose qu’être pleinement présent. Être pleinement présent n’est pas quelque chose qui se produit une fois pour toutes ; c’est être éveillé au flux et au reflux, au mouvement et à la création de la vie, être sensible au processus de la vie elle-même. Il y a aussi une douceur là. Il ne serait pas très doux d’être censé poursuivre un but comme “pas de pensées”. On devrait beaucoup lutter pour se débarrasser de toutes ces pensées, de toute façon, on ne pourrait probablement pas y arriver. Le fait qu’il n’y ait pas de but augmente encore la douceur.

L’instant où l’on étiquette ses pensées “pensée” est probablement le point crucial de cette technique où l’on cultive douceur, sympathie et bienveillance. Rinpoché avait l’habitude de dire : “Remarquez le ton de votre voix lorsque vous dites : ‘Pensée’.” Il se pourrait qu’il soit vraiment dur, mais en fait c’est seulement un euphémisme pour : “Sapristi ! tu étais encore en train de penser, bon sang de Dieu, espèce de crétin.” Vous pourriez vouloir vraiment dire “Imbécile, méditant lamentable, tu n’as aucun espoir d’y arriver.” Mais il ne s’agit pas du tout de cela. Tout ce qui est arrivé c’est que vous l’avez remarqué. Excellent, vous l’avez vraiment remarqué ! Vous avez observé que l’esprit n’arrête pas de penser et c’est merveilleux que vous l’ayez vu. L’ayant vu, laissez partir vos pensées. Dites : “Pensée.” Si vous remarquez que vous êtes dur, dites-le à nouveau uniquement pour cultiver l’impression que vous pourriez vous le dire avec douceur et bienveillance, en d’autres termes que, dans votre vie, vous vous efforcez de ne pas porter de jugements. Vous ne vous critiquez pas, vous voyez seulement ce qui est avec précision et douceur et vous voyez le fait de penser comme fait de penser. C’est ainsi que cette technique cultive la précision, mais aussi la douceur et un sentiment de chaleur envers soi-même. L’honnêteté de la précision et la bonté que renferme cette douceur sont caractéristiques du lien d’amitié créé avec soi-même. Aussi, pendant cette période, tout en étant aussi précis que vous le pouvez, insistez sur la douceur. Si vous sentez votre corps se tendre, détendez-le. Si vous sentez votre esprit se tendre, détendez-le. Sentez l’expansion de votre souffle dans l’espace. Quand des pensées émergent, touchez-les très légèrement, comme une plume qui effleure une bulle. Laissez tout cela être doux et tendre, mais en même temps précis.

Le lâcher prise

Le troisième aspect de la technique est l’ouverture ou le lâcher prise. Cette technique, qui semble simple, nous aide à redécouvrir la capacité que nous possédons déjà de nous ouvrir au-delà de notre étroitesse d’esprit et d’abandonner toutes sortes de fixations ou de vues bornées. La précision et la douceur sont, en quelque sorte, tangibles. On peut faire un effort pour être plus précis avec le souffle ou l’étiquetage. On peut détendre son ventre, ses épaules, son corps et on peut être plus doux avec l’expiration et plus aimable quand on étiquette les pensées. Mais il n’est pas tellement facile de lâcher prise : c’est plutôt le résultat du travail de la précision et de la douceur. Autrement dit, la capacité de lâcher prise semble apparaître lorsqu’on s’applique à suivre avec fidélité la technique, à être aussi précis et en même temps aussi bienveillant que possible. La découverte de sa capacité de lâcher prise émerge spontanément ; on ne la force pas. On ne devrait forcer ni la précision ni la douceur ; et même si on pouvait se donner comme programme de pratiquer la douceur ou la précision, il est difficile de faire du lâcher prise un projet. Quoi qu’il en soit, je vais décrire comment la technique nous amène à cette redécouverte de la capacité de lâcher prise et de s’ouvrir.

Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi nous prêtons attention à I’expiration et seulement à elle ? Pourquoi ne prêtons-nous pas attention à l’expiration et à l’inspiration ? Il existe d’autres techniques, excellentes qui enseignent au méditant à être attentif à l’expiration et à l’inspiration. Sans doute aiguisent-elles l’esprit et font-elles croître le sentiment d’une attention ponctuelle, continue et sans interruption. Mais, dans cette technique de méditation, nous suivons l’expiration ; il n’y a pas d’instruction particulière sur ce qu’il faut faire jusqu’à l’expiration suivante. La capacité de lâcher prise et de s’ouvrir à la fin de l’expiration est inhérente à cette technique car, pour un instant, il n’y a vraiment pas d’instruction sur ce qu’on doit faire. Il peut se produire, à la fin de l’expiration, ce que Rinpoché appelait une “brèche” : on a conscience du souffle qui sort, puis il y a une pause pendant l’inspiration. C’est comme si l’on… faisait un arrêt. Dire : “Ne prêtez pas attention à l’inspiration” ne vous aiderait pas du tout – ce serait comme dire : “Ne pensez pas à un éléphant rose.” Quand on vous dit de ne pas prêter attention à quelque chose, cela en devient une obsession. Néanmoins, l’attention se porte sur l’expiration et c’est comme si l’on attendait seulement l’expiration, sans autre but. On peut simplement lâcher prise à la fin de l’expiration. Le souffle sort et se dissout et peut faire place à un certain sentiment de lâcher complètement prise. Rien à quoi s’accrocher jusqu’à l’expiration suivante.

Même si c’est difficile à faire, lorsqu’on commence à porter attention à l’expiration, puis à la pause, on attend, c’est tout, avant de prêter attention à l’expiration suivante, et le sentiment d’être capable de lâcher prise se met alors à naître peu à peu. N’en attendez donc pas monts et merveilles mais, simplement, appliquez la technique. Au fil des mois et des années la façon dont vous voyez le monde commencera à changer. Vous apprendrez ce qu’est le lâcher prise et l’ouverture au-delà des croyances bornées et des préconceptions sur le monde. Avec le temps, l’expérience qui consiste à étiqueter ses pensées “pensée” devient aussi beaucoup plus claire. On peut être complètement plongé dans une rêverie, dans une remémoration du passé ou faire des projets d’avenir, totalement absorbé, comme si on avait pris place dans un avion qui s’est envolé. On est ailleurs, on est avec d’autres personnes, on a redécoré une pièce ou bien on a revécu des événements, agréables ou non, ou bien on s’inquiète énormément de quelque chose qui pourrait arriver, ou encore on retire une grande jouissance en pensant à quelque chose qui pourrait se produire, mais on y est immergé tout entier, comme si on était dans un rêve. Puis, soudain, on s’en rend compte et /n revient, un point c’est tout. C’est automatique. On se dit “pensée” et, en le disant, fondamentalement, on choisit de laisser tomber ces pensées : on ne les refoule pas, mais on les reconnaît avec beaucoup de clarté et de douceur comme du “pensée”, pour ensuite les abandonner.

Quand on commence à se familiariser avec ce processus, on acquiert une puissance incroyable : voir que l’on peut être complètement obsédé par l’espoir, la peur et toutes sortes d’autres pensées, se rendre compte de ce que l’on fait – sans le critiquer -, et que l’on peut abandonner ces pensées. C’est probablement l’un des outils les plus stupéfiants qu’on puisse recevoir, cette capacité de simplement renoncer aux choses, sans être pris dans l’étreinte de ses propres pensées de colère, de passion, d’inquiétude ou de dépression.

Entrer en amitié avec soi-même © La Table Ronde

 

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