Approche de la méditation

Approche de la méditation

Kyabdjé Kalou Rinpoché

La compréhension des qualités de l’esprit

Les qualités foncières de l’esprit : sa nature vide, claire, illimitée, sont par essence vacuité

L’esprit est vacuité, sa nature est son aptitude lumineuse à connaître, et sa manifestation est conscience illimitée et non entravée. Ce sont les qualités fondamentales de la nature de l’esprit, mais elles ne sont rien en elles-mêmes. Elles sont par essence vacuité ; cette vacuité de l’esprit s’explique par le fait que sa clarté et son dynamisme ne sont pas des choses concrètes, limitées ou fixes. C’est un point crucial qu’un maître de méditation doit transmettre à ses disciples, bien que seul un petit nombre d’entre eux soit assez réceptif pour comprendre immédiatement ce dont il s’agit et en avoir l’expérience.

Le disciple travaille à partir de sa propre expérience, analytiquement ou intuitivement

Il est nécessaire pour le disciple de réfléchir à ces idées et de bien les comprendre, soit par une approche analytique, soit par une approche plus intuitive et spontanée. Dans la méditation, nous laissons l’esprit au repos, dans sa nature propre, sans aucun artifice, ce qui permet à l’expérience de se développer, puis à d’autres moments nous observons le train de nos pensées, en analysant et en disséquant notre expérience, afin de parvenir à quelque compréhension de la nature de l’esprit. C’est ainsi que le disciple perçoit la véracité des propos du maître : il est nécessaire pour nous de travailler à partir de notre propre expérience.

L’expérience de la nature vide de l’esprit nous libère de la tyrannie émotive et mentale

Une fois que nous avons eu l’expérience de la nature vide, claire et illimitée de l’esprit, vient l’expérience que tous les contenus de l’esprit ne sont que de simples expressions de sa nature et non une chose en soi. Si nous comprenons que toutes les pensées, émotions et activités mentales ne sont que des expressions de l’esprit, et ne sont pas quelque chose d’indépendant de l’esprit, alors, quand une émotion telle que le désir surgit dans l’esprit, elle est perçue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire simplement pour une manifestation de la nature vide, claire et illimitée de l’esprit. Il n’y a pas besoin d’assigner une quelconque réalité à cette émotion de désir. Il n’est pas utile de fixer cette émotion comme quelque chose d’autre que la manifestation vide de l’esprit vide. Nous sommes alors libérés de la contrainte d’être dominés par nos émotions, puisque, habituellement, nous expérimentons ces émotions qui surviennent dans l’esprit comme quelque chose de très solide et de très réel. Du fait que nous attribuons solidité et réalité à l’émotion, nous n’avons pas d’autre possibilité que d’être soumis à la tyrannie de celle-ci, nous sommes dans la situation où nos sentiments dirigent nos actes.

Une fois que nous avons pris conscience de la nature vide de l’esprit et qu’en conséquence toutes les pensées et émotions qui surgissent dans l’esprit sont vides, nous comprenons que n’importe quelle pensée ou émotion est vide, participant de la nature essentiellement vide de l’esprit d’où elle émerge. Elle n’est pas chose en soi, et n’est ni solide ni immuable.

L’application de cette compréhension

Les souffrances et les peines sont inévitables et appartiennent à la vie

Les souffrances et les peines sont inévitables et appartiennent à la vie. Du fait de sa condition humaine, chaque être humain doit endurer les souffrances de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort. C’est quelque chose que nous ne pouvons éviter. Cette condition d’aveuglement propre aux êtres humains nous fait traverser ces souffrances contre lesquelles nous ne pouvons rien.

La principale source de souffrance en Occident est mentale, due aux conflits émotionnels

Dans un pays comme les États-Unis, il y a un tel niveau de vie que la plupart des besoins matériels sont satisfaits. À l’exception des quatre grandes souffrances que sont la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort, presque tout a été résolu sur le plan matériel. Et pourtant, il y a encore beaucoup de souffrance mentale. En fait, la principale source de souffrance en Occident est d’ordre mental. Les Occidentaux souffrent particulièrement du déséquilibre émotionnel, du manque de joie, de la confusion (que tous les êtres éprouvent), parce qu’il n’y a aucune prise en considération du contrôle judicieux des émotions. Ne comprenant pas la vacuité de l’esprit, ni la vacuité des émotions, nous nous trouvons très enclins aux conflits émotionnels.

Percevoir la nature de l’émotion est la plus efficace méthode pour maîtriser nos conflits

L’attachement, l’aversion et la stupidité sont les trois émotions primaires qui donnent naissance à toutes les autres plus subtiles en se mélangeant les unes aux autres. À cause du manque d’attention à ce qui arrive réellement quand l’esprit éprouve une émotion, les êtres souffrent de leurs émotions. Cette approche de la compréhension de la nature de l’esprit afin de percevoir la nature de l’émotion est la plus efficace des méthodes pour maîtriser nos conflits émotionnels. Elle nous libère du laborieux travail d’avoir à composer, jouer avec, ou transformer les émotions de quelque façon que ce soit. Nous expérimentons l’énergie pour ce qu’elle est, plutôt que pour ce que nous avions supposé qu’elle était. Il n’existe pas de méthode plus simple, plus directe ou plus efficace pour traiter cette souffrance qui provient de nos émotions.

Plus on exprime les émotions, plus on renforce leur tendance à apparaître

Dans l’esprit de nos contemporains, l’approche la plus commune pour traiter les émotions tant à un niveau ordinaire qu’à un niveau thérapeutique est fondée sur la conviction que plus on exprime une émotion, plus elle s’affaiblit. Si nous sommes coléreux, plus nous exprimons notre colère, plus nous nous croyons habiles à traiter cette colère. Certains ont des problèmes de désir sexuel ou d’attachement et pensent que satisfaire ces désirs est le meilleur moyen de s’en défaire. Peut-être que, pour quelqu’un qui n’a aucune idée des enseignements du dharma, c’est la seule solution. Mais, du point de vue du dharma, ceci est vraiment une manière stupide de se conduire, car plus on exprime les émotions, plus il y a d’émotions à exprimer. Plus nous exprimons une émotion et plus nous renforçons sa tendance à apparaître. En s’abandonnant à l’émotion quand elle survient, nous l’amplifions, l’embellissons, la développons plutôt que nous ne l’épuisons.

Le fait même que les émotions soient vacuité signifie qu’elles sont intarissables

Le fait même que les émotions soient vacuité signifie qu’elles sont intarissables. Si l’esprit était quelque chose de solide, réel, tangible, il en découlerait que les émotions seraient également solides, réelles et tangibles, que nous pourrions les débiter jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Mais l’esprit est par essence vide, et les émotions qui surgissent dans l’esprit sont également vides par essence et donc n’ont pas de limite. Elles peuvent être prolongées et développées autant que nous pouvons choisir de le faire, car il n’y a pas moyen d’épuiser les émotions.

L’important est de voir la nature de l’esprit afin de voir la nature de l’émotion plutôt que de regarder le contenu superficiel de celle-ci.

Eprouver un désir reconnu dans son essence, amène une expérience de félicité et vacuité

Quand, par exemple, un désir survient dans l’esprit, si nous avons compris la vacuité de cette émotion, au moment où l’émotion apparaît, nous expérimentons son irréalité, son essence vide, et spontanément survient une expérience de félicité et de vacuité. Nous n’avons pas besoin de réprimer ou supprimer cette émotion, nous n’avons pas besoin de nous abandonner à elle. Nous percevons simplement et directement son essence, lui permettant de se libérer et de s’exprimer comme une expérience plutôt que comme une émotion conflictuelle. C’est une expérience de félicité et de vacuité. Avec cette approche très efficace, la pensée est libérée au moment même où elle s’élève dans l’esprit.

De même, colère et haine sont libérées en une expérience de clarté et de félicité

Lorsqu’une personne éprouve une très forte colère ou de l’agressivité ou une grande haine envers quelqu’un, au point qu’elle désire vraiment le blesser ou le tuer, si elle peut utiliser cette méthode, en étant consciente de la vacuité de l’esprit et en reconnaissant que pensées et émotions ne sont que de simples manifestations, propres à la nature de cet esprit, alors plutôt que la colère ou la haine s’instaurera une expérience de clarté et de félicité.

L’émotion de stupidité est libérée en l’expérience de conscience intelligente et vide, rigpa

Prenons l’exemple de la stupidité, de l’opacité ou de la lourdeur d’esprit que nous éprouvons tous fréquemment durant la journée et aussi la nuit lorsqu’il n’y a aucune activité consciente dans l’esprit. Expérimenter cette émotion de stupidité, d’apathie ou d’opacité pour ce qu’elle est, se rendre compte de sa vacuité, c’est découvrir la transformation fondamentale de l’ignorance en conscience éveillée. Cette conscience intelligente ou dynamique, nommée rigpa  en tibétain (s’écrit : rig pa), est expérimentée comme vide par essence. Là où il y avait opacité, torpeur et stupidité, il y a maintenant expérience de conscience intelligente et de vacuité. Nous n’avons pas besoin d’écarter cette opacité de l’esprit, pas plus que de nous y plonger. Nous pouvons utiliser cette approche pour nous ouvrir à une expérience très bénéfique, au lieu de vivre comme d’habitude un conflit émotionnel.

Le Bouddha dit un jour qu’avoir affaire aux émotions est comme avoir affaires aux épines

Le Bouddha dit un jour qu’avoir affaire aux émotions est comme avoir affaire à des épines. Si la terre entière était couverte d’épines et si nous voulions nous promener quelque part, nous aurions deux possibilités : nous pourrions enlever toutes les épines de notre chemin, ce qui serait très fastidieux, ou nous pourrions porter d’épaisses chaussures. De même en prêtant attention à nos émotions, nous pouvons utiliser une méthode au coup par coup qui s’occuperait de chaque situation à un niveau superficiel, ou bien nous pouvons essayer de comprendre la nature de l’esprit et la nature des émotions. Cela nous procurerait une sorte de protection, nous permettant de faire face à toutes les situations sans aucun dommage.

L’expérience de la vacuité de l’émotion libère du besoin de rétablir l’équilibre de notre vie

Peut-être avez-vous déjà vécu cette situation : vous êtes assis confortablement chez vous, tout à fait heureux, et tout à coup vous ressentez une perturbation, une forte émotion, ce qui transforme radicalement cette situation. Vous ne pouvez plus supporter d’être là où vous êtes. Vous vous sentez très agité et vous ne pensez qu’à en finir avec cette émotion.

Si vous cherchez un remède pour soigner cette perturbation émotionnelle, vous n’en trouverez pas de meilleur que la vacuité. Faire l’expérience de la vacuité de l’émotion est ce qui libère de ce besoin de rétablir l’équilibre de notre vie, bouleversée par cette émotion. Le contentement et le bien-être arrivent d’abord et avant tout de la compréhension de la nature de l’esprit et de celle des émotions.

Pensées, émotions, expériences, sont manifestations continuelles de la nature de l’esprit

Durant le processus sans fin des renaissances au cours duquel l’esprit n’a pas de but précis, il y a une activité continuelle dans l’esprit. Les pensées, les émotions, les expériences surgissent continuellement, mais aucune d’elles n’a de réalité concrète. Si ces pensées et émotions étaient solides, nous devrions les trouver emmagasinées quelque part, mais tout cela est impalpable et s’en est allé. Les émotions que nous avons éprouvées ne sont pas emmagasinées dans notre corps, pas plus qu’elles ne le sont ailleurs. Elles ne sont, au niveau ultime, rien de réel à quoi nous puissions attribuer solidité et réalité. Elles sont par essence vides et intangibles, manifestations de la nature vide et intangible de l’esprit. Il peut être très bénéfique de comprendre cela, et plus encore de l’expérimenter.

Le seul fait de reconnaître la nature de notre esprit nous amène plus près de l’illumination

Une fois que nous avons expérimenté et reconnu la nature de l’esprit, la bataille est à moitié gagnée, le travail à moitié terminé, et les souhaits du Bouddha pour la diffusion du dharma sont à moitié réalisés. Nous sommes vraiment amenés plus près de l’illumination par cette seule expérience, par le seul fait d’avoir reconnu la nature de notre esprit.

L’expérience de la nature de l’esprit nécessite enseignements et méthodes appropriés

Pour aborder cette compréhension, nous avons besoin d’enseignements. Pour chercher la nature de l’esprit, nous devons être vigilants dans le choix de nos méthodes. Bien sûr il y a actuellement dans le monde beaucoup de scientifiques très brillants qui s’interrogent sur la nature de l’esprit, mais du point de vue de la réalisation spirituelle, ce qui est cherché par l’esprit est l’esprit lui-même et c’est un cercle vicieux. Le sujet recherche l’objet, qui est le sujet, qui est l’objet, et aussi longtemps que l’esprit se cherchera lui-même dans ce cadre intellectuel et conceptuel, il ne se trouvera pas. C’est une recherche sans fin. Cela ne veut pas dire que nous ne puissions pas nous servir de notre intellect pour approcher l’expérience de la nature de l’esprit. Mais en fin de compte il ne sera pas efficace.

L’approche méditative

L’approche analytique de la méditation – valable – ne mène pas à l’expérience authentique

Il y a deux approches tout à fait valables dans la méditation ; toutes les deux sont nécessaires et très importantes. La première est une approche intellectuelle, analytique, et la seconde est une approche intuitive, spontanée.

Dans le premier cas, nous recevons régulièrement les enseignements d’un maître et, une fois chez nous, nous les étudions et les pratiquons ; nous réfléchissons à ce qui nous a été enseigné, nous le comparons à notre expérience personnelle afin de la valider ou non, nous l’examinons et l’analysons pour essayer de reconnaître la justesse de ce qui nous a été enseigné à un niveau conceptuel. Ce sera quelque chose de très bénéfique, mais en définitive infructueux, car cela ne nous donnera pas l’expérience authentique de la nature de l’esprit.

L’approche intuitive, directe, consiste à voir sans regarder et à comprendre sans réfléchir

D’où la nécessité de la deuxième approche, plus intuitive, qui consiste à voir la nature de l’esprit sans la chercher. Contrairement à la démarche objectivante de l’esprit se cherchant lui-même, cette seconde approche consiste à demeurer dans un état de simplicité pure, dans lequel l’essence naturelle de l’esprit puisse se révéler d’elle-même.

Ainsi, plutôt que de chercher délibérément ce qu’est l’esprit, nous faisons l’expérience de sa nature d’une manière directe. Il n’y a personne qui cherche, ni rien qui soit cherché, il n’y a ni sujet ni objet, mais simplement l’état de conscience spontanée dans laquelle se dévoile la nature de l’esprit. À ce niveau, nous n’observons pas l’esprit comme nous le faisions durant la méditation analytique, mais plutôt nous voyons sans regarder et comprenons sans réfléchir.

L’expérience fondamentale faite, sons et formes sont expérimentés dans leur vacuité

Une fois que nous avons fait cette expérience fondamentale de la nature de l’esprit, les autres aspects de l’état d’éveil : l’expérience de la parole et des sons comme l’union du son et de la vacuité, l’expérience de notre corps physique comme l’union de la forme et de la vacuité, etc. ne nous posent plus de problème du tout. Une fois que nous avons saisi le sens de l’expérience fondamentale de la nature de l’esprit, ceci est immédiatement saisi.

Mahamudra, l’expérience directe de l’intangibilité de l’esprit, n’est pas possible d’emblée

Si nous adoptons une approche de méditation sans forme ou sans objet dans shamatha, l’expérience d’attention sans support, de vacuité, devient la méthode qui permet de développer tranquillité et stabilité de l’esprit. De façon idéale, du point de vue de la réalisation de mahamudra, notre expérience de la vacuité est totalement non conceptuelle. Elle se situe au-delà de toutes sortes de constructions mentales telles que « Qu’est-ce donc que la vacuité ? » et est simplement l’expérience directe de l’intangibilité de l’esprit.

L’esprit tranquille et stable, il y a une manière de le diriger vers l’expérience de sa nature…

Ce n’est pas quelque chose que nous soyons susceptibles d’expérimenter dès le début ; aussi notre approche sera certainement mêlée à ces sortes de fabrications mentales. Ceci est inévitable, mais tout à fait propre à la méditation. Bien que la nature de l’esprit soit par essence intangible et vide, nous tournons notre esprit vers l’expérience de la vacuité.  Il y a une manière de diriger l’esprit vers cette expérience de vacuité à l’exclusion de toute pensée ou concept qui pourrait distraire l’esprit.

… Le point essentiel est de demeurer sans distraction dans l’expérience de sa nature vide

Dans cette approche, le but de l’esprit est l’expérience de sa nature essentielle comme intangible, semblable à l’espace, libre de toute limitation. Il n’a aucune caractéristique : ni couleur, ni forme, ni dimension, ni localisation. Le point essentiel est de demeurer dans cet état sans distraction. Quand des pensées ou des distractions apparaissent dans l’esprit, nous devrions rester centré sur l’expérience de la vacuité de l’esprit sans suivre les pensées et concepts qui se présentent et sans s’abandonner à eux.

Cette sorte d’approche commence par de très courtes sessions de cinq à dix minutes

Nous devrions commencer cette sorte d’approche en ne faisant que de très courtes sessions de méditation, c’est-à-dire pas plus de cinq à dix minutes, comme l’indiquent les textes traditionnels. À moins que nous ne soyons accoutumé à cet état de vigilance et de clarté de l’attention sans support, méditer très longtemps pourrait ternir cette clarté et cette vigilance de l’esprit et amener une certaine opacité ou torpeur. Ceci peut ne pas être remarqué par le méditant et alors tous les efforts pour développer shamatha  deviennent vains.

La pacification de l’esprit

Chiné – shamatha en sanscrit – est la pratique du calme mental et de la stabilité de l’esprit

Nous allons en venir à la pratique de ce qu’on appelle en tibétain chiné (qui s’écrit zhi gnas ; en sanscrit : shamatha) : la pacification de l’esprit. Ce mot tibétain est formé de deux syllabes : chi, ce qui veut dire : apaiser, calmer ; et né, qui signifie : rester en repos, demeurer. C’est dans cet ordre qu’il convient de donner un sens au mot, car cette pratique apprend d’abord à apaiser les émotions et les pensées qui agitent et perturbent l’esprit ; donc il s’agit, dans un premier temps, de parvenir au calme. Ensuite, elle entraîne l’esprit à rester stable : c’est le repos. Il y a donc calme : chi, et repos : né ; chiné. Cette pratique du calme mental et du repos de l’esprit présente de nombreux degrés : elle peut être très grossière, elle peut avoir une qualité moyenne ou excellente :

Au niveau le plus grossier, c’est le type de calme sans clarté de la marmotte qui hiberne

– Dans son aspect le plus grossier, le calme obtenu est un état dans lequel l’esprit n’est pas agité par les pensées, n’est pas perturbé. Néanmoins, celui-ci manque de clarté. Il se trouve alors dans un état de torpeur, voire de somnolence, d’opacité. Certes, à ce niveau le plus bas, le calme n’est pas dépourvu de toute qualité, car lorsque l’esprit est au repos le corps s’y trouve aussi. Pour prendre un exemple, il y a des animaux, comme les marmottes, qui hibernent ; l’hiver, ils restent dans leurs terriers, en une sorte de léthargie. Ils ne mangent pas, ils n’urinent pas, ils ne bougent pas, ils n’ont aucun besoin. Leur corps peut rester ainsi, non agité par des pensées ou par des émotions, pendant environ six mois. Ce n’est évidemment pas à ce type de calme que nous aspirons.

L’attachement aux expériences de félicité, clarté et non-pensée conduit aux états divins

– Le deuxième niveau de chiné a lui-même plusieurs aspects. L’esprit peut être absorbé, soit dans le bonheur et la félicité, soit dans la clarté et la lucidité, soit dans un état sans pensées, sans concepts. Lorsqu’il développe la capacité de rester dans le bonheur qui provient de la méditation, il prend naissance dans des états supérieurs, des états divins appelés dans la cosmogonie traditionnelle « les états divins du monde des désirs ». Lorsqu’il devient capable de demeurer de façon stable dans un état de lucidité, il renaît dans des états divins dits « de la forme pure ». Enfin, s’il peut rester absorbé en un état dépourvu de pensées et de concepts, il renaît dans ce qu’on appelle « les mondes des états divins non formels ».

Même les plus subtils des états d’absorption ne conduisent pas à la véritable libération

– Mais toutes ces absorptions, qui peuvent être extrêmement hautes et subtiles, ne conduisent pas à la véritable libération. N’amène à la délivrance, à la libération véritable, que la forme la plus élevée de chiné, celle dans laquelle l’esprit reste non seulement au repos mais se trouve aussi capable de percevoir sa nature profonde.

Toutes les traditions ont des méthodes pour pacifier et stabiliser l’esprit

Se distinguent dans cette approche de chiné ce qu’on appelle « les neuf niveaux de pacification de l’esprit ». Ce sont neuf étapes qu’il doit franchir pour se stabiliser petit à petit. Cette stabilisation n’est pas spécifique à la tradition bouddhique ; dans toutes les autres traditions se trouvent des méthodes pour apaiser, pour pacifier l’esprit.

La pratique commence en laissant l’esprit dans son immensité lucide,  ouverte, détendue

Habituellement, on a tendance à s’enfermer. L’esprit se confine dans le corps ; on se dit : « C’est mon corps » et l’on se tend, on se crispe. Il en résulte des douleurs corporelles, des maux de tête, etc. Il est très important de rester sans tension aucune. Une parole de Milarépa dit qu’il faut laisser l’esprit dans son immensité …, dans son immensité lucide, ouverte et détendue. Ainsi commence-t-on à pratiquer.

Ensuite, il est très important d’avoir un guide qualifié pour nous mener dans la bonne voie

Mais il est très important pour la suite des exercices d’avoir un guide qualifié qui puisse nous diriger et nous mener peu à peu dans la bonne voie.

Dès que nous commençons à stabiliser notre esprit et à comprendre cette méditation, toutes les autres disciplines spirituelles et toutes les formes de pratique deviennent beaucoup plus faciles ; on peut alors conduire celle-ci comme on circule sur une autoroute !

Pour dépasser l’identification à notre corps, on utilise un support de méditation

Dans notre état actuel, nous nous identifions à une forme qui est celle de notre corps, et depuis des temps immémoriaux nous avons pris l’habitude de penser : « Je suis cette forme. Je suis. J’existe. Je suis cela ». Pour dépasser cette identification, nous allons utiliser un support de méditation. L’un des plus fréquemment utilisés est le souffle : on porte son attention sur le souffle.

La pratique de chiné fondée sur le souffle est la meilleure en ce qui concerne la longévité

La maîtrise de cette technique de chiné fondée sur le souffle s’accompagne, d’une façon naturelle, d’un ralentissement de notre rythme respiratoire. Si nous faisons d’ordinaire cent respirations en une heure par exemple, il se pourra que ce rythme s’abaisse à quatre-vingt, soixante-dix, voire soixante. Et ce ralentissement a un effet secondaire important : économiser notre énergie vitale et allonger notre vie. Il y a une connexion entre le rythme respiratoire et l’usure des facultés vitales. Traditionnellement, on enseigne que cette pratique du repos de l’esprit, fondée sur la respiration, est la meilleure des pratiques en ce qui concerne la longévité.

Il importe de se familiariser avec l’état naturel de l’esprit au repos, lucide-attentif-vigilant

Certaines personnes arrivent bien à laisser l’esprit sans pensées, mais dans un état inerte, immobile, opaque, un état proche du sommeil. Ce n’est pas du tout l’état propre à chiné ; c’est, peut-on dire, un état de somnolence ou de stupeur. Il est essentiel dans cette pratique que notre esprit reste lucide, attentif et vigilant, sans sortir d’un état de repos qui s’établit spontanément, autrement dit sans contrainte, sans intervention, sans fabrication. Cette pratique peut paraître extrêmement simple, mais le fait que nous n’en ayons pas l’habitude, et que notre esprit ait toujours tendance à suivre ses pensées, la rend au contraire difficile. Il est donc important de se familiariser avec elle et petit à petit on arrivera à trouver l’état de repos correct.

Cette méditation en la connaissance directe de l’esprit, a des qualités et vertus énormes

Lorsque nous parvenons à le laisser dans son état naturel et au repos, notre esprit se révèle progressivement dans sa nature profonde ; on peut ainsi le connaître directement et une telle méditation montre alors toutes ses qualités et toutes ses vertus, qui sont énormes.

Le calme intérieur atteint et l’esprit stabilisé, cet état peut être maintenu tout le temps

Bien entendu, les conditions les plus favorables pour développer la pratique du calme mental et du repos de l’esprit se trouvent dans l’isolement et le silence. Mais une fois que le calme intérieur a été atteint, une fois que l’esprit est stabilisé, cet état peut être maintenu en n’importe quelle circonstance. On peut même alors utiliser des bruits violents comme supports de méditation ; par exemple, on s’installera au bord d’un torrent et l’on s’absorbera dans son grondement. Pour les citadins, il existe une autre possibilité : se mettre au sommet de son immeuble et pratiquer chiné  en écoutant les bruits de la circulation !

Divers signes marquent les étapes de l’expérience progressive de cessation des pensées

Quand on fait cette pratique, les pensées cessent. En quelque sorte, il faut mettre un feu rouge pour que la circulation de nos pensées s’arrête. Une telle expérience est progressive ; différents signes apparaissent, qui marquent les étapes de cette progression. Il est important de reconnaître ces signes pour le succès de la pratique, et d’en parler à un guide compétent, un lama.

 

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