L’unité des trois véhicules

Lama Denys Rinpoché

Le Bouddha a enseigné à différents niveaux afin de proposer à chacun un chemin adapté à ses aptitudes. Le Dharma est ainsi présenté suivant les points de vue en un seul, en deux, en trois, ou encore en neuf véhicules ou yana. Cet exposé montre la progression et la complémentarité entre les trois véhicules que sont hinayana, mahayana et vajrayana.

Dans la vie même de Sakyamuni Bouddha, il y eut un développement qui correspond à une exposition progressive du Dharma. Cette progression nous est parvenue vingt-cinq siècles plus tard, sous la forme d’une présentation en trois véhicules ou niveaux d’enseignement : le hinayana, le mahayana et le vajrayana. Il faut faire attention à ces catégorisations qui pourraient facilement devenir un peu rigides et systématiques mais néanmoins, cette vision est utile et pleine de sens.

On entend par hinayana les bases de l’enseignement, ses fondements : les quatre nobles réalités avec la discipline associée, une discipline du corps, de la parole et de l’esprit, une discipline d’action et de méditation qui travaille sur la fixation de l’ego, sur l’expérience d’ego. Il s’agit là d’une progression dans le cadre de cette discipline, et dans une dominante qui est celle du non-attachement, du renoncement et de la compréhension du non-ego.

Ensuite il y a le niveau du mahayana qui peut être mis en rapport avec le deuxième cycle de l’enseignement. C’est une approche beaucoup plus large et ouverte qui ne considère pas simplement l’absence de réalité du moi-je, mais la vacuité de toute expérience, de toute chose, l’ouverture de toute expérience en toutes situations. Cette approche de la vacuité est une approche d’ouverture au monde, d’ouverture aux autres, d’ouverture totale.

Le mahayana est la voie de l’ouverture alors que le hinayana, dans la perspective que nous venons de suggérer, pourrait être plus particulièrement la voie du non-attachement. Il y a d’abord la voie du non-attachement et ensuite la voie de l’ouverture. Cette ouverture est celle du cœur et celle de l’esprit : l’ouverture du cœur dans l’amour, la compassion authentique, et une ouverture de l’esprit dans la présence à l’instant, la présence immanente de la réalité. Une présence, tout simplement. Pour le mahayana, amour et ouverture, compassion et vacuité, sont les deux pôles, les deux axes complémentaires et indissociables.

Dans ce contexte, c’est-à-dire sur la base du hinayana et avec l’ouverture du mahayana, il y a une approche particulière qui est celle du vajrayana. C’est une approche de la plénitude, une approche de la complétude, de la perfection. Elle est en relation avec la partie finale de l’enseignement du Bouddha, le troisième cycle, bien que celui-ci ne soit pas réductible au vajrayana.

Le vajrayana est une expansion et un développement du mahayana et sa spécificité est une méthodologie pratique particulière. Cette méthodologie reconnaît dans la vacuité, c’est-à-dire dans l’absence d’illusions, la réalité absolue, et cette réalité absolue est envisagée comme Dieu, comme déité. Dieu ou la déité est une vue du pur esprit, une vue de l’esprit pur qui est utilisée comme support pour une pratique particulière appelée un sadhana. Le dynamisme de ce sadhana nous amène progressivement à l’expérience de cette présence du pur esprit, à l’expérience pure de la déité, de la nature de bouddha.

Hinayana, mahayana et vajrayana sont trois approches qui, essentiellement, peuvent amener au même Éveil, amener la réalisation de la non-dualité ; il n’y a pas deux non-dualités ! Mais l’approche, les méthodes, les moyens diffèrent, sont plus ou moins praticables suivant les différentes réceptivités, les différents environnements ; ils sont aussi plus ou moins directs, efficaces.

Kyabdjé Kalou Rinpoché insiste dans ses enseignements sur l’unité de ces trois approches, en les considérant comme étant essentiellement différentes voies qui amènent à une même réalisation. Il n’y a pas foncièrement trois voies. Il y a une seule voie qui amène à la même réalisation mais qui a trois niveaux ou trois aspects, trois facettes, plus ou moins appropriés à la réceptivité des étudiants et suivant la progression, le niveau d’apprentissage de ceux-ci.

La complémentarité des trois yanas est souvent exposée à partir du symbolisme de la construction. Pour construire un édifice, il faut d’abord poser les bases, les fondements qui sont le hinayana. Sur cette fondation il est possible ensuite d’installer des murs et lorsqu’on a posé ainsi des murs qui constituent l’espace, l’environnement de l’édifice – le mahayana – il est finalement possible de poser la superstructure, le toit, le faîte de l’édifice qui, dans l’image, correspond au vajrayana.

Du mahayana au vajrayana

Le vajrayana est donc une amplification du mahayana de base, ou paramitayana, fondée sur la pratique des six perfections, ou paramitas. La motivation qui le sous-tend est la même : bodhicitta qui, au niveau du vajrayana, doit même être encore plus intense.

Le véhicule adamantin n’est pas pratiqué seulement parce qu’il est réputé puissant et rapide ; les personnes qui s’y engagent, outre leur compétence et leurs facultés aiguës, doivent être animées d’un amour, d’une aspiration altruiste si profonds qu’elles ne supportent pas que, durant l’immense période nécessaire à l’accomplissement de l’éveil en suivant le paramitayana, les êtres continuent d’errer et de souffrir dans les six mondes. Elles désirent avant tout utiliser les méthodes rapides du véhicule adamantin dans le but d’être plus vite à même de les aider à s’éveiller.

L’approche du vajrayana est aussi une amplification de la perspective et de l’expérience de vacuité proposées par le paramitayana. Une première expérience imparfaite et limitée de la vacuité peut développer une vision terne, fade, la vision des formes comme vide, rien que vide.

L’approche du vajrayana propose la vision du vide comme forme. C’est, à partir de la vacuité, un retour dans l’expérience des formes, la découverte de leur nature énergétique, de tout ce qu’il y a en elles de richesses, de qualités et de puissance. Il y a aussi l’émergence de l’énergie dans la vacuité ; l’apparition d’une dimension dynamique, pleine et vivante, au sein de celle-ci.

L’expérience de la vacuité peut donc d’abord être envisagée comme un passage au-delà des illusions, dans le nirvana ; mais ensuite, le vajrayana réintroduit en quelque sorte le monde des formes, le samsara, dans le nirvarna. C’est de ce point de vue que la tradition tantrique parle de l’indissociabilité du samsara et du nirvana, de la forme et de la vacuité, de l’énergie et de la vacuité.

Toutes ces pratiques sont fondées sur ce rapport entre le vide et la forme : de la forme au vide, puis du vide à la forme, et finalement, au-delà des deux.

Dans le vajrayana, les qualités énergétiques de la vacuité sont envisagées sous la forme de la divinité. Sa méthode puissante et profonde utilise la représentation symbolique de la divinité pour envisager l’énergie de la vacuité, la relation à cette représentation faisant dépasser progressivement ce qui nous sépare de notre nature éveillée, ce qui nous tient à l’écart de la divinité. Le vajrayana n’est pas le seul moyen pour atteindre l’éveil mais, pédagogiquement parlant, son approche est supérieure à celle du paramitayana, car beaucoup plus rapide, dynamique, utilisant la force même des illusions comme moteur de la pratique.

Certains pensent à tort que le vajrayana est réservé aux personnes qui ont des facilités pour se représenter les divinités et leur domaine pur. En fait, il convient à tous ceux qui, bien préparés, sont attirés par cette voie ; la réceptivité étant un facteur déterminant.

L’approche du vajrayana peut hérisser certaines personnes qui ne la comprennent pas bien. Elle n’est pas rationnelle comme le hinayana ou le paramitayana. Elle opère un détour qui n’est pas vraiment compréhensible pour notre intellect ordinaire, aussi demande-t-elle une certaine confiance sans laquelle il n’est pas possible d’utiliser les moyens qu’elle nous propose. Mais, lorsque cette confiance n’est pas innée, ce qui est généralement le cas, elle s’acquiert par la compréhension et par les pratiques du hinayana puis du paramitayana : de samatha-vipasyana, de tonglen et des paramitas. Cette progression est nécessaire.

Extrait de « L’éveil du cœur et de l’esprit » © Collection documents d’études, 1995.

 

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