Le rôle de la déité dans le vajrayana

Lama Denys

Le vajrayana présente de nombreux moyens habiles permettant à l’adepte qualifié et motivé de réaliser plus rapidement sa nature ultime. Parmi ceux-ci la pratique d’une déité ou yidam peut s’avérer très efficace, pour peu qu’on ne la fige pas dans des conceptions théistes ou de représentations anthropomorphiques.

D’une façon générale, l’approche du vajrayana, sur la base d’une relation directe et personnelle entre un lama et un disciple, transmet une pratique particulière, un sadhana qui est fondé sur une déité et cette approche du vajrayana lie le maître, le disciple, la déité, la pratique, dans une relation essentielle, sacrée qu’on appelle le samaya : le lien sacré. Le fondement du samaya est le lien indestructible et inévitable qui nous unit à notre nature essentielle, la nature de bouddha. Nous avons la nature de bouddha et, quand bien même voudrions-nous ne pas l’avoir, nous ne pourrions pas y échapper.

Mais le samaya, dans la pratique du vajrayana, est ce qui nous relie à cette expérience sacrée qui est notre nature essentielle. Ce lien, nous y sommes introduits par la consécration, l’initiation. Il nous est présenté par un lama, un maître du vajrayana, et il est vécu dans un sadhana, une pratique associée à une déité.

Nous pouvons prendre ici l’exemple de Tchènrézi, le Bouddha de la compassion, qui est une telle déité. Il est important de dire et de bien comprendre que la pratique du vajrayana a différents niveaux : extérieur, intérieur, secret et plus secret. La façon dont nous l’envisagerons maintenant est à un niveau à la fois essentiel et aussi extérieur : essentiel dans la vision et extérieur dans la formulation. C’est ce que faisait Kyabdjé Kalou Rinpoché lorsqu’il présentait le sadhana de Tchènrézi comme une pratique pouvant être abordée par toute personne ayant la réceptivité et la motivation qui lui permettant une connexion positive avec cette pratique.

Une déité est Dieu, au-delà de toute notion d’anthropomorphisme physique, psychologique ou spirituel. La déité est l’absolu, ce qui est sans autre, l’ultime non-dualité, la nature de bouddha, le trikaya, l’ouverture, la clarté et la réceptivité-disponibilité ultimes. La nature de Tchènrézi est notre expérience dans son ultime ouverture, son ultime clarté et son ultime réceptivité-disponibilité, son ultime amour. Tchènrézi est l’amour éveillé, la réceptivité-disponibilité éveillée qui habite l’ouverture et l’intelligence absolues.

Le propre de la méthode du vajrayana est d’utiliser une représentation symbolique pour réintégrer cette nature qui est déjà la nôtre mais dont nous sommes séparés par nous-mêmes. Une représentation symbolique est une vue de l’esprit ; une vue de l’esprit signifiant une représentation qui a en vue l’esprit pur, qui est une vision du pur esprit, une vision de l’expérience pure, d’ouverture, de clarté et de disponibilité.

La nature de Bouddha, l’expérience pure est envisagée, représentée symboliquement et cette représentation sert de support à une pratique qui nous permet de vivre la présence de l’Éveil dans notre expérience habituelle. Dans le sadhana de Tchènrézi, nous apprenons à nous familiariser avec la présence de Tchènrézi, à vivre dans la présence de Tchènrézi et de son domaine ; ce qui est une façon de découvrir et d’expérimenter la présence de l’Éveil dans notre vécu habituel. Cette présence de Tchènrézi, dont la nature est le trikaya, va servir pour établir cette continuité entre l’ouverture, la clarté, la disponibilité de maintenant et l’expérience finale de celles-ci.

Cela peut sembler un peu difficile mais il s’agit d’abord et surtout d’une expérience. Celle-ci se révèle petit à petit. Le plus important, dans un premier temps, est de ne pas investir dans cette pratique toutes sortes de notions erronées, de ne pas interpréter une pratique du vajrayana dans une perspective théiste, voire en fonction de toutes sortes de notions dont nous pouvons avoir hérité de notre environnement habituel.

Petit à petit, le sens véritable de la pratique se révèle dans l’expérience. Le cœur de la pratique du tantra est l’expérience, le vécu. C’est une sorte de réconciliation avec la vie, avec son vécu, avec son expérience. C’est dépasser la peur qu’on a de son expérience, la peur qu’on a d’expérimenter ce qu’on vit, la peur de ce qu’on est. C’est l’apprentissage d’une relation directe, énergétique, pleine ; c’est la découverte de la présence de l’Eveil dans la vie ordinaire.

Nous employons ici, plus que le terme de Dieu, le mot de déité pour traduire yidam. On pourrait dire Dieu mais, à ce moment-là, on amènerait tout un background anthropomorphe, un background théiste. Mais même de grands mystiques chrétiens, des docteurs du christianisme ont utilisé cette notion de déité. Elle était chère particulièrement à Maître Eckhart. C’est dans ce sens que nous aurions tendance à l’employer sans pouvoir faire une assimilation précise ; c’est-à-dire l’absolu vide de quoi que ce soit d’autre. C’est finalement une proposition tautologique car l’absolu est toujours sans autre, l’absolu est ce qui ne dépend pas de quelque chose d’autre et finalement ce qui est sans autre. L’autre, par rapport à l’absolu, c’est la dualité.

Donc la déité est la façon dont le vajrayana nomme l’absolu, entendu que celui-ci est la plénitude de la non-dualité. Cet absolu non dualiste est, comme nous le disions, envisagé dans une représentation, un symbole qui, dans une méthode pratique spéciale, un sadhana, est utilisé comme support pour un cheminement qui amène à la réalisation, l’actualisation de cet absolu.

Cet absolu non dualiste qu’est la déité est une expérience libre de toute conception, l’ultime expérience de non-conception. C’est cette ultime expérience de non-conception qui se représente en un symbole qui est, pour nous, l’expression de la présence de cet absolu et, dans la perception de cette présence, un support vers sa réalisation.

Extrait de « L’éveil du cœur et de l’esprit » © Collection Documents d’études, 1995.

 

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