Le souffle et la pratique de Tchènrézi

Lama Denys

Pour pratiquer le yoga d’une déité il est indispensable de recevoir du lama une transmission avec trois dimensions : l’initiation (wang), la lecture rituelle du texte du sadhana (lung) et les instructions particulières pour en effectuer la pratique (tri). Les trois sont nécessaires et complémentaires. Dans ce texte, qui est la transcription d’une méditation guidée et de son introduction, Lama Denys présente le lung et transmets les instructions, le tri.

La transmission du souffle d’éveil, “le loung”

Lung est un mot tibétain qui a le sens de transmission… d’une pratique, du texte. C’est une transcription scripturaire qui est véhiculée par le souffle. Lung d’ailleurs est homophone avec le mot tibétain pour souffle (“lung” et “rlung”). Donc, cette transmission se fait en soufflant le texte, c’est-à-dire en lui donnant vie par la parole, par la force du souffle qui s’expriment en sons et en mots. Bref, il s’agit de la lecture rituelle du texte.

Lorsque l’on commence la pratique, il est d’abord au moins nécessaire d’avoir la connexion de base, le lung qui simplement confère l’autorisation régulière de faire cette pratique. La régularité vient de la transmission, de la passation, du rattachement aussi, à toute une filiation au sein de laquelle, depuis les origines, cette pratique est passée de génération en génération, et ce de manière ininterrompue. C’est en quelque sorte une façon de recevoir et de passer l’héritage des ancêtres. Ce rattachement est important car c’est par celui-ci – et lorsque celui-ci s’approfondit – que se transmet véritablement l’inspiration profonde de la pratique, l’énergie spirituelle qui anime la pratique.

S’abandonner en confiance…

Dans la pratique de Tchènrézi, la confiance joue un rôle fondamental. Ce n’est pas du tout ici une croyance ou une confiance en quelque chose, mais la confiance fondamentale : faire confiance à Tchènrézi en soi, au fond de son expérience, faire confiance en notre nature de bouddha… C’est aussi nous détendre, nous laisser aller nous abandonner à ce que nous sommes, à ce qui est. Nous nous acceptons ; il y a même une amitié, un accueil de ce que nous sommes et de ce qui est. Et par-delà toute forme de lutte, de refus, de défense, on s’abandonne ainsi à ce que l’on est fondamentalement, à sa nature de bouddha.

Le sadhana commence par les préliminaires : entrer en refuge et éveiller bodhicitta. Nous récitons le quatrain correspondant et vivons ce dont il s’agit. Puis nous récitons le texte des quatre considérations, des quatre contemplations pour transformer sa mentalité. Pendant un court instant nous nous les remémorons et les ravivons en notre esprit.

La description de Tchènrézi

Ensuite nous récitons, chantons le texte de la phase de génération et vivons celui-ci en commençant par le lotus et le disque de lune au sommet de notre tête et de celle de tout vivant.

De la lettre Hri émane un luminosité. Elle irradie dans tout l’espace comme offrande à tout bouddha puis revient. Dans son irradiation elle dissout les illusions, l’ignorance, la confusion, les passions et les souffrances de tout être et finalement, réintégrant sa source, la luminosité prend la forme de Tchènrézi, transparent, lumineux… Il s’agit surtout de vivre sa présence – celle de ses qualités –dans l’intelligence qu’elle est, en essence, l’union de tout refuge.

Au-dessus de ma tête et de tous les êtres
En nombre infini comme vaste est l’espace

Cette nature de Bouddha, Tchènrézi, nous commençons par la percevoir comme la nature de tous les êtres… au-dessus de la tête de tous les êtres, vaste, immense, tout aussi infinie que l’espace.

Sont un lotus blanc et le disque de lune

Le lotus blanc est le symbole de bodhicitta ultime, de l’esprit pur, de mahamudra, le trikaya, les trois qualités de l’éveil dans ce qu’elles ont de plus essentiel.

Le disque de lune dans ce lotus représente bodhicitta relative, qui est l’expression de ce pur esprit, la nature de Bouddha, dans les situations relationnelles. La compassion, la qualité de cette relation, procède directement des trois qualités de bodhicitta ultime : l’ouverture permet d’accueillir l’autre, la disponibilité est un état de présence sans fixation et la clarté est adéquation avec la situation et avec son énergie. Les qualités de bodhicitta ultime sont au cœur de la compassion, de bodhicitta relative. Simplement : les deux bodhicitta sont le siège de Tchènrézi.

Dessus HRI devient le noble Tchènrézi

Hri est la syllabe-germe de Tchènrézi. C’est l’esprit pur dans son expression la plus simple : juste une sonorité… qui se développe ensuite en la forme de Tchènrézi.

Blanc, lumineux, irisé de cinq couleurs

Son sourire est magnifique et son regard d’amour

Tchènrézi est blanc, ce qui exprime la pureté. Sa présence a une qualité de douceur… Et le fait d’être en cette présence nous donne, à nous aussi, une qualité de bienveillance et d’amour.

De ses quatre mains, les premières sont jointes
Alors qu’il détient dans les deux autres
Un mala de cristal et un lotus blanc.

Ses deux premières mains sont jointes ; ce qui exprime que Tchènrézi en ses qualités agit pour les êtres. Il tient dans ces mains un joyau (cittamani), qui est le pouvoir qu’a l’esprit pur d’accomplir tous les souhaits, toutes les intentions pures dans le Dharma. De ses deux autres mains, la droite tient un mala de cristal ; c’est l’expression de son pouvoir libérateur : comme on tire à soi les grains de son mala, il tire tous les êtres à sa réalisation. La gauche tient un lotus blanc ; semblable au lotus, Tchènrézi se manifeste à nous, mais sous une forme pure qui n’est pas souillée par la confusion du samsara.

Paré de soieries et d’ornements précieux,
Une peau de biche couvre son épaule.

Les joyaux expriment que cette qualité de l’esprit essentiel n’est pas dépourvue d’attributs, qu’elle est même riche de qualités qui sont ces joyaux. Sur son diadème sont représentées les cinq connaissances primordiales, les cinq facettes de l’expérience éveillée. Les soieries qui le parent représentent, elles aussi, les vertus transcendantes ou d’autres aspects des qualités éveillées.

Bouddha de lumière infinie le couronne

L’aspect de la nature de l’esprit qui correspond plus particulièrement à toutes ces qualités est sambhogakaya ; le corps d’expérience parfaite. Le sambhogakaya est issu du dharmakaya, qui est l’esprit pur dans son aspect d’ouverture, illimité et sans concept. La représentation du dharmakaya est dépouillée, ici c’est Amitabha qui symbolise, au niveau du dharmakaya, ce qu’est Tchènrézi au niveau du sambhogakaya. Pour exprimer que les deux sont indissociables et que l’un, le sambhogakaya, est issu de l’autre, le dharmakaya, il y a le maître de Tchènrézi, Amitabha, qui siège au-dessus de lui. La caractéristique d’Amitabha est d’être cette Lumière Infinie, qu’on appelle aussi Claire Lumière.

Les deux jambes dans l’assise adamantine,
Adossé à une lune immaculée,
En essence il est l’union de tous refuges.

L’assise adamantine est l’assise vajra, indestructible, qui exprime le caractère indestructible de la nature de Tchènrézi. Elle symbolise aussi le fait que, au sein de cette nature indestructible, toutes les oppositions, y compris celle entre samsara et nirvana, sont complètement dépassées.

La lune immaculée représente simplement sa perfection. Tchènrézi, en essence, est le dénominateur commun de tous les refuges. Le Dharma, l’enseignement, vient du Bouddha, le Sangha vient du Dharma. C’est pourquoi, le Sangha se résume au Dharma qui se résume à son tour au Bouddha, qui est fondamentalement Trikaya, les trois corps du Bouddha, la nature de bouddha.

Nous faisons un instant de pause, à la fin du texte de la représentation, pour entrer pendant un moment dans cette expérience.

L’hommage à Tchènrézi

Ensuite, il y a un hommage, une prière qui consiste à exprimer notre confiance en notre nature fondamentale, en l’éveil, à s’abandonner dans l’état naturel de notre esprit, qui a ces qualités essentielles qui sont celles de notre nature de Bouddha. La prière c’est, dans la détente, de s’ouvrir et de s’exposer à la clarté du soleil, de Tchènrézi, avec ses qualités qui apportent à la fois lumière et chaleur, qui apportent à la fois intelligence et amour. Donc, la prière est ce geste d’ouverture et d’abandon qui prend ici la forme d’un hommage. On rend hommage à Tchènrézi en lui faisant le plus beau don possible, celui de nous-mêmes, dans cette ouverture.

Blanc seigneur que faute ne voile,
Couronné du Bouddha suprême,
“Regard d’amour voyant tous vivants”,
Hommage à vous noble Tchènrézi.

Tchènrézi est la pureté de l’esprit lorsque tous les voiles sont tombés, il n’est souillé par aucun voile. Amitabha, la Claire Lumière est sa nature et ce dont il procède, son activité est celle d’une compassion, d’un amour qui prend en charge tous les êtres. Cet hommage à ses qualités est récité trois fois.

En priant l’esprit ainsi tout absorbé,
Du corps du très noble émane une lumière,
Les manifestations du karma impur et les perceptions erronnées purifiées
Le monde est le champ pur de félicité,
Le corps, la parole, l’esprit de tous les êtres,
Sontles corps, paroles esprit de Tchènrézi,
Unis aux formes, sons et connaissance vides.

L’expérience de la présence par le rayonnement de Tchènrézi

Abandonné en la présence de Tchènrézi à travers cet hommage, de son corps irradie une luminosité. Elle rayonne dans tout l’espace, omniprésente en celle-ci, les manifestations du karma impur (les six mondes) et les perceptions erronées (la confusion du samsara) se purifient, se dissolvent, et la réalité foncière se révèle. Elle nous apparaît d’abord comme “le pur champ de félicité”, Déouatchène, le domaine de Tchènrézi : et tous les êtres sont aussi Tchènrézi en corps, en parole et en esprit. Dans la prière, nous nous sommes abandonnés, il s’est produit cette purification de nous-mêmes et la totalité de notre expérience vide de nous mêmes est : formes, sons et connaissances vides. Tchènrézi est la totalité de notre expérience vide de nous-mêmes.

Les apparences vides sont les apparences expérimentées sans possesseur. La sonorité vide est l’expérience de sons ou de paroles sans possesseur. La connaissance vide est tout phénomène mental sans possesseur. Cette expérience est la nature de Tchènrézi. Le corps, la parole et l’esprit de Tchènrézi sont forme, son et connaissance vides. C’est en méditant ainsi que l’on récite le mantra : Aum Mani Pémé Houng.

Ouverture et transparence dans la simple récitation du mantra

Nous pouvons réciter le mantra en étant simplement dans une expérience complètement ouverte, dégagée, dans la résonance du mantra qui emplit l’espace. Et en cette expérience ouverte, dégagée, apparences, sons et pensées sont transparents – présents et en même temps, dans cette expérience ouverte : absents, transparents. Nous ne nous fixons pas dessus, nous ne les saisissons pas. Nous nous laissons aller dans cette expérience d’ouverture et de transparence en récitant simplement le mantra – sans rien d’autre.

Puis nous pouvons continuer cette même expérience – ouverte, transparente – en récitant le mantra, mais cette fois-ci mentalement, silencieusement. Nous le faisons pendant quelque temps.

La phase de perfection, “dzorim”

Entre la phase de représentation et de récitation, et la phase sans formes, il est une transition qui peut être méditée. Elle commence par le lotus, le disque de lune et la lettre HRI en notre cœur, comme précédemment. Et ainsi, du cœur de Tchènrézi – Tchènrézi à notre place – diffuse comme précédemment une lumière en tout l’espace – lumière omniprésente. Le monde extérieur se dissout en cette lumière qui se résorbe en la clarté et en l’apparence de Tchènrézi qui fond en lumière et se résorbe en la lettre HRI ; la périphérie, lotus, disque de lune se résorbent en la lettre HRI, et son fin filament blanc, lumineux, se résorbe à son tour, de bas en haut, élément dans élément, jusqu’à ne plus être qu’un point blanc qui rétrécit… minuscule, infime, s’évanouit. Sans références et sans appuis, l’expérience reste au repos dans son état naturel : sans aucun artifice du mental, aucune induction ou production, aucune tentative de méditer délibérément comme ceci ou comme cela… sans en être distrait.

Nous reposons ainsi en cette expérience, silencieusement, quelques instants ; et c’est la seconde phase : dzorim, sampanakrama.

Retour à la présence omniprésente de Tchènrézi

A la fin de cette phase sans formes – ou de repos dans l’état naturel de l’expérience –, lorsque des conceptions, des idées, des notions, pensées particulières émergent, l’on revient à la présence de Tchènrézi, à la notion et à l’expérience de la présence de Tchènrézi : présence omniprésente. Toute forme a la nature du corps de Tchènrézi, toute résonance est celle de son mantra, et toute pensée, cognition, celle de son esprit.

Corps et formes miens et autres sont le noble,
Sons et paroles chantent les six syllabes,
Cognitions et pensées sont l’immensité
de la grande intelligence d’immédiateté.

Ainsi toute expérience de forme, de son, d’esprit, se vit dans l’immensité de la grande intelligence d’immédiateté – l’immensité étant un nom pour l’ouverture illimitée : l’immensité est à l’espace ce que l’éternité est au temps. C’est cette ouverture qui est celle aussi de la grande intelligence d’immédiateté.

Dédicace et souhait de naissance en Déouatchène

Par ces bienfait puisse l’omniscience être obtenue
Et les ennemis que sont les méfaits vaincus,
Des vagues conflictuelles de naissance, vieillesse maladie et mort,
De l’océan du samsara puissè-je délivrer les êtres.

C’est le souhait que cette pratique soit une cause d’éveil pour nous, pour tous, et qu’en la réalisation de celle-ci, nous puissions œuvrer pour le bien de tout être.

Cette dédicace se complète avec le souhait de Déouatchène. La récitation du texte est le support pour inscrire, imprimer au plus profond de notre cœur ce souhait d’éveil : ce souhait de naissance en Déouatchène.

Enseignement donnés à Karma Ling, 1993

 

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