Les engagements sacrés du vajrayana

Kyabjé Kalou Rinpoché

Les pratiquants du vajrayana se doivent de respecter certains engagements lorsqu’il reçoivent initiation et instructions pour la pratique d’un sadhana. Kalou Rinpoché présente de façon synthétique les vœux secrets ou samayas, et ce qu’ils impliquent pour les tantrikas.

Le vajrayana, tout comme le hinayana et le mahayana, implique des vœux : les engagements sacrés (sanscrit samaya, tibétain damtsik) liés aux initiations.

Une initiation véhicule en elle-même une grande force, une puissante bénédiction et un important mouvement de compassion. Le bienfait que le disciple retirera de l’initiation dépend cependant grandement de l’observance des engagements sacrés qui l’accompagnent. Il est dit que s’il les respecte, il montera vers la libération tandis que s’il les transgresse il chutera dans les mondes inférieurs. Pour faire comprendre à quel point ces engagements sont cruciaux dans le vajrayana, on dit que l’adepte de cette voie est semblable à un serpent engagé à l’intérieur d’un bambou. Il n’a que deux possibilités, monter ou descendre, toute sortie sur le côté lui étant interdite. De même, le pratiquant du vajrayana, selon qu’il respecte ou transgresse les samayas des initiations qu’il a reçues, ne peut que “monter” ou “descendre” sans qu’une troisième voie lui soit offerte.

D’un certain point de vue les engagements du vajrayana peuvent paraître impossibles à observer tant ils sont nombreux. L’ordination monastique majeure requiert déjà le respect d’un nombre relativement important de règles : deux cent cinquante trois pour les moines (bikshou) et quatre cent quarante pour les nonnes (bikshouni) ; mais certains textes tantriques avancent qu’il n’existerait pas moins de dix millions cent mille samayas liés à la pratique du vajrayana. Lorsque, cependant, on comprend bien la fonction du vajrayana et plus encore lorsqu’on est véritablement engagé dans sa pratique, les choses apparaissent beaucoup plus facile. Il est dit en effet que l’identification de nos “trois portes” aux “trois vajras” de la divinité suffit à l’observance exacte des “dix millions cent mille samayas”. Ceci signifie que tous les engagements sont maintenus dans la mesure où on assimile son corps à celui de la divinité, sa parole au mantra et son esprit à l’absorption méditative (sanscrit. samadhi).

Les quatre samayas principaux

Idéalement, comme nous l’avons vu, il faudrait connaître et respecter dix millions cent mille samayas. Toutefois dans la pratique on envisage une liste de quatorze samayas majeurs, rompus par les quatorze transgressions correspondantes. Cette liste est classée dans l’ordre d’importance ; nous nous contenterons d’envisager ici les premiers samayas, qui sont essentiels :

1 – toujours garder une attitude de respect et de confiance à l’égard du lama dont on a reçu une initiation et ne jamais adopter une position critique ou négative à son encontre ;

2 – ne pas se placer en contradiction avec l’enseignement du Bouddha ;

3 – ne pas entrer en conflit avec des frères ou sœurs vajra ;

4 – ne pas abandonner l’amour et la compassion.

Premier samaya

Examinons en premier lieu la relation avec le maître. C’est, d’une manière générale, un point extrêmement important, en dehors même du contexte du vajrayana. Il est dit qu’à partir du moment où l’on a reçu ne serait-ce qu’un mot d’instruction du Dharma, on doit considérer celui qui nous l’a donné avec beaucoup de respect et n’avoir aucune vue négative sur sa personne.

Dans la mesure où l’on serait amené à nourrir de telles vues négatives, on serait entraîné à renaître cent fois comme chien puis à reprendre naissance dans des existences humaines très douloureuses. Dans le vajrayana, l’engagement de respect vis-à-vis du lama est encore plus rigoureux. Tout regard critique sur un maître dont on a reçu une initiation doit être totalement écarté. Quand bien même nous en viendrions à voir un défaut dans la personne du maître, nous devrions penser que c’est en fait notre esprit qui projette ses propres défauts, de la même manière que si notre visage est sale, il se reflétera sale dans un miroir.

Des exemples parfaits de ce qu’un disciple doit être prêt à accepter de la part de son maître se trouvent dans la manière dont Naropa a subi des épreuves auprès de Tilopa ou Milarépa auprès de Marpa. Sans doute serait-il difficile pour des disciples ordinaires de suivre une telle conduite, mais il nous faut au moins nous efforcer de mettre en pratique au mieux de nos capacités les enseignements que nous recevons.

Le lama qui donne des initiations et qui enseigne, le fait dans l’espoir que celui qui pratiquera pourra se purifier de tout voile, se libérer du samsara et atteindre l’état de bouddha. Cela sera pour nous suffisant si nous nous efforçons de ne pas aller à l’encontre de son enseignement et si nous respectons son corps, sa parole et son esprit.

Deuxième samaya

En deuxième lieu, il peut être difficile de ne jamais se trouver en contradiction avec l’enseignement du Bouddha dans la mesure où celui-ci nous demande de rejeter complètement toute activité négative et de nous engager complètement dans l’activité positive ; mais nous ne transgresserons pas ce samaya si au moins nous évitons les actes négatifs les plus graves et si nous accomplissons les actes positifs les plus importants.

Troisième samaya

La troisième transgression consiste en la mésentente avec nos “frères et sœurs vajra”. Certains textes envisagent cette notion de manière extrêmement large, puisque, s’appuyant sur le fait qu’ayant tissé dans nos vies passées des connexions avec tous les êtres, ils considèrent que tous sont nos frères et sœurs vajra, ce qui rend l’observance du samaya plutôt difficile. En général, cependant, on limite l’idée de frères et sœurs vajra à un champ plus étroit qui se réduit à des cercles de plus en plus intimes dans l’ordre suivant :

– tous ceux qui suivent l’enseignement du Bouddha sous quelque forme que ce soit ;

– ceux qui suivent l’enseignement du vajrayana quelle qu’en soit la lignée ;

– ceux qui ont le même maître que nous – on dit alors avoir le même “père” – ou bien ceux qui ont reçu l’initiation d’une même divinité – la même “mère” ;

– ceux qui ont reçu du même maître que nous l’initiation de la même divinité ; nous sommes dans ce cas enfants du même “père” et de la même “mère”.

C’est principalement aux deux dernières catégories que s’applique le troisième samaya ; le respecter consiste à éviter les conflits, les mésententes et les rancunes avec les frères et sœurs vajra compris dans ce sens, mais au contraire à s’efforcer d’entretenir des relations harmonieuses et de s’entraider.

Quatrième samaya

Le quatrième samaya nous demande d’avoir pour tous les êtres amour et compassion. Cet engagement est identique à celui des vœux de bodhisattva, mais le vajrayana l’envisage avec une insistance encore plus forte. Il nous faut donc réfléchir au fait que tous les êtres ont été dans nos vies passées notre père ou notre mère, souhaiter que tous puissent être libérés de la souffrance et atteindre le bonheur définitif de l’Eveil.

Comment Atisa tenait ses vœux

Atisa, le grand maître qui vint enseigner au Tibet, expliqua un jour à ses disciples la manière dont il observait ses vœux :

Depuis que j’ai pris les vœux de moine j’ai respecté scrupuleusement toutes les règles qu’ils impliquent sans les enfreindre une seule fois. Les vœux de bodhisattva, je me rends compte qu’environ une fois par jour il m’arrive d’avoir une pensée ou d’accomplir une action qui va à leur encontre ; néanmoins je ne laisse jamais passer plus de quelques heures avant de reprendre mon vœu. Quant aux engagements du vajrayana, si l’on considère tous les détails qu’ils supposent, je crois que j’y contreviens presque constamment. C’est comme un vent de sable s’abattant sur une plaque de métal poli ; vous avez beau tenter d’essuyer la plaque, le sable s’y redépose constamment.

Les disciples furent assez étonnés des implications de cette dernière affirmation. Il leur sembla dès lors que s’engager dans la pratique du vajrayana était beaucoup plus dangereux que profitable, qu’il y avait plus de chances de se retrouver en enfer que d’atteindre l’Éveil.

– Non, reprit Atisha, car le vajrayana comprend des moyens habiles, issus de la compassion du Bouddha, qui permettent de l’utiliser malgré les inévitables infractions aux samayas que l’on est amené à commettre.

Il est dit, par exemple, que si l’on récite ne serait-ce que vingt-et-une fois chaque jour le mantra de cent syllabes de Vajrasattva (Dordjé Sempa), cela nous purifie de ces infractions et préserve l’efficacité du vajrayana.

Extrait de « Bouddhisme ésotérique » © Claire Lumière, 1990.

 

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