Manifester son aspect divin

Lama Thoubten Yeshé

Le corps n’est pas à négliger dans la démarche tantrique, véritable processus alchimique qui permet de transformer la souffrance en jouissance par l’éveil de l’énergie et la réalisation de sa nature essentielle.

Au cours du stade de génération, il est très important de s’exercer à l’orgueil divin. Nous avons tous tendance à nous sentir insatisfaits, à critiquer notre corps, notre parole et notre esprit : “Mon corps est difforme, ma voix désagréable et mon esprit confus !” Nous sommes tellement piégés par cette habitude névrotique et injustifiée de tout critiquer que nous dénigrons les autres autant que nous-mêmes. C’est, du point de vue tantrique, une attitude extrêmement préjudiciable.

Pour contrecarrer cette tendance, cultivez la fierté divine, ce sentiment puissant d’être le vrai corps, l’émanation pleinement éveillée d’un bouddha, avec un esprit totalement dégagé de toutes sortes d’illusions et de limitations, comme lorsque vous entrez dans l’expérience du nirmanakaya. Sinon, à maintenir l’idée que vous êtes fondamentalement confus et coléreux, vous vous manifesterez comme tel, en aucun cas comme une déité bienheureuse. Afin d’arrêter ce mode de pensée autodestructeur et pour en éviter les conséquences négatives et stériles, concentrez-vous sur l’unité de votre conscience fondamentale et des qualités de sagesse et de compassion du gourou-déité. Vous vous ouvrez ainsi aux grandes vagues d’inspiration qui ont pouvoir de transformation totale sur votre vie. L’intensité de votre concentration sur ce sentiment d’orgueil divin conditionnera la profondeur de votre libération de toutes formes de limitation et d’insatisfaction.

La pratique du tantra-yoga supérieur – semblable à un excellent pudding de Noël, riche, sain et tout à fait délicieux – exige trois saveurs spéciales : tout être, soi-même compris, doit impérativement avoir l’apparence de la déité ; notre esprit doit être inséparable de la sagesse non duelle ; toute expérience doit signifier béatitude et joie sublimes. Je vous l’ai déjà dit, ne vous contentez pas de faire semblant d’être Hérouka, par exemple. Faire semblant est hors de propos dans ce genre de visualisation. Vous devez ressentir des profondeurs de votre être que vous êtes Hérouka, que vous et lui constituez une unité inséparable. Plus vous cultivez cette unité, plus votre transformation sera profonde. Ce processus est tout à fait naturel.

Appliquez-vous aussi à voir l’aspect illusoire de toute apparence, son manque de solidité, d’existence extérieure posée là, en dehors de votre esprit. Autrement dit, vous devez reconnaître que chaque apparence s’élève de la vacuité et possède cette nature même de vacuité, de non-dualité. De plus, accordez à l’expérience qui perçoit les apparences vides et illusoires, son caractère de grande félicité. Ce dernier point s’effectue durant le stade d’accomplissement du tantra-yoga supérieur, lorsque vous attirez votre attention vers l’intérieur, de sorte que vous devenez intensément conscient de la kundalini, cette énergie de béatitude qui envahit tout le système nerveux. Vous gagnez alors la capacité de faire fusionner toutes vos expériences avec cette grande félicité.

Pour contribuer à ce processus de transformation, certains exercices physiques, analogues à ceux du hatha-yoga, jouent un rôle très important au cours du stade d’accomplissement. Ils ne sont pas seulement conçus pour améliorer notre posture, ou mieux, notre santé. Leur but ultime est d’accroître l’énergie de béatitude qu’est la kundalini. Cette énergie est répandue dans tout notre système nerveux, le malheur est que nous ne la reconnaissons pas. Une pratique appropriée de hatha-yoga peut nous apprendre à établir le contact avec cette énergie, voire à l’accroître, et à communiquer avec elle pour être à même de la diriger partout où nous le souhaitons. Ceci dans le but d’obtenir un contrôle sur les niveaux les plus subtils de notre corps et de notre esprit, et non pas pour quelques plaisirs très ordinaires.

Il est cependant exigé que nous maintenions notre identification à la déité durant l’exécution de tous ces exercices. Nous devons écarter toute image limitée et toute conception pitoyable de nous-mêmes, car ces exercices n’auront de pleine efficacité que dans ces conditions. Avec une pratique correcte, il arrivera un temps où le simple effleurement d’une partie de notre corps suscitera une vague de grande béatitude. Car, au fur et à mesure que le corps acquiert légèreté et souplesse, les énergies physiques, précédemment sources de souffrance, éveillent des sensations de plaisir extrême. La transformation tantrique se révèle alors être bien plus qu’une question d’imagination ; elle opère aussi en profondeur sur notre être physique.

L’identité tantrique

Beaucoup disent : “Le corps n’a pas vraiment beaucoup d’importance, ce qui compte, c’est la méditation intériorisée”. C’est une erreur. Selon les tantras, nous ne pouvons donner la priorité à l’esprit sur le corps ou vice-versa. Ils sont d’importance égale. Dans cette pratique, le corps est considéré comme un lopin de terre possédant des richesses minérales non révélées. Ce corps, le nôtre, contient, malgré sa nature de souffrance, les ressources naturelles les plus précieuses : l’or kundalini, le pétrole kundalini !

Nous avons tous, à un moment ou à un autre, vécu des sensations de grande béatitude physique. Il suffit parfois d’être assis là, détendu, qu’une vague de félicité intense nous submerge. Cela arrive communément, sans pour autant être un signe particulier de grande réalisation. Mais une telle expérience donne un aperçu de la grande quantité de béatitude que notre corps recèle actuellement. Un ensemble des yogas, exercices et méditations des tantras supérieurs se propose donc d’éveiller, de contrôler et d’utiliser ces ressources d’énergie bienheureuse pour parachever la réalisation, l’illumination d’un bouddha. Car tant que vous ne perdez pas la tête et savez maintenir une certaine vigilance, toute béatitude, quelle qu’elle soit, que vous l’appeliez plaisir samsarique, mondain ou autre, peut vous mener à la libération.

L’essence du tantra consiste en un traitement habile du plaisir. La personne qui remplit les conditions requises pour cette pratique sait aborder le plaisir pour établir avec lui une relation qui devienne une contribution à l’achèvement de la libération. Telle est la personnalité tantrique. Pour celui ou celle qui ne réussit qu’à être malheureux, le tantra ne marchera pas. Car, semblable à un réacteur nucléaire sans combustible, cette personne manquera des ressources indispensables à sa transformation.

Les ressources du plaisir existent pourtant déjà dans notre corps humain. C’est l’une des raisons essentielles pour lesquelles nous lui accordons tant de valeur. Ce qu’il nous faut, c’est une méthode habile qui éveille et permette d’exploiter ces ressources, afin de nous doter tous d’un bonheur parfait. Pour cela, nous devons apprendre à briser l’habitude de regarder les expériences de notre vie avec un esprit malheureux empreint des projections négatives habituelles. Prendre conscience que c’est nous qui fabriquons tous ces problèmes humains est primordial. N’en rejetons pas la faute sur la société ; ne la rejetons pas sur notre mère, notre frère ou nos amis ; ne la rejetons sur personne. Nos problèmes sont notre propre création. Mais nous sommes aussi bien le créateur de nos difficultés personnelles que celui de notre propre libération, car nous disposons en ce moment précis dans notre corps et notre esprit de tout ce qui est nécessaire pour atteindre au bonheur indicible de cet affranchissement.

Extrait de « L’espace du Tantra » © Edition Vajra Yogini, 1994

 

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