La nécessité de pratiquer l’union de la vacuité et de la compassion

Le VIIIè Sitou Rinpoché, Tenpa Nyinje.

Le mahamudra est la pratique la plus essentielle et en celle-ci sont résumées toutes les pratiques tant des sutras que des tantras. Dans le style caractéristique des grands commentaires traditionnels, le VIIIe Sitou Rinpoché montre comment le cœur des tantras, l’union de prajna et d’upaya (intelligence et amour) est aussi celui de la pratique du mahamudra. Il se réfère pour cela aux Souhaits de Mahamudra, une des prières les plus connues de la lignée Kagyu.

Commençons par reconnaître la compassion dont il s’agit avant de voir le mode d’union de celle-ci à la vacuité.

Bien que leur nature soit à jamais bouddha,
Les êtres ne la reconnaissant pas errent sans fin dans le samsara.
Pour eux qui éprouvent d’immenses souffrances,
Puisse naître en moi une irrésistible compassion.

En général il est question de trois types de compassion : deux avec référence – aux êtres et à la réalité – et celle sans référence. Dans les enseignements du mahamudra, les deux premières sont une pratique durant les phases préliminaires puis, une fois qu’a été vu le mode d’être fondamental, naît la compassion sans référence. C’est l’apparition de “la vacuité pourvue de la compassion essentielle”. C’est cette compassion dont il est question dans ce vers.

Quelle est-elle ? Comme il est expliqué précédemment dans la section où est présentée la vue essentielle, la nature des êtres demeure depuis toujours en l’éveil, l’essence du corps de réalité, et ce continuellement. Ceci vu, sans effort, une intense compassion naît continuellement envers les êtres qui s’égarent sans fin dans l’existence conditionnée et se noient en un océan de souffrance insondable uniquement parce qu’ils ne réalisent pas que c’est ainsi. C’est une compassion procédant de la vision du mode d’être fondamental. Ainsi il est dit :

Quand un bodhisattva se consacrant à la méditation
Arrive à parfaite maturité par le pouvoir de sa pratique,
Une compassion exceptionnelle apparaît envers ceux
En prise au démon de la saisie réifiante.

Le guide Nagarjuna dit :

Lorsqu’un yogi médite ainsi sur la vacuité,
Un esprit sensible à la réalité d’autrui apparaîtra.
Il n’y a pas de doute.

Les bodhisattvas s’en remettant à cette compassion, se consacrent uniquement au bien-être des autres et embrassent ainsi l’existence en harmonie avec l’ensemble des vivants et les dispositions de chacun ; ils n’abandonnent pas l’existence cyclique sans pour autant être souillés par ses fautes.

Il est dit :

Celui pourvu de la stabilité de l’expérience méditative,
Qu’il entre en contact avec la souffrance d’autrui,
Il abandonnera la félicité de l’absorption
Et pourra aller jusqu’au fond des enfers.
Ceci est merveilleux et digne de louange :
C’est la forme sublime de la sainteté.
Ce n’est pas tant le don de leur corps
Et de leur bien qui soient merveilleux,
Mais connaître la vacuité du réel et montrer le jeu des actes et des fruits :
Ceci est la merveille des merveilles, ce qui est sublime entre tout.
Ceux qui aspirent à être refuges des vivants sont semblables au lotus :
Nés dans la fange du samsara, ils ne sont pas altérés par ses impuretés.
(…)

Voyons ensuite le mode d’union de cette compassion et de la vacuité.

Cette compassion irrésistible n’étant pas entravée,
En l’instant d’amour nuement apparaît la vacuité essentielle.
Leur union est la voie suprême sans déviations.
Puisse-t-elle être constamment méditée, jour et nuit, sans interruption.

Au moment où, sans aucun objet de référence, l’énergie de la compassion se manifeste sans obstruction, en cet instant d’amour, l’essence du mode d’être fondamental libre de fabrication, la vacuité essentielle n’est pas juste une expérience indécise mais apparaît véritablement en sa nudité ; ceci est la voie de l’union, la voie de la compassion et de la vacuité mêlées en une unique saveur. C’est une voie libre de déviation, c’est la voie sublime.

Comme il est dit dans Le roi des tantra qui lie la toile des dakinis :

La vacuité et la compassion inséparables ;
L’esprit qui réalise cela est dit être Bouddha, Dharma et Sangha.

De même, dans Le pinacle adamantin :

La vacuité et la compassion sont distinctes
Comme une lampe à beurre et son éclat.
La vacuité et la compassion sont aussi une
Comme une lampe à beurre et son éclat.

C’est aussi le sens de l’esprit d’éveil et de la prajnaparamita.

Comme il est expliqué dans Le segment des instructions :

La vacuité et la compassion indivisibles, l’esprit sans demeure aucune est bodhicitta, est la prajnaparamita.

Quand prajna-la-vacuité et upaya-la-grande-compassion ne sont pas unis mais pratiqués avec partialité, il n’est pas possible d’atteindre le plus haut degré de réalisation et, ainsi incapable, il ne saurait non plus être question du yoga adamantin.

Dans le Guyasamaja :

Le yoga n’est ni le déploiement des moyens-upaya ni la seule connaissance-prajna : l’expérience équanime de prajna et upaya est l’enseignement du Tathagata.
(…)

Dans Le sutra requis par Gyatso, roi des Nagas, il est dit :

Il est deux activités démoniaques :
Upaya sans prajna et prajna sans upaya.
Les connaissant, abandonne-les.

Dans Le flambeau de la voie du Seigneur Atisa :

Puisqu’il est dit que prajna sans upaya Et upaya sans prajna
Sont des liens, n’en abandonne aucun.

Et dans L’ornement de la claire réalisation :

Au travers de l’intelligence, ne pas rester dans l’existence mondaine et
Par compassion, ne pas demeurer en la sérénité.

Ceci nous montre qu’il est nécessaire, pour atteindre un nirvana qui ne soit une demeure ni dans l’existence mondaine ni dans la sérénité, de vivre conjointement upaya et prajna. D’innombrables citations corroborent celles-ci.

De plus, celui qui a la prétention d’accomplir le bien d’autrui uniquement au travers d’une compassion dépourvue de la réalisation de la vacuité, non seulement ne les aidera pas mais dispersera aux quatre vents ses bonnes activités et, même si quelques bienfaits apparaissaient, ils se révéleraient finalement être des obstacles. Quant à celui qui médite seulement sur la vacuité, il s’engage sur la voie des auditeurs et des bouddhas solitaires, ce qui est, à terme, un obstacle pour parfaire les desseins d’autrui. Il est dit :

Aller en enfer ne nous coupe pas définitivement de l’éveil
Mais être “auditeurs” ou “bouddha solitaire” est un obstacle définitif.

Ceci est dit et est certain, aussi s’agit-il clairement de déviations sur la voie du mahayana.

D’autre part ce vers, formulé comme une prière d’aspiration, nous enseigne qu’il est nécessaire de méditer sans interruption et à tout moment – “jour et nuit” – sur la voie de l’union libre de déviations, sans nous en séparer jusqu’à l’obtention de l’état d’union de Vajradhara.

Comme il est dit dans Le commentaire sur Bodhicitta :

Nous devons, l’esprit imprégné de compassion,
Nous consacrer avec grande énergie
A l’expérience continuelle de la vacuité authentique,
L’esprit d’éveil des bouddhas libre des voiles des conceptions relatives
Aux agrégats, éléments et autres.(…)

Il est possible à ce point de penser que l’action sera expliquée par la suite. En fait l’enseignement sur la méditation est un enseignement sur l’action.

D’une manière générale, l’activité, dans les mantras secrets, est dit être de deux types : avec ou sans fabrications. La première est appelée activité extérieure et la deuxième, intérieure. De ces deux, la seconde est supérieure et ne se trouve nulle part ailleurs que dans la pratique du yoga de mahamudra. C’est l’activité de Samanthabadra par laquelle tout ce qui doit être réalisé se réalise.

Dans le Guyasamaja il est dit :

Parce qu’il est le yoga le plus sublime, il est digne de la vénération des bouddhas. Il est la cause des innombrables pratiques de renonciation tellement renommées. Il est la source des innombrables samadhis divins apparaissant parfaitement. Les mudras, mandalas et mantras secrets, le yogi, grâce à lui, les réalisera parfaitement.
Les activités de pacification, d’expansion et toutes les autres qui naissent de mantras en nombres égaux aux grains de sable du Gange.
Tous les pouvoirs subtils qui soient et les autres mudras siddhis renommés dans les terres, l’esprit vajra les a dit apparaître de ce seul yoga.

C’est quelque chose qu’il faut savoir. Pratiquer l’intelligence primordiale en laquelle upaya et prajna sont sans distinction est en soi l’activité des mantras.

Extrait du « Commentaire des Souhaits de Mahamudra ». Traduit par le Comité Lotsawa, novembre 2001.

 

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